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ROTROU Jean de

ROTROU Jean de. Poète tragique et comique français. Né à Dreux (Eure-et-Loir) en l609, mort dans cette même ville, le 27 juin 1650. La vie de Rotrou est aussi peu conforme que possible à la réputation qui lui fut faite par la suite, à l’exemple de celle de ses héros. En l’opposant à Corneille, on a vu en lui un bohème impénitent et l’on a écrit que sa langue était considérablement plus archaïque que celle de son prédécesseur, mais il ne faut pas oublier que nous ne lisons plus Corneille dans le texte original; sans doute le contraste demeure entre la violence quelque peu mélodramatique des pièces de Rotrou et son esprit baroque et le très sage Rouennais, encore ne faut-il pas négliger le fait que Corneille, passé l’époque de ses chefs-d’œuvre, a écrit quelques tragédies passablement échevelées ni que, par contre, Rotrou avec l’âge et sous Pin-fluence de Corneille s’est quelque peu assagi. Il n’en reste pas moins que malgré sa date de naissance, Rotrou apparaît comme un prédécesseur de l’auteur du Cid et qu’il semble servir de médiateur entre le vieil Hardy et le grand Corneille. Sa vie, en tout état de cause, est tout unie. Issu d’une famille fort à son aise, Rotrou fait de bonnes études à Dreux, puis à Paris. Il n’a pas vingt ans lorsqu’il donne au théâtre sa première pièce, l'Hypocondriaque, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1628 et dont s’inspirera Gœthe pour son opérette Lila. Avocat, il ne semble pas que Rotrou ait plaidé, il recherchait des protecteurs à la cour et vivait du produit de ses pièces. Vers 1632, il était probablement fournisseur attitré de l’hôtel de Bourgogne, comme l’avait été Hardy, et sa fécondité était extrême comme celle de son prédécesseur. Rotrou affirmait en 1634 avoir composé trente pièces; de celles qu’il cite il ne nous en reste qu’une dizaine; au total nous possédons le texte de trente-cinq pièces dont vingt-deux furent imprimées, protégé par Richelieu, Rotrou fit partie de la société des cinq auteurs qui travaillaient sous la direction du cardinal et collabora à la Comédie des Thuileries, jouée en 1635. Rotrou se distingua de ses confrères en ne participant pas à la trop fameuse querelle du Cid et en ne cachant pas son admiration pour Fauteur; toutefois il ne lui apporta pas l’aide que la légende lui attribue. En 1639, Jean de Rotrou revient dans sa ville natale, comme lieutenant particulier au bailliage, s’y marie et y a six enfants. Il n’en continue pas moins à composer pour le théâtre mais a un rythme ralenti; il publie cinq tragi-comédies, cinq tragédies, et quatre comédies, parmi lesquelles ses chefs-d’œuvre, Le Véritable Saint-Genest (1646), Venceslas (1647) et Cosroès (1649). Rotrou cependant restait fidèle aux extravagances littéraires de sa jeunesse, on le vit bien quand il publia sa tragédie de Crisante qui se déroule dans une chambre tapissée de deuil et en présence d’une tête coupée, et dont l’action compte deux évanouissements, un meurtre et trois suicides, mais son évolution vers le classicisme se marque dans les trois dernières grandes pièces et surtout dans la toute dernière, Cosroès, tragédie parfaitement régulière et où les morts violentes — Rotrou ne saurait s’en passer — ont toutes lieu dans les coulisses. Fonctionnaire consciencieux et même héroïque, Rotrou refuse de quitter son poste de lieutenant au bailliage de Dreux lors d’une épidémie de fièvre pourprée qui ravage la ville ; il meurt dans sa charge, atteint à son tour par la maladie. Hormis ses dernières grandes œuvres, Rotrou est avant tout un auteur de tragi-comédies, le premier Français qui se soit inspiré du théâtre classique espagnol. Tout s’y passe dans dés pays imaginaires, les personnages n’y sont que des silhouettes, l'Intérêt se concentre sur l’action, compliquée, tourmentée, souvent parfaitement invraisemblable, la plupart des héros sont des forcénés. La violence cependant s’y colore d’une préciosité dont les excès atteignent à un comique involontaire. Même complication dans les comédies, les Ménechmes (1636), les Sosies, toutes deux imitées de Plaute, et La Sœur, dont l’intrigue est tissée de tant de fils disparates que le spectateur — et parfois même l’auteur — ne s’y reconnaît plus.