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Spécification

La spécification est à la fois un comportement et une pratique oratoires. On peut aussi l’analyser comme un type générique de figure macrostructurale, dans la mesure où il s’agit d’un moyen d’amplification. Enfin, la spécification fait partie des composantes du style abondant. La tradition, surtout médiévale et renaissante, a donné plusieurs noms à la chose : on a parlé d’annotation, de notation, de division en parties. En gros, par rapport à une idée centrale ou à un thème quelconque du message, on développe l’information par l’expression d’indications secondaires ou d’indications relatives au même objet. On peut aussi spécifier en énumérant des points ou des idées simplement liés au sujet principal par des corrélations thématico-logiques de toutes sortes. La spécification peut prendre ainsi la forme microstructurale d’une métonymie ou d’une métonymie-synecdoque. Dans le premier cas, on a plutôt affaire à une métonymie de l’attribut : on développe les attributs, les caractéristiques de ce dont on parle, selon tous les rapports constitutifs des variétés logiques de métonymie (jeu sur les relations catégoriques de cause, de chronologie, de localisation, de symbolisation, etc.), axés sur le thème central ; dans l’autre cas - la métonymie-synecdoque -, on procède plutôt par énumération des valeurs contenues à l’intérieur du sens du terme développé.

Cette dernière variante est certainement la plus intéressante, en tout cas elle est rhétoriquement la plus forte et la plus féconde. Elle met en œuvre en effet, dans son principe, le démontage de la signification d’un terme en ses composantes sémantiques. C’est une opération de division du sens en éléments partiels. On retrouve là à la fois la démarche oratoire de la division, qui s’étend normalement à la matière du discours, qui est un moyen de production, et qui n’est pas elle-même sans rapport avec ce que la rhétorique prescriptive du xviie siècle exigera comme méthode de correction dans la composition des phrases, et la démarche moderne de l'analyse sémique, c’est-à-dire par traits sémantiques constitutifs d’un mot. Il faut aussi noter la parenté de cette procédure avec la théorisation aristotélicienne des genres et des espèces, qui implique un montage des différenciations spécifiques à l’intérieur de la catégorie générique englobante. Sous cet angle, la spécification peut évidemment prendre la forme d’une hiérarchisation presque indéfinie de sous-catégorisations partielles, établies sur des distinctions quasiment logico-ontologiques, mesurant emboîtements et séparations chaque fois rigoureusement différenciés. Il est certain, cependant, que la spécification obéit rarement à cette rigueur technique. On arrive ainsi aux lisières du logique et du rhétorique, en même temps que l’on rencontre le problème, absolument essentiel, de la construction du monde par le discours : dès lors, c’est la portée sociale et culturelle de la pratique rhétorique qui est, une fois de plus, emblématiquement considérée. Parfois, la spécification se monnaye sous l’aspect de pures et simples redondances. On a dans ce cas production matérielle du discours par développement ou enveloppement d’un terme, selon un procédé d’expansion sonore et scripturaire entièrement volumétrique. L’important est alors, plus que le fait même de spécification, plutôt louche en l’occurrence, l’effet de spécification, l’impression sur le récepteur, par un vrai triomphe de la manipulation strictement verbale. Les critiques ont quelquefois souligné la relation de la spécification avec la description, du moins dans ses formes et dans ses valeurs. Sans doute s’agit-il d’un des domaines d’application privilégiés de la spécification, dans la mesure où, comme les récentes théories de la description l’ont montré, celle-ci repose essentiellement sur un système de développement prédicatif à propos d’un thème. Par un paradoxe apparent, la même spécification a été parfois mise au nombre des procédés de l’improvisation, comme moyen assez commode pour générer presque mécaniquement son discours. Où l’on voit, comme toujours en rhétorique dès que l’on approfondit les questions, la dialectique de l’art et de la vie.

=> Oratoire, partie, division, composition; improvisation; genre, espèce; figure, macrostructurale, microstructurale; amplification, expolition, description; métonymie, synecdoque; style, abondant.