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SADE

SADE. (Donatien Alphonse François de). Né à Paris, Sade (1740-1814) passa son enfance à Avignon, dans sa famille paternelle, puis, à dix ans, fut confié aux jésuites au collège Louis-le-Grand. En 1755, Il fut nommé lieutenant d'infanterie au régiment du roi et participa à la guerre de Sept Ans. Il se maria avec Mlle de Montreuil. Ses mœurs extrêmement libertines lui valurent des incarcérations successives à Vincennes, à Saumur, à Pierre-Encise, près de Lyon, puis à la Conciergerie, au fort de Miolans, de nouveau à Vincennes, et finalement à la Bastille. La Révolution le libéra, mais il fut de nouveau emprisonné en 1793, après quoi il retrouva une période de liberté jusqu'à ce que le Consulat le fasse de nouveau incarcérer comme auteur libertin. On constatera donc que les régimes les plus divers font condamné. Les nombreuses œuvres de Sade ont, pour la plupart, été écrites en prison. Citons la Philosophie dans le boudoir, Justine ou les Malheurs de la vertu (plusieurs versions), les Cent Vingt Journées de Sodome, l'Histoire secrète d'Isabelle de Bavière, l'Histoire de Juliette, les Crimes de l'amour, le Dialogue d'un prêtre et d'un moribond. Dans ses livres comme dans son style, Sade est un spécialiste de la transgression. Il a attaqué l'idée de Dieu avec une rare violence. Il s'est appliqué à détruire toutes les valeurs morales et sociales et à montrer que la vertu n'était jamais récompensée. Son principe philosophique est que tout ce qui est dans la nature est naturel : les forces destructrices autant que les forces créatrices. L'homme meurtrier collabore donc à l’œuvre de la nature. La part qu’il a faite aux pratiques visant à infliger au partenaire sexuel douleur et humiliation a donné son nom à la perversion nommée sadisme.
Écrivain et philosophe français. Sa réputation de libertin, plus ou moins fondée, mais qui lui valut trente ans d'internement sous tous les régimes politiques qui se succédèrent de son vivant, empêcha de le lire avec sérieux pendant plus d’un siècle, entraînant une confusion entre les opinions prêtées à ses personnages et les siennes propres (on sait, par exemple, qu'il était hostile à la peine de mort).
♦ Lecteur des matérialistes du XVIIIe siècle, Sade s’oppose à l'optimisme des Encyclopédistes en affirmant que c'est la Nature même qui enseigne à l'homme que le mal et la violence, sous toutes leurs formes, font partie de la normalité, pouvant même procurer un bonheur paroxystique. Ses romans constituent l’inlassable illustration d'une position farouchement matérialiste et athée. La souffrance, généralement d'origine érotique, infligée à autrui est à la fois occasion de jouissance et revendication individualiste face à la société et à Dieu ; mais lorsqu'elle est subie, elle peut aussi conférer le bonheur - celui de connaître en soi la destruction qui est la grande loi naturelle : dans sa soif de généraliser le mal, le personnage sadien en arrive à mettre sa propre existence en jeu. Il faut donc admettre que le « sadisme », tel qu'il est généralement compris comme simple volonté de faire souffrir autrui, affaiblit considérablement la pensée du « divin marquis ».
♦ Redécouvert au début du XXe siècle par M. Heine, attentivement lu et commenté de divers points de vue par M. Blanchot, P. Klossowski ou G. Bataille, le texte sadien concerne la philosophie par sa quête d'une humanité excédant ses limites admises, aussi bien que par la solution qui s'y esquisse, par l'alternance des descriptions et des dissertations, au problème de la conscience de la violence. De surcroît, il anticipe sur les recherches qui formeront la psychopathologie sexuelle.
Œuvres principales : La Philosophie dans le boudoir (1795) ; Les 120 Journées de Sodome ; Justine (1797).
SADISME, n.m. Terme dérivé du nom du marquis de Sade. Perversion dans laquelle le plaisir sexuel résulte des souffrances infligées au partenaire. — Au sens large, perversion dans laquelle le sujet prend plaisir à voir ou à faire souffrir.
SADE Donatien-Alphonse-François, marquis de, seigneur de La Coste et de Saumane, coseigneur de Mazan, lieutenant général aux provinces de Bresse, Bugey, Valmorey et Gex, mestre de camp de cavalerie, est né à Paris, en l’hôtel de Condé, le 2 juin 1740 et mort le 2 décembre 1814 à Charenton-Saint-Maurice. De 1744 à 1750, le jeune marquis est à Saumane où son oncle paternel, l’abbé de Sade d’Ebreuil, historien élégant et solide, s’est chargé de sa première éducation. En 1750, il revient à Paris pour entrer au collège d’Harcourt, chez les Jésuites. En 1755, après un an d’exercices à l’école des Chevau-légers, il est nommé sous-lieutenant au régiment d’infanterie du roi. Cornette de carabiniers en 1757, puis capitaine de cavalerie, Sade prend part à la guerre de Sept ans. Le 17 mai 1763, il épouse, avec l’agrément de la famille royale, Renée-Pélagie Cordier de Launay de Montreuil, dont il aura deux fils et une fille et qui se signalera par un dévouement conjugal sans réserve. Cinq mois après son mariage, Sade est incarcéré pendant quinze jours au donjon de Vincennes, pour excès commis dans une petite maison. Le 3 avril 1768, place des Victoires, il s’adresse à une femme qui demande l’aumône, Rose Keller; elle accepte de l’accompagner à sa petite maison d’Arcueil. Il l’y fait se déshabiller, la flagelle à plusieurs reprises, puis l’enferme dans une chambre. Elle s’évade, porte plainte et obtient une indemnité énorme. Incarcéré à Saumur, puis à Pierre-Encise, mais admis à faire valoir des lettres d’abolition, Sade n’est condamné qu’à une amende par la Grand-chambre du Parlement; cependant il reste détenu sur l’ordre du roi jusqu’en novembre 1768. Le 27 juin 1772, de passage à Marseille, il se rend le matin avec son domestique Latour dans une chambre où quatre filles sont réunies. Flagellation reçue et infligée, futution, pédication homo et hétérosexuelle; l’une des filles goûte aux anis cantharidés que lui offre le marquis. Le soir, visite de Sade à une autre prostituée qui absorbe tout le contenu de la bonbonnière de son client. Elle se trouve bientôt dans un tel état qu’on la croit empoisonnée. Le lieutenant-général criminel recueille sa plainte. Sade, qui a pris la fuite en Italie avec sa belle-sœur, Anne-Prospère de Launay, chanoinesse, qu’il fait passer pour sa femme, est condamné par le parlement de Provence à la peine capitale pour crimes d’empoisonnement et de sodomie; le 12 septembre, il est exécuté en effigie sur la place des Prêcheurs, à Aix. Réfugié à Chambéry en octobre 1772. il est arrêté le 8 décembre sur l’ordre du roi de Sardaigne agissant à la requête de sa belle-mère, la présidente de Montreuil, et conduit à la forteresse de Miolans. Il s’en évade le 1er mai 1773. Son séjour à La Coste, entre 1774 et 1777, est marqué par plusieurs scandales, dont le plus grave est celui des « petites filles ». De passage à Paris, en février 1777, Sade, contre lequel la présidente de Montreuil a obtenu une lettre de cachet, est incarcéré au donjon de Vincennes. En juin 1778, il est transféré à Aix, où l’arrêt du Parlement de Provence est cassé, par défaut absolu du crime présupposé d’empoisonnement. Cependant, toujours justiciable de la lettre de cachet, il quitte la ville d’Aix sous escorte policière. A l’étape de Valence, il réussit à s’échapper et se réfugie à La Coste, où il est arrête de nouveau le 26 août. Reconduit à Vincennes, il y demeurera captif du 8 septembre 1778 au 29 février 1784, date à laquelle il est transféré à la Bastille. Quelques jours avant le 14 juillet 1789, pour avoir tenté d’ameuter le peuple en criant par la fenêtre de sa chambre qu’on voulait égorger les prisonniers, il est extrait de la forteresse et transporté chez les religieux de Charenton-Saint-Maurice. Libéré le 2 avril 1790, à la suite du décret sur les lettres de cachet, Sade, deux ans après, participe comme secrétaire aux travaux de la section des Piques. En août 1793, président de cette section, il refuse de mettre aux voix une motion inhumaine. Accusé de modérantisme, le ci-devant marquis est arrêté le 5 décembre. Enfermé aux Madelonnettes, puis aux Carmes, à Saint-Lazare et à Picpus, son nom figure dans le réquisitoire collectif de Fouquier-Tinville du 8 thermidor. Mais l’huissier du Tribunal révolutionnaire le recherche en vain dans les différentes prisons, et Sade échappe ainsi providentiellement à la guillotine. Rendu à la liberté le 13 octobre 1794, il est arrêté sept ans après, le 6 mars 1801, par la police du Consulat, comme auteur des romans scandaleux de Justine et de Juliette (1797). Après un séjour de deux ans a Sainte-Pélagie et à Bicêtre, il est interné administrativement à l’hospice de Charenton, où Marie-Constance Quesnet, sa maîtresse, obtient de se fixer auprès de lui. Grâce à la bienveillance du directeur, M. de Coulmier, Sade est admis à organiser jusqu’en 1808 des représentations théâtrales auxquelles viennent assister les personnes les plus élégantes de Paris. Il meurt le 2 décembre 1814, ayant consumé en prison trente années de son existence. Aucun nom ne fut gravé sur sa pierre tombale. Si, en tant qu’écrivain publié, Sade appartient tout entier à l’époque révolutionnaire, il faut noter qu’en octobre 1788, après dix ans de captivité ininterrompue, plusieurs chefs-d’œuvre se détachent déjà de la masse imposante de ses manuscrits : le Dialogue entre un prêtre et un moribond, Les 120 Journées de Sodome , Aline et Valcour, la première Justine, ainsi que les meilleurs d’entre ses contes et nouvelles. Le Dialogue ne devait être publié qu’en 1926 et le roman Les 120 Journées qu’en 1931-1935 (l’édition parue à Berlin en 1904 est pratiquement inutilisable, en raison des milliers de fautes qui la dénaturent). Si Les 120 Journées, cent ans avant Krafft-Ebing et Freud, nous fournissent une description systématique des anomalies sexuelles et justifient de ce fait « le lustre que le monde savant a donné au nom de leur auteur en imposant celui de « sadisme » à la plus grave de ces psychopathies » (M. Heine), elles contiennent également les pages les plus neuves et les plus spontanées que le marquis ait jamais écrites : ainsi le portrait de Blangis, qui brille d’un si noir éclat parmi la nudité splendide des épouses, l’infernale beauté de son sermon aux « êtres faibles et enchaînés », et cette galerie de proxénètes et de duègnes, de « bardaches » et de fillettes qui ne le cède nullement à l’album des Caprices de Francisco Goya. Quant au Dialogue entre un prêtre et un moribond, d’une éloquence harmonieuse et noble qui rappelle souvent le divin Platon, il constitue la première manifestation de cet athéisme irréductible dont les ouvrages ultérieurs de Sade ne cesseront de nous offrir les développements les plus hardis. — Des cinquante récits composés par le marquis à la Bastille, et dont une douzaine sont perdus, onze seulement devaient figurer en l’an VIII dans le recueil des Crimes de l'amour; les éléments inédits de son œuvre de conteur ont été publiés en 1926 sous le titre d'Historiettes, Contes et Fabliaux. Un choix où l’on ferait entrer, avec Florville et Courval ou le Fatalisme et Eugénie de Franval, qui appartiennent aux Crimes de l'amour, Le Président mystifié, Augustine de Ville blanche et Emilie de Tourville, détachés du recueil posthume, constituerait dans son admirable variété, un livre de nouvelles sans égal dans la littérature française. — Ce qui frappe avant tout, dans les lettres de Sade écrites à Vincennes et publiées entre 1948 et 1953 sous les titres de : L’Aigle, Mademoiselle..., Le Carillon de Vincennes et Monsieur le 6, c’est la leçon de fermeté qu’elles nous offrent constamment, tant par le maintien intégral des idées qui ont valu à leur auteur le supplice de la réclusion, que par la mise en œuvre d’un humour transcendé, relevant de la poésie, et où s’affirme victorieusement l'invulnérabilité du « moi » aux agressions de la réalité extérieure. Parmi les ouvrages posthumes de Sade, il faut encore mentionner l'Histoire secrète d'Isabelle de Bavière, parue en 1952. Par la richesse de ses matériaux et l’ampleur de sa vision, par la profondeur de ses réflexions touchant a la psychologie tant individuelle que collective, par les teintes noires et inquiétantes dont il a soutenu le tableau des crimes de la reine, l’auteur d'Isabelle de Bavière mérite de prendre place au nombre des meilleurs historiens qui ont précédé l’ère romantique. — Nous en viendrons maintenant aux principaux ouvrages publiés du vivant de Sade. La Justine de 1791, grâce à son appareil de précautions verbales et à la diction toute classique de ses personnages raisonneurs, constitue certainement dans l’œuvre du marquis la plus « insidieuse infraction au caractère divin de la nature humaine » (M. Heine). Dans les dix volumes orgiaques de La Nouvelle Justine suivie de L'Histoire de Juliette, sa sœur (1797), les longues dissertations morales et métaphysiques, d’un mouvement admirable, placées par Sade dans la bouche de ses héros, reprennent en les enrichissant, mais non sans les majorer parfois jusqu’au délire, les thèmes de la première Justine de 1791; mais l’épopée philosophique du marquis perdrait sa plus riche signification, si l’on négligeait de la considérer également sous le triple aspect de la psychopathologie descriptive, de l’humour noir et de la poésie. — De tous les ouvrages clandestins de Sade, La Philosophie dans le boudoir (1795) est de beaucoup le moins cruel; les phrases d’une rayonnante obscénité qu’y prononcent Mme de Saint-Ange et Eugénie de Mistival ne transforment jamais en effroi l’émotion érotique éprouvée par le lecteur. — Tableau de mœurs et de caractères dans lequel la luxure d’un père incestueux est tracée avec une singulière énergie, récit d’aventures héroï-comiques parmi toutes les classes et dans tous les climats, le roman d'Aline et Valcour (1795), où la sociologie d’un précurseur s’entrelace à des folklores imaginaires, ne laisse pas de préfigurer un aspect de la sensibilité moderne en maintes pages toutes rutilantes de royaumes inconnus. Si les syllabes maudites du nom de son auteur n’eussent détourné d’un tel ouvrage la critique universitaire, le roman d'Aline et Valcour — d’une langue toujours décente en dépit de la hardiesse des passions — serait inscrit depuis longtemps au nombre de ces fictions universelles qui, pareilles au Décaméron , à Don Quichotte et aux Voyages de Gulliver , ont ouvert de nouvelles demeures à l’imagination des hommes. — D’une fécondité peu commune, Sade a composé une douzaine de romans, la plupart de vaste dimension, une soixantaine de contes, une vingtaine de pièces de théâtre, et maints opuscules divers. Un quart environ de ses manuscrits a été détruit par la police du Consulat et de l'Empire. Après avoir été considérés du vivant de leur auteur et pendant plus d’un siècle après sa mort, comme de monstrueuses rapsodies issues de l’imagination d’un criminel délirant, les ouvrages du marquis de Sade, grâce aux travaux historiques et critiques de Maurice Heine et de Gilbert Lely, ainsi qu’aux essais métaphysiques de Pierre Klossowski et de Maurice Blanchot, ont pris place de nos jours au rang des chefs-d’œuvre de la littérature française, tant du point de vue de 1 ’éloquence et de la vivacité du style qu’en raison de la hardiesse et de la profondeur de la pensée.
♦ « Tout ce qui est possible à l'imagination la plus déréglée d'inventer d'indécent, de sophistique, de dégoûtant même, se trouve amoncelé dans ce roman bizarre [Justine ou les malheurs de la vertu], dont le titre pourrait intéresser et tromper les âmes sensibles et honnêtes. » Journal Général de France du 27 septembre 1792. ♦ «Personne nb été plus indigné que moi des ouvrages de l'infâme de Sade. Ce scélérat ne présente les délices de l'amour, pour les hommes, qu'accompagnés de tourments, de la mort même pour les femmes. » Restif de la Bretonne, 1798. ♦ « Le nom seul de cet infâme écrivain exhale une odeur cadavéreuse qui tue la vertu et inspire de l'horreur.» L'Ami des Lois du 29 août 1799. ♦ « Il est un trait commun à tous ses actes et dont la spontanéité n'est pas douteuse : le parti pris de répudier et de braver tout conformisme moral. Cette attitude, qui ne s'embarrasse pas même d'un certain degré de mystification, paraît gouverner le comportement physiologique et social de Sade, en s'alliant aux hautes activités comme aux audacieuses spéculations de son esprit. » Maurice Heine, 1933. ♦ « Les excès de l’imagination à quoi l'entraîne son génie naturel et le disposent ses longues années de captivité, le parti pris follement orgueilleux qui le fait, dans le plaisir comme dans le crime, mettre à l'abri de la satiété ses héros, le souci qu'il montre à varier à l'infini, ne serait-ce qu'en les compliquant toujours davantage, les circonstances propices au maintien de leur égarement ont toute chance de faire surgir de son récit quelque passage d'une outrance manifeste, qui détend le lecteur en lui donnant à penser que l'auteur n'est pas dupe.» André Breton, 1940. ♦ « Nous devons attribuer à Sade une fonction dénonciatrice des forces obscures camouflées en valeurs sociales par les mécanismes de défense de la collectivité; ainsi camouflées, ces formes obscures peuvent mener dans le vide leur ronde infernale. Sade n'a pas craint de se mêler à ces forces, mais il n'est entré dans la danse que pour arracher les masques que la Révolution avait placés sur elles afin de les rendre acceptables et d'en permettre la pratique innocente aux « enfants de la patrie. »
SADE, Donatien Alphonse François marquis de (Paris, 1740-Charenton, 1814). Écrivain français. Ses écrits scandaleux et son existence de libertin lui valurent 30 années d'emprisonnement entrecoupées de fuites et de périodes de liberté. Il mourut interné arbitrairement à Charenton et une partie de ses écrits fut détruite par la police du Consulat et de l'Empire. Parmi son oeuvre qu'on ne peut limiter au seul domaine de la jouissance et de la sexualité, mais qui recouvre aussi une immense protestation contre l'ordre établi (politique et religieux), on peut citer : Justine ou Les malheurs de la vertu (1791), La Philosophie dans le boudoir (1795) et Les Cent vingt journées de Sodome (1782-1785).


Donatien Alphonse François, comte de Sade, dit le marquis de Sade, issu d'une vieille et prestigieuse famille de Provence, fils d'un diplomate, naît à Paris le 2 juin 1740. Sa première éducation, il la reçoit chez un oncle abbé aux mœurs très libres, ami de Voltaire, en Languedoc. À 10 ans, il revient à Paris et poursuit ses études chez les jésuites. À 14 ans, le voilà à l'école des chevau-légers de la Garde du roi, un régiment réservé aux rejetons de la meilleure noblesse. Sous-lieutenant l'année suivante, il participe à la guerre de Sept Ans contre la Prusse. Il s'y fait davantage remarquer par son inconduite que par son courage. En 1763, la guerre finie, il est mis en congé avec le grade de capitaine ; il revient à Paris hanter les maisons closes et les coulisses des théâtres, aux actrices peu farouches. Son père, que ces penchants pour la débauche inquiètent, marie, avec l'accord du roi, Donatien à Renée-Pélagie Cordier de Launay de Montreuil, fille d'un ancien président de la Cour des Aides. La noblesse récente de sa famille est compensée par sa fortune. Renée-Pélagie, qui aura de lui deux fils et une fille, se montrera envers ce mari fantasque une épouse toujours dévouée et résignée. Mais il a le sang trop chaud pour celle dont il dit qu'elle est trop froide et trop dévote. Cinq mois après son mariage, il est emprisonné plus d'un mois pour « débauches outrées ». Il s'affiche avec des courtisanes et fait passer l'une d'elles pour une cousine de sa femme, lorsqu'il part séjourner dans son château de La Coste, en Provence. Le dimanche de Pâques 1768, il aborde à Paris une jeune ouvrière sans travail, lui en promet un et l'entraîne dans sa maison, à Arcueil. Là, il la fouette, la viole et l'enferme dans une chambre. La jeune fille réussit à s'échapper, refuse l'argent que le valet du marquis lui propose et porte l'affaire devant la justice royale. Le chancelier Maupeou, ennemi intime du président de Montreuil, beau-père de Sade, décide de sévir (la pratique est alors courante d'enlever des femmes, de les séquestrer et de leur faire subir des sévices — Louis XV, sur le trône, donne l'exemple) : Sade est enfermé six mois dans une forteresse, près de Lyon. Le temps de donner quelques fêtes en son château de La Coste pour fêter la naissance de ses enfants, et le marquis de Sade reprend du service comme capitaine du régiment de Bourgogne. Pas longtemps. Il part en voyage en Italie avec une nouvelle maîtresse : la sœur cadette de son épouse. Mme de Montreuil, qui auparavant regardait les frasques de son gendre avec indulgence, le prend en aversion et décide sa perte ; c'est une forte femme, qui sait utiliser les relations de son époux... Sade, indifférent, continue à mener une vie déréglée. En juin 1772, il organise une soirée avec quatre prostituées, auxquelles il fait avaler des dragées aphrodisiaques. L'une d'elles a tant de mal à les digérer qu'une enquête est ouverte Sade, accusé de tentative d'empoisonnement, prend la fuite avec sa belle-sœur. Il se réfugie en Savoie (indépendante de la France), tandis que les juges d'Aix-en-Provence le condamnent par contumace à avoir la tête tranchée, comme empoisonneur ; son effigie est brûlée en place publique. Mme de Montreuil, sa vindicative belle-mère, parvient à faire"arrêter Sade à Chambéry. Le 30 avril 1773, il s'évade, gagne La Coste et tente, avec le concours de sa femme, d'échapper aux poursuites. Mais tandis qu'il envoie des suppliques à la Cour (où l'on fête l'avènement de Louis XVI) pour obtenir son pardon, l'une de ses servantes dénonce publiquement les mauvais traitements dont elle a été l'objet. Nouvelle fuite en Italie, nouveau retour discret à La Coste, nouveau scandale : l'incorrigible marquis abuse tant de son autorité sur une jeune servante que le père de cette dernière porte plainte et, tout roturier qu'il est, jure de tuer le marquis. L'affaire est difficilement étouffée. Sa mère venant de mourir (son père est mort dix ans auparavant), Sade et son épouse se rendent à Paris début 1777 afin de régler l'héritage. Le 13 février, par lettre de cachet, Sade est emprisonné au donjon de Vincennes. Mme de Montreuil, l'impitoyable belle-mère, triomphe. Elle triomphe encore quand, l'année suivante, bien que le jugement d'Aix pour empoisonnement ait été cassé, Sade est maintenu au cachot. Il réussit à s'échapper et se réfugie à La Coste, où il se croit en sécurité (août 1778). Mais les soldats du roi le retrouvent et le ramènent, lié et garrotté, à Vincen-nes. Il va rester enfermé douze ans, d'abord à Vincennes, puis, de 1784 à 1789, à la Bastille, avant d'être transféré à l'hospice de Charen-ton. Entre quatre murs, il n'a pour seule distraction que l'écriture. Il écrit à ses amis, à sa femme, dont il devient sans raison, sauf qu'elle est libre, et pas lui — jaloux. Lorsqu'elle lui rend visite, il lui fait des scènes... La captivité l'enlaidit : il s'empâte, perd ses cheveux et a la vue qui baisse... En 1785, révolté par cette société qui le laisse englouti vivant, il entreprend d'écrire cette œuvre sulfureuse qui lui vaudra, de son vivant, des ennuis supplémentaires et, pour la postérité, le surnom de « divin marquis ». Il débute par Les Cent Vingt Journées de Sodome, « le récit le plus impur qui ait jamais été fait depuis que le monde existe ». En 1787, il compose Les Infortunes de la vertu, puis Aline et Valcour. Début juillet 1789, alors que l'émeute gronde dans Paris, il crie par la fenêtre de sa geôle que l'on va égorger les prisonniers : attroupement, remous... Le gouverneur de la Bastille fait aussitôt transférer Sade à Charenton, dans un hospice de déments tenu par des religieux. Il n'a pas eu le temps de déménager sa chambre qui, le 14 juillet, après la prise de la Bastille, est pillée ; le manuscrit des Cent Vingt Journées de Sodome est détruit, au grand regret de son auteur, qui dit en « pleurer des larmes de sang». Le 2 avril 1790, sur ordre de la Constituante, qui a élargi tous les prisonniers enfermés par lettre de cachet, Sade est libéré. Amer retour dans une société en pleine révolution : sa femme, lasse de ses scènes, a demandé la séparation de corps et d'habitation et s'est retirée en province. Il ne reste pas seul longtemps et, en août 1790, se lie avec Marie-Constance Quesnet, une jeune actrice qui lui restera fidèle jusqu'à sa mort. Il tente de faire jouer des pièces, publie — anonymement — Justine ou les Malheurs de la vertu, dont l'éditeur sera exécuté. Son château de La Coste a été pillé, ses biens mis sous séquestre. Afin de tenter de les récupérer et pour faire oublier que ses deux fils ont émigré, il milite avec les révolutionnaires les plus enragés de son quartier, devenant président de la «section des piques », lui, autrefois si fier de son rang d'aristocrate. Son zèle n'est pas récompensé : en janvier 1794, il est enfermé à la prison de Picpus et condamné à mort par Fouquier-Tinville lors d'un jugement collectif. Mais l'huissier chargé des transferts étant surmené, il a oublié d'inscrire Sade sur le registre de la prison ; le marquis échappe ainsi à la décapitation. Le lendemain, 28 juillet, c'est le 9 thermidor et c'est Robespierre lui-même qui est guillotiné. Sade est libéré le 15 octobre. Avec Marie-Constance, il s'installe à Versailles, dans une chambre sous les toits. Il survit grâce aux fèves et aux carottes que Marie-Constance rapporte de chez ses parents. En 1795, il publie La Philosophie dans le boudoir, Aline et Valcour, en 1797 Juliette, dont la violence lui vaut un opprobre quasi général. En mars 1801, la police perquisitionne chez son éditeur : Sade, le 2 avril 1801, est placé en détention administrative à Sainte-Pélagie parce qu'auteur de « l'infâme roman Justine » et de « l'ouvrage plus affreux encore intitulé Juliette ». Il ne recouvrera jamais plus la liberté. Deux ans plus tard, il est transféré à l'hospice de Charenton, où Marie-Constance le rejoint : elle a pris une chambre dans les dépendances de l'hospice. Sade, avec l'appui du directeur, monte des pièces de théâtre que les Parisiens viennent applaudir. Sa chambre est régulièrement visitée par la police, ses écrits saisis. Le médecin de l'hospice écrit à Fouché, ministre de la Police, pour que le marquis, qu'il dit n'être pas fou mais vicieux, soit mis en forteresse. La famille de Sade intervient et Donatien reste à Charenton. En 1809, l'un de ses fils, officier dans l'armée d'Italie, est tué ; Sade, qui va avoir 70 ans, écrit à Napoléon pour demander son élargissement l'Empereur reste sourd à son appel. Son autre fils, lui, s'est emparé des biens qui restent à la famille et refuse de payer la pension de son père. Mme de Sade, l'épouse si souvent bafouée, meurt en 1810. Sade écrit toujours : La Marquise de Gange paraît anonymement en 1813. Le 15 novembre 1814, le marquis reste couché : ses jambes ne le portent plus. Il s'éteint à l'hospice de Charenton, le 2 décembre 1814. Son fils, qui sera député sous Louis-Philippe, fait brûler par la police un manuscrit trouvé dans sa chambre et en enferme d'autres dans une malle, d'où ils seront ressortis par un descendant du marquis. L'œuvre de Sade, découverte au xixe siècle par des poètes eux aussi maudits, Baudelaire, Verlaine, Lautréamont, Apollinaire, et au xxe par les psychanalystes — qui ont salué le courage de celui qui a osé écrire ce que tous refoulent —, n'est pas à mettre entre des mains innocentes. Les pratiques sexuelles qui y sont complaisamment décrites — et qui ont donné le néologisme sadisme —, l'apologie du mal qui y est faite sont toutefois trop outrancières pour être prises définitivement au sérieux ; il y a, dans l'œuvre de Sade, beaucoup de cruauté, beaucoup de luxure, beaucoup de provocation, beaucoup de cynisme, mais aussi beaucoup d'humour. Avec le « divin marquis », philosophe , antimoral, dénonciateur impitoyable d'une société qui n'eut pour lui aucune indulgence, le plaisir est dans la vengeance, le bonheur est dans le vice, et l'infortune dans la vertu.

Pierre Klossowski, 1947. ♦ « Sade a eu la hardiesse d’affirmer qu’en acceptant intrépidement les goûts singuliers qu’il avait et en les prenant pour le point de départ et le principe de toute raison, il donnait à la philosophie le fondement le plus solide qu ’il pût trouver et se mettait en mesure d’interpréter d’une manière profonde le sort humain dans son ensemble... Or, il se trouve que cette pensée n’est pas négligeable et qu’au milieu des contradictions où elle se meut... elle nous montre qu’entre l’homme normal qui enferme l’homme sadique dans une impasse et le sadique qui fait de cette impasse une issue, c’est celui-ci qui en sait le plus long sur la vérité et la logique de sa situation et qui en a l’intelligence la plus profonde, au point de pouvoir aider l’homme normal à se comprendre lui-même, en l’aidant à modifier les conditions de toute compréhension. » Maurice Blanchot, 1949. ♦ « Si le prisonnier Sade ne plaît pas, aussi n’a-t-il point voulu plaire. Le seul glaive dont il dispose, dans sa ténébreuse solitude, pour se venger d’un monde qui le retient captif : la subversion des valeurs morales et des normes sensitives, pourquoi son désespoir se refuserait-il à le plonger trop avant dans le cœur de l’homme ? Mais la prédication esthétique du mal exclut l’accomplissement de celui-ci. C’est le vertueux Robespierre qui tue : bourreau imaginaire de mille jeunes femmes, ce n’est pas Sade à la belle voix... Or, sur les proies délicieuses, ressuscitées à l’aube de la cent vingt et unième journée, le langage étendra sa merci. » Gilbert Lely,1957.