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STAËL Germaine Necker, baronne de 1766-1817

STAËL Germaine Necker, baronne de 1766-1817

Romancière et philosophe suisse d'expression française, née à Paris. Fille du banquier Necker, épouse du baron de Staël-Holstein. À Paris, elle tient salon littéraire; pis encore : philosophique. Mais son esprit d'indépendance lui vaut d'être à deux reprises (1792 et 1795) obligée de passer en Suisse. Là, son château de Coppet va retrouver bientôt les mêmes hôtes que le salon de la rue du Bac. De retour en France, elle publie l'essai De la littérature... (1800) et le roman Delphine (1802). Indésirable sous l'Empire, elle reçoit cette fois l'ordre de « s'éloigner à quarante lieues au moins de Paris». Le baron de Staël étant mort l'année précédente, elle part (1804) en compagnie de Benjamin Constant pour l'Allemagne. Elle voyagera d'ailleurs dans plusieurs pays d'Europe. En 1807, elle publie son chef-d'œuvre romanesque, Corinne, ou l'Italie. La voici, en 1810, pratiquement mise en résidence surveillée par l'empereur, à Coppet. Mais (elle est alors âgée de quarante-cinq ans), remariée avec un jeune officier, M. de Rocca, elle va en 1811 s'enfuir avec lui vers de nouvelles aventures à l'étranger. De l'œuvre proprement créatrice de Mme de Staël ne surnage que son second roman, Corinne, histoire d'une poétesse, trop glorieuse pour qu'aucun homme, fut-il amoureux, supporte cette anomalie. Thème déjà, à quelques variantes près, de son premier roman Delphine; mais c'est à tort, je crois, qu'on tiendrait cette « idée fixe » pour une protestation féministe. La romancière ici ne se soucie guère du problème général de la femme égale (un jour, proche ou lointain) de l’homme; son problème, très personnel, est celui de la femme supérieure (déjà, comme elle l'est elle-même) à l’homme. Pour sa part elle a payé très cher, dans sa vie publique et surtout privée, ce trop encombrant génie et même plus simplement, cette intelligence. Car Germaine de Staël, bien éloignée de son prétendu sosie, la poétesse Corinne, n'est peut-être qu'un philosophe; et les deux exemples romanesques qu'elle nous a donnés à l'appui de ses théories ont moins de prix pour le public actuel que ses ouvrages théoriques eux-mêmes, qui sont De la littérature (notons la fin du titre : considérée dans ses rapports avec les institutions sociales) et De l'Allemagne (1810). Ici encore, les deux livres pour l'essentiel nous disent la même chose : le beau n'est pas un absolu, mais une donnée variable : en fonction de l'époque et, aussi, du sol. Ou mieux, du climat. Notion que reprendra Taine (de façon plus systématique et moins convaincante). Au surplus, est-ce seulement le déterminisme de Taine que Germaine de Staël préfigure ici?
On pourrait y voir, tout aussi bien, une amorce du débat récemment ouvert sur les deux notions opposées de la civilisation (liée à l'évolution historique de l'humanité, prise dans son ensemble) et de la culture (liée au caractère original, ethnique, de chaque peuple pris à part). Pour Mme de Staël, en effet, ce sont les pays les plus évolués et raffinés sur le plan des arts et des mœurs - la France, par exemple - qui peuvent précisément gagner à un échange culturel avec les peuples dits attardés ou barbares : Et comme l’élégance de la société nous préservera toujours de certaines fautes, il nous importe, plus qu'à tout autre, de retrouver la source des grandes beautés. Formule d'une rare audace, et, plus encore, d'une rare densité. Ainsi, d'une part, à la notion d'un art « opposé au nôtre», elle substitue l'idée d'un art différent mais complémentaire, et que par suite il sied d'accueillir. D'autre part, l'auteur nous fait entrevoir qu'un tel voyage d'études (dont elle s'institue pour nous le guide et l'interprète) chez ces peuples d'Allemagne tenus pour un peu arriérés, ne se situe pas seulement dans l’espace mais, du même coup, dans le temps : il est retour à l'âme primitive; à la source, dit-elle. L'écrivain selon son cœur, l'artiste total en matière de poésie, est donc celui qui, tout en restant vigilant, exigeant envers lui-même, voire élégant, de bon goût, dit-elle, sera aussi capable (une fois le moment venu, c'est-à-dire quand il chante) de s'abandonner et de perdre la tête; d'oublier le bruit de la terre pour écouter l'harmonie céleste. De plus, il doit être capable, à l'occasion, d'un véritable élan mystique : En effet, quand l'existence de l'homme est expansive, elle a quelque chose de divin (théorie de l'enthousiasme dont l'initiateur fut Diderot). En définitive le poète doit être un adulte et un enfant tour à tour. Cette étonnante conception de l'ambivalence du génie lyrique lui permet d'accéder sans frayeur à l'art nocturne de Novalis (et non pas seulement comme les autres Français de son siècle à l'art plus peigné, plus cosmopolite, d'un Goethe ou d'un Lessing). La fantaisie même, au sens allemand du terme, ne lui reste pas étrangère : elle découvre J.-P. Richter, dit Jean-Paul, le « fantasque» par excellence, dont les Allemands eux-mêmes n'avaient pas fait grand cas.