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Tahar Ben Jelloun

Tahar Ben Jelloun est né à Fès en 1944. Des études de philosophie l’ont conduit à l’enseignement. Il a soutenu à Paris VII une thèse en psychiatrie sociale sur La misère affective et sexuelle des travailleurs nord-africains en France. Il collabore régulièrement au Monde.
Toute l’œuvre de Tahar Ben Jelloun se développe sous le double signe des racines et de l’exil. Elle dit la déchirure entre deux cultures, entre l’histoire ancestrale de l’écrivain et la langue qu’il emploie. Sans doute Ben Jelloun n’est pas le seul écrivain francophone à vivre cette distorsion, à parler de son peuple dans une langue qui n’est pas à l’origine la sienne, à se sentir partagé entre l’appartenance à une terre et une recherche littéraire qui s’inscrit dans le mouvement de l’avant-garde occidentale. Mais cette déchirure n’est pas seulement un thème — et une des raisons de son combat politique, poétique, culturel — elle traverse de part en part son écriture. Elle fait que ses poèmes comme la narration de ses récits sont éclatés, procèdent par fragments, éclats ou encore cris, griffures, blessures. Tout chez lui est élan et reprise, contraste entre la sensualité de l’impression, la force de la passion, qui font la saveur, la violence, la beauté de la langue et la lucidité, l’attention de l’écrivain qui coupe court à la sensiblerie, maîtrise le lyrisme, fait halte pour s’interroger sur son écriture, sa démarche. Poète, prosateur à la fois réaliste (éventuellement jusqu’à la crudité, mais évitant toute vulgarité d’image) et onirique (jusqu’à la mise à nu des fantasmes), sachant aussi que la politique gagne à prendre les dimensions du mythe, Tahar Ben Jelloun, d’abord dans Harrouda, son premier roman, comme dans les poèmes de Cicatrices du Soleil, dit son pays le Maroc et sa ville Fès, encore marqués par la colonisation, partagés entre la tradition et le progrès. S’il y cherche son lieu à travers ses souvenirs d’enfance et de jeunesse, ses rêves et ses cauchemars, il sait aussi bien en dire l’histoire qu’en donner une vision symbolique à travers la figure d’Harrouda, tout ensemble prostituée et femme idéale, projection du désir comme de l’espoir et de la nostalgie. Surtout il donne la parole à son peuple, à ceux, à celles qui ne l’ont pas encore et le dialogue avec la mère, dans Harrouda est par sa simplicité, sa franchise pudique, ses révoltes contenues un témoignage saisissant sur la condition de la femme musulmane. Enfin, dans la Réclusion solitaire, son second roman, il s’efface derrière le narrateur, un travailleur immigré qui, à Paris, n’a que ses songes — qui sont poursuites d’un pays magnifié et d’un amour inventé, d’une pure image de femme — pour échapper à cette ville, à ces rues, à ces travaux qui sans cesse le renvoient à son étrangeté, à sa différence, à sa solitude (sexuelle, humaine, métaphysique). Ce roman sans doute est comme un songe, mais on sait, depuis Freud, que le songe condense toute la vérité et tout le non-dit du réel. Tahar Ben Jelloun nous le rappelle ici.
► Bibliographie
Poèmes : Hommes sous linceul de silence, éditions Atlantes, Casablanca, 1971 ; Cicatrices du Soleil, François Maspero, coll. Voix, .1972 ; les Amandiers sont morts de leurs blessures (comprenant Cicatrices du Soleil) François Maspéro, coll. Voix, 1976. Romans : Harrouda, Denoël, Lettres nouvelles, 1973, Denoël, coll. Relire, 1977 ; la Réclusion solitaire, Denoël, Lettres nouvelles, 1976. Essai : la Mémoire future, anthologie de la nouvelle poésie du Maroc, François Maspéro, coll. Voix, 1976. La plus haute des solitudes, Seuil, coll. Combats, 1977.