SILLON
Mouvement social chrétien français qui se développa avant la Première Guerre mondiale, sous la direction de Marc Sangnier. Il eut pour origine les réunions tenues à partir de 1893 dans la crypte du collège Stanislas, à Paris, par Sangnier et d'autres élèves de cet établissement. En 1894 fut fondée une petite revue, Le Sillon. Sangnier et ses amis se situaient dans le courant lancé par Léon XIII avec sa politique du « ralliement » et l'encyclique Rerum Novarum (1891) ; ils pensaient que le catholicisme pouvait se réconcilier avec le régime républicain et qu'il devait se tourner vers le peuple et faire devant lui le témoignage de son efficacité en multipliant les uvres d'enseignement, d'assistance et d'entraide. Animé par une générosité ardente, le Sillon apportait des sentiments et des dévouements plutôt qu'une doctrine ; il multiplia les réunions publiques, avec l'appui de la « jeune Garde », sorte de service d'ordre accoutré d'un curieux uniforme noir et blanc ; à la petite revue originelle s'ajouta en 1904 l'hebdomadaire L'Éveil démocratique, qui tirait à 50 000 exemplaires. Avec le succès, les tendances politiques du Sillon se marquèrent de plus en plus. En 1906, dans une lettre à La Croix, Sangnier proclamait : « Le Sillon a pour but de réaliser en France la République démocratique. » Il affirmait encore que la démocratie est « la forme de gouvernement la plus favorable à l'Église », que « le Christ Jésus seul a fondé et que lui seul maintient le principe démocratique ». Au lendemain de l'expulsion des congrégations et de la loi de séparation des Églises et de l'État, de telles idées étaient odieuses à la grande majorité des catholiques français. Le Sillon subit, d'autre part, les attaques de l'Action française (Maurras publia en 1906 son Dilemme de Marc Sangnier). Inquiet de voir le Sillon confondre de plus en plus le religieux et le politique, Pie X, personnellement très hostile aux idées démocratiques, condamna le mouvement dans une lettre aux évêques de France (25 août 1910), en reprochant aux sillonnistes de détourner la doctrine de la « démocratie chrétienne » formulée par Léon XIII, de prêcher le « nivellement des classes » et de « convoyer le socialisme, l'il fixé sur une chimère ». Sangnier et ses amis se soumirent immédiatement. Malgré sa durée éphémère, le Sillon devait laisser un profond souvenir, et l'évolution de l'Église de France après la condamnation de l'Action française (1926) est due pour une large part à la persistance des idées sillonnistes.