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ROUGEMONT Denis de



ROUGEMONT Denis de. Écrivain suisse d’expression française. Né à Cauvet (Canton de Neuchâtel), le 8 septembre 1906. Père pasteur, issu d’une vieille famille, probablement originaire de la Franche-Comté, qui compte de nombreux hommes d’Église, de robe et de plume. Après le gymnase de Neuchâtel, Rougemont entre à l’Université de cette ville, s’inscrit à l’Université de Vienne, puis à celle de Genève. Il voyage en Hongrie, dans le Würtemberg, publie divers écrits et, en 1931, assume la direction littéraire des éditions « Je sers » à Paris, où il se lie avec Alexandre Marc, Mounier, Dandieu. Et ensemble, ils lancent les deux groupes personnalistes et leurs revues : Esprit et Ordre nouveau. En 1933, Rougemont épouse Simone Vion dont il aura deux enfants, Nicolas et Martine. En 1935, il est lecteur à l’Université de Francfort où il découvre l’hitlérisme et ses menaces. Cependant, Rougemont fait paraître des essais (Politique de la personne, 1934 ; Penser avec les mains, 1936; journal d’un intellectuel en chômage, 1937 ; L’Amour et l’Occident (1939),qui, tout en donnant forme au personnalisme politique et éthique, affirmeront une vision du monde singulièrement cohérente et aiguë qui fera l’originalité de ce penseur. Mobilisé en Suisse en 1940, Rougemont fonde la ligue du Gothard pour une résistance à tout prix au nazisme. Un article sur l’entrée de Hitler à Paris lui vaut quinze jours de prison militaire. Chargé de mission aux États-Unis, il s’installe à New York (1941) où il fait des conférences et devient rédacteur des émissions françaises de l’« Office of War Information ». Il se lie d’amitié avec les émigrés européens : Breton, Alexis Léger, Saint-Exupéry, Max Ernst, W.M. Auden, etc., écrit le Port du diable (1940), Les Personnages du drame (1945), Lettres sur la bombe atomique (1946). De retour en Europe, Rougemont s’établit à Ferney-Voltaire. Il divorce, se remarie en 1952 avec Anahite Repond. Rougemont participe au premier Congrès de l'Europe dont il prépare le rapport culturel, prend une part active à la création du Congrès pour la liberté de la culture dont il assumera la présidence de 1952 à 1966, dirige le Centre européen de la culture dès 1950, fonde l’Association européenne de Festivals de musique (1951), dirige la Fondation européenne de culture (1955). Cette intense activité publique et politique, complétée par des conférences en Europe et en Amérique, des cours à l’institut universitaire d’études européennes de Genève, qu’il fonde et dirige, à l’Ecole polytechnique de Zurich, etc., ne ralentit pas l’œuvre de l’écrivain et du moraliste, qui publie successivement : L’Aventure occidentale de l’homme (1958), Comme toi-même (1961), Le Suisse ou l’histoire d’un peuple heureux (1965), Lettre ouverte aux Européens (1970), Journal d’une époque (1968). Cette œuvre sera couronnée par le Prix littéraire du Prince de Monaco, le Prix littéraire de Genève, le Prix européen Robert-Schumann. Rougemont assume la présidence du Pen Club de Suisse romande (1971). La pensée et l’œuvre de Denis de Rougemont prennent leur source dans le paradoxe de la double nature du Christ, tout entier homme et tout entier Dieu. Sur son modèle, la vie intime et sociale sera repensée. L’esprit devra être conduit à « la plus insistante vénération du réel ». La pensée sera tout entière elle-même et tout entière le monde. Tel est le fondement de la morale des idées. L’homme est un individu autonome, souverain, mais pour survivre et accéder à la plénitude de la « personne », il doit s’engager dans la communauté. Sa liberté n’a pas d’autre sens que ce service de la cité. Cette double nature se retrouve aussi au fondement du couple qui, étant un, est deux en même temps et au même degré. Parce qu’elle refuse le monde, la logique de la passion doit détruire soi et ce qu’elle adore. Il faut savoir guider l’amour vers « la plus insistante vénération de l’aimé dans son altérité et dans sa liberté. Ici encore, la liberté a une double nature puisqu’elle a pour seul moyen de s’affirmer, comme pour la cité, dans l’engagement, le sacrifice de soi à l’autre dans le lien d’amour. Ce qui est vrai de l’homme est vrai aussi pour les communautés qu’il fonde. La double nature se nomme alors le fédéralisme et s’exprime dans un pacte qui instaure l’union sur le respect des autonomies et fait du respect de la diversité, le principe de l’unité. Ce contrat politique devrait être à la base de l’unité de l’Europe dont Rougemont n’a cessé d’être le champion et qui ne saurait être fondé sur les Etats-nations qui se sont constitués contre elle. C’est un pacte analogue qu’il propose dans L’Avenir est notre affaire (1977), pour régir les rapports de l’homme avec une nature menacée. A la fois toute civilisation et toute nature, nos sociétés, pour survivre, devront apprendre à respecter les altérités qui les fondent. La vigueur de cette pensée, portée par le style d’un essayiste accompli, a fait qu’elle a influencé la formation de plusieurs générations d’intellectuels et qu’elle a été présente dans tous les grands débats de l’époque. ♦ « Comme tout être sensible à la source poétique de l'homme, il fut homme d’action autant que de pensée, se refusant à dissocier l’une de l’autre dans le profond mystère de la création. » St-John Perse. ♦ « La philosophie de Denis de Rougemont est justement ce qui pourrait donner aux Occidentaux la puissance intellectuelle nécessaire pour résister au chantage des dogmes totalitaires. » Eugène Ionesco. ♦ «... Par la persuasion de sa parole, par la grâce de son écriture dont le jaillissement semble exclure tout effort et déceler au contraire une affluence magique... un homme dont l’existence honore l’Homme. » Patrick Waldberg.