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Rezvani


Serge de son prénom, Rezvani est né en 1928 à Téhéran, d’un père persan et d’une mère russe émigrée. Vient en France à l’âge d’un an. Enfance dans le Midi. En 1945, monte à Paris pour faire de la peinture. Après l’échec d’un premier mariage, rencontre Lula qu ’il épouse en 1951 et avec qui il partage sa vie. d'artiste parisien avant de se retirer, toujours en sa compagnie, dans un village des Maures où il se mettra à écrire et à composer de la musique et des chansons. Après le succès des Années-Lumière et des Années Lula en 1967 et 1968, il obtient en 1971 le grand prix de l’humour noir pour sa pièce Le Rémora. Enfin, en 1977, son dernier roman Feu lui a valu la consécration de la critique.
Les Années-Lumière est une énorme autobiographie lyrique, pleine de verve, inondée par une prose baroque échevelée au service d’un jeu bouillonnant de la mémoire. C’est l’histoire d’un fils d’une émigrée russe et d’un persan prestidigiteur et quelque peu mage, sur fond de guerre de 40, d’occupation et de Libération. L’enfant s’invente son vocabulaire en même temps que son univers, se construit sa mythologie de fourmis-lions, de voyages fantômes, et de moules-cannibales, tandis que, en contrepoint, surgit le présent de l’auteur-narrateur, son bonheur quotidien avec Lula qui partage sa lutte avec les démons de l’écriture. Lula qui devient l’objet-sujet du deuxième volet de l’autobiographie : Les Années-Lula. Rezvani, délaissant le kaléidoscope éclaté de son enfance troublée, exalte ici les dix-sept ans de sa vie et de sa félicité avec Lula, au moyen du même foisonnement de mots, de la même densité verbale, la même sensualité plastique et stylistique. Dans la mise à nu de son intimité, Rezvani n’échappe pas à l’impudeur, mais cette absence de masques et de paravents est tout à fait volontaire. Par cette provocation permanente de ce bonheur amoureux jeté au grand jour et à la face du monde, Rezvani et Lula disent « non » à la mort de l’amour et de la beauté qu’orchestre notre société modelée par le « métro-boulot-dodo ». Est-ce un hasard si ce livre est paru en 1968 ? Contestant la non-civilisation du supersonique et du béton, s’élève alors un poème à l’amour fou dont le leitmotiv est qu’il faut « vivre comme on se rêve ». Dans Mille aujourd’hui Rezvani stigmatisera encore la « Babel électronique » qui nous écartèle. « Il serait temps de refaire confiance à nos corps pour palper la réalité, retrouver un monde. » C’est ce que fait Maria dans Feu au cours d’une grandiose scène d’amour avec le bûcheron espagnol incendiaire et révolté. Mais avant d’en arriver là, il faut détruire. Et dans Coma, Les américanoïaques et La voie de l’Amérique, trois romans publiés en même temps en 1970 par un auteur prolixe, Rezvani se livre à une vision désespérée de notre monde, dans une ambiance constante de catastrophe cosmique et d’apocalypse. Les américanoïques proposent une politique-fiction où deux clochards beckettiens, Cypriuche et Loupiotte, tuent les marins américains en escale sur la Côte d’Azur. Ils se retrouveront enfermés dans un camp de la CIA tandis que les Chinois... Pas moyen de s’évader de cet univers d’abjection et de pollution généralisées. Ainsi le jeune écrivain et peintre de La Voie de l’Amérique, guéri du mythe du voyage, et brisé par la laideur d’une société livrée à la planification et à la mécanisation, ne pourra renaître de ses cendres, comme un Quetzalcoalt déchu, que par un bain forcé dans une mer archi-polluée. Tels sont les livres les plus désespérés et les plus polémiques de Rezvani à mettre en parallèle avec son théâtre, et notamment Capitaine Schelle, Capitaine Ecco. Cette pièce a été montée par J.P. Vincent et J. Jourdeuil au T.N.P. Salle Gémier en 1971. C’est une satire grossière mais percutante de la société capitaliste occidentale. Rezvani y dénonce le triumvirat : « maître, flic, esclave ». Nous sommes sur un bateau, un yacht-pétrolier, en compagnie des grands de ce monde qui font d’ordinaire les manchettes de la presse à sensation. Obéissant à son optimisme foncier, cependant, l’auteur fait vaincre la révolte des « pétroles bruts » qui sont gardés à fond de cale. La révolution est possible. Nous pouvons nous sauver nous-mêmes. Influencé par Céline et Henry Miller, Rezvani appartient à la lignée des écrivains visionnaires. D’aucuns lui ont reproché de jouer trop complaisamment au prophète sans proposer des solutions de combat. A quoi il répond qu’il y a urgence. « L’important étant de ne pas participer. » Qu’il suffise donc d’écouter la très belle voix de celui qui, dans Feu, donne la pleine mesure de son lyrisme violent et sensuel pour nous faire partager ses aspirations et communier avec les grands mythes qui nous irriguent.
► Bibliographie : Romans Les Années-Lumière, 1967, Flammarion ; Les Années Luta, 1968, Flammarion; Coma, 1970, Christian Bourgois; Les Américanoi'aques, 1970, Christian Bourgois; La Voie de l'Amérique, 1970, Christian Bourgois; Mille aujourd'hui, 1972, Stock; Le portrait ovale, 1976, Gallimard; Feu, 1977,Stock; Théâtre Le rémora, 1970, Stock, collection Théâtre ouvert; Body, L'Immobile, Le Cerveau, 1970, Christian Bourgois; Capitaine Schelle, Capitaine Ecco, 1971, Stock, collection Théâtre ouvert ; Le Camp du drap d'or, 1972, Stock, collection Théâtre ouvert