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REVERDY Pierre

REVERDY Pierre 1889-1960
De son enfance libre aux flancs de la Montagne Noire, de la mémoire aussi de plusieurs de ses ancêtres tailleurs de pierre ou sculpteurs, ce narbonnais gardera un profond amour de la nature, du minéral surtout, et un attachement aux volumes plutôt qu'aux couleurs. Aussi, venu à Paris sitôt ses études terminées, se lie-t-il aux cubistes. Seize ans durant il vivra du côté du Bateau-Lavoir, rue Carignan (voir aussi Max Jacob), où il écrira ses premiers livres, des recueils de poèmes: Poèmes en prose (1915), dont on a pu dire qu'ils étaient des poèmes cubistes; La Lucarne ovale (1916), Les Jockeys camouflés (1918), Cravates de Chanvre (1922), Epaves du Ciel (1924) et deux recueils de notes intimes, Self Defence (1919) et Gant de Crin (1927) où il consigne ses réflexions esthétiques. En 1926 Reverdy quitte Paris pour s’installer près de l’Abbaye de Solesmes. On a parlé de conversion à son propos; il semble toutefois qu’il s’agisse plus d’une conversion poétique que religieuse: à ses yeux la poésie cesse d’être une fin — l’art pour l’art, la vie pour la vie sont deux points morts, écrit-il — et devient une fin en retrouvant un objet spirituel. A part pour de rares voyages, il ne bougera guère de sa retraite où il composera Sources du Vent (1929), Flaques de Verre (1929), Ferraille (1937), Le Chant des Morts (1948), tout en continuant ses carnets de notes: Livre de mon Bord (1945) et En vrac (1949). Après avoir rassemblé ses poèmes antérieurs dans deux recueils qu’il nommera Plupart du Temps (1945) et Main d'œuvre (1949), il meurt, à Solesmes, en 1960. Pierre Reverdy peut être considéré, avec Apollinaire, comme le fondateur de la poésie moderne. Son influence sur les jeunes poètes, les surréalistes en particulier, a été capitale. Ce n’est pas pour autant que son œuvre doit être négligée: lyrique et réaliste à la fois, elle est l’une des plus originales et des plus profondes de ce siècle.


REVERDY Pierre. Poète français. Né à Narbonne (Aude) le 13 septembre 1889, mort à Solesmes (Nord) le 17 juin 1960. « Mauvaises études, triste ville », dit-il pour caractériser les premières années qu’il passe dans sa ville natale. En 1910, il vient s’installer à Paris, où il fut « favorisé de la vie dure dans tous ses détails ». De 1910 à 1914, il vit la « merveilleuse aventure » que sera sa rencontre au Bateau-La voir des peintres Juan Gris, Picasso, Braque, et des poètes Max Jacob, Apollinaire. Il part pour la guerre comme engagé volontaire. Réformé, il revient à Montmartre et travaille comme correcteur dans une imprimerie où il compose lui-même ses premières plaquettes, Les Poèmes en prose (1915), illustrées par Juan Gris et Henri Laurens, La Lucarne ovale (1916) et Quelques poèmes (1916), un roman, Le Voleur de Talan (1917), Les Ardoises du toit (1918) avec, pour la deuxième édition, des dessins d'Henri Matisse, Les Jockeys camouflés (1918), avec des dessins de Juan Gris, La Guitare endormie (1919), un essai de critique esthétique, Self Défense (1919). En 1916, il avait collaboré à la revue Sic fondée par Pierre Albert-Birot, avant de créer, en 1917, la revue Nord-Sud où il défend « l’esprit nouveau » tel que le conçoit Apollinaire et où il incite poètes et peintres à entrer en contact. En 1926, il traverse « le cercle de feu et de glace » de la religion et se convertit, très temporairement, au catholicisme. Il se retire alors à Solesmes où il restera jusqu’à sa mort. Cependant, dans le silence, il poursuit son œuvre de poète et d’essayiste. Ses réflexions sur l’art, il les a condensées dans Le Gant de crin (1926) et Le Livre de mon bord (1948), avant de les prolonger dans En vrac (1956). Après Ferraille (1937) où son œuvre poétique atteint sans doute son inspiration la plus haute, Reverdy donne de courts recueils comme Le Chant des morts (1944-1946) avant de rassembler l’ensemble de son œuvre poétique dans Plupart du temps (poèmes de 1915-1922) publié en 1945 et Main-d’œuvre (poèmes de 1913-1949) paru en 1949. La poésie de Pierre Reverdy est à l’image de l’homme. Solitaire et secrète. Mais elle a ses fervents. Elle se situe au confluent de plusieurs tendances. D’abord, elle a quelque ressemblance avec l’âpre Montagne Noire où ont vécu ses ancêtres, qui furent sculpteurs dans la pierre et dans le bois. Pour avoir fréquenté les peintres cubistes, Reverdy a senti se renforcer en lui son penchant pour l’aspect construit du poème. « La logique d’une œuvre-d’art, c’est sa structure. Du moment que cet ensemble s’équilibre et qu’il tient, c’est qu’il est logique. » Et pourtant le courant réaliste s’est reconnu dans les premières œuvres de Pierre Reverdy. Et, de même, le surréalisme. Dans le Premier Manifeste du surréalisme (1924), André Breton déclare qu’il fait sienne la définition que Pierre Reverdy donne de l’image, pour l’appliquer à l’image surréaliste. Dans le numéro de mars 1918 de la revue Nord-Sud, Pierre Reverdy écrivait : « L’image... ne peut naître d’une comparaison, mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte — plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique. » Dès 1916, il exerce donc une indéniable influence sur la jeune poésie comme l’affirme Aragon : « Il était pour nous, quand nous avions vingt ans, Soupault, Breton, Eluard et moi, toute la pureté du monde. Notre immédiat aîné, le poète exemplaire. » Mais Reverdy ne fit que traverser le surréalisme car, selon lui, « l’art est une discipline, il n’y a point d’art sans discipline, il n’y a point d’art personnel sans discipline personnelle ». Déclaration qui marque fortement combien à jamais Pierre Reverdy se tint à l’écart de l’écriture automatique pratiquée entre autres par André Breton et Philippe Soupault. Sa recherche d’une poésie toute personnelle se confond avec la quête essentielle du mystère de l’existence, de l’absolu. Il a très bien perçu, au départ, que la disposition typographique d’un poème sur la page blanche — et son travail dans une imprimerie l’y prédisposait — pouvait apporter des lignes de fuite vers autre chose que les mots. Mais, sous l’influence du cubisme, il va retrancher toujours davantage de son langage ce qui risquerait d’apporter une note pittoresque, et jusqu’à l’image capable de troubler l’ordre interne et rigoureux du poème. Il faut que les êtres, les objets seuls finissent par transparaître dans le silence. André Malraux l’a bien vu, qui dit : « Le poème régulier est un développement; celui qu’instaura Reverdy était une synthèse. Pour y parvenir, il remplaça la ponctuation par un système de blancs, et infligea à ses œuvres un dépouillement chirurgical. » Ce dépouillement, sa conversion au catholicisme va encore le renforcer. Car loin de tenter d’opérer une appropriation du langage par l’objet comme Ponge l’essaiera plus tard, Pierre Reverdy s’efforce de restituer le « lyrisme de la réalité ». Lyrisme secret, atténué et comme contradictoire, qui demande au poète de gratter les mots jusqu’à ce qu’ils perdent leur brillance, d’effacer le rythme qui retiendrait indûment l’attention du lecteur, pour tenter de découvrir derrière les simples moments de la vie quotidienne un mystère en suspens. Ne pas élever la voix, se parler à soi-même, ne pas effaroucher le silence. Ainsi seulement le poète a-t-il quelque chance de trouver un « contact avec le destin » car les poèmes sont, comme il le dit dans Le Gant de crin, « les cristaux déposés après l’effervescent contact de l’esprit avec les réalités ». Faire de Pierre Reverdy un poète de la signification ouverte serait se tromper. Pour lui, la poésie introduit une lacune dans le monde ordinairement perçu : « La poésie est dans ce qui n’est pas. Dans ce qui nous manque. Dans ce que nous voudrions qui fût. Elle est en nous à cause de ce que nous ne sommes pas. » Définition qui fait penser à quelque notion de théologie négative, à une approche par le « non » d’une réalité trop inaccessible pour que le « oui » « puisse jamais espérer la circonscrire. « La poésie, c’est le lien entre nous et le réel absent. C’est l’absence qui fait naître tous les poèmes. » Pierre Reverdy ne se lasse pas de s’interroger sur le mystère essentiel de la poésie. Elle finit par devenir le substitut de cette religion catholique où il n’a fait qu’un court séjour parce qu’elle se cantonnait par trop, pour son goût, dans un moralisme étroit. « Quand la morale prévaut, c’est le plus sûr indice de décadence pour la religion. » Chez lui, et de plus en plus, ce qui importe, c’est l’attente religieuse, si intense qu’à un moment de son existence elle a remplacé même la poésie. Et quand il est revenu a celle-ci, c’est avec une exigence plus grave. Si Dieu s’est tu en lui, il lui reste la nostalgie de ce qu’il a entrevu de cette présence. « Pour calmer la souffrance de ne pouvoir aller au-delà de nos limites — se replier souvent en deçà de nos limites. » On ne saurait parler de ruptures dans la continuité de l’œuvre, dans l’esprit qui l’anime. Mieux vaut penser à une évolution dans le sens de l’approfondissement. Le poète qui déclarait : « Il faut marcher vers cette lumière dans l’ombre... Il fait jour là-haut. Dans le bas, laissons aller ce triste mouvement, ce va-et-vient du fond de l’air désespéré qui finira au coin discret de l’univers où on aligne les cadavres », c’est celui-là même qui, opérant un mouvement réflexif, aboutit à ce que l’on pourrait nommer une ascèse esthétique. Dix ans avant de mourir, laissant de côté les problèmes de l’image, les problèmes des moyens d’expression, il s’interroge sur les motifs qui engagent le poète et son lecteur à participer à une même communion sous le signe du poème. Ce n’est pas l’émotion spontanément dite qui compte mais la façon de la dire. Le timbre qui exprime, révélateur de la source profonde d’où elle jaillit, voilà ce qui « permettra la soudure d’âme à âme dans le choc-poésie ». Et pour conclure, voici la définition que donne Reverdy de l’art qu’il a pratiqué avec tant d’exigence : « Et ce passage de l’émotion brute, confusément sensible ou morale, au plan esthétique où, sans rien perdre de sa valeur humaine, s’élevant à l’échelle, elle s’allège de son poids de terre et de chair, s’épure et se libère de telle sorte qu’elle devient, de souffrance pesante du cœur, jouissance ineffable de l’esprit, c’est ça la poésie ».

♦ « Le côté journellement vécu de sa poésie où réalité du dehors et du dedans se répondent sans chatoiements de vocabulaire ou de syntaxe, l'allure qu'elle revêt d'angle de vue sous lequel le monde est une fois pour toutes appréhendé plutôt que celle de refonte qu'on choisit de lui imposer. » Michel Leiris. ♦ « Poésie dramatique donc, pathétique, poésie d'expression intérieure, de l'ecce homo, cristallisant en de brèves et fortes paroles. » Gaétan Picon.