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Réjean Ducharme

Romancier canadien français né en 1942 à Saint-Félix de Valois (Québec). A fait divers métiers (manœuvre, vendeur, employé de bureau), voyagé aux Etats-Unis, au Mexique entre autres («a voyagé sur le pouce », dit-il). On a longtemps cru, à l’époque de ses premiers livres, qu ’il s'agissait d’un personnage mythique et anonyme derrière lequel se cacherait un écrivain plus connu (on parla même de Queneau !). En vérité, malgré une existence fantomatique qui n ’est pas sans rappeler celle de notre Emile Ajar (Prix Concourt 1975 pour la Vie devant soi) on sait aujourd’hui que Réjean Ducharme vit sur l’île Saint-Ignace de Loyola à Berthier dans le Québec. De son premier, l’Avalée des avalées (1966), à son dernier, les Enfantômes (1976), Réjean Ducharme nous a donné à travers ses six romans l’une des œuvres les plus fortes venues du Canada français. D’aucuns l’ont comparé à Queneau ou Céline, et J.M.G. Le Clézio le gratifia d’un article retentissant tissant paru dans le Monde lors de la parution de l’Océantume (1968) et intitulé « De la guerre apache appliquée au roman ». Cette œuvre, fille d’une jeunesse ironique et amère, est en effet placée sous le double signe de l’enfance et de la provocation. On retrouve dans les différents romans des thèmes, une structure et un style très semblables. Dans l'Avalée des avalées comme dans les Enfantâmes, il s’agit du monde de l’enfance face à celui des adultes. Bérénice Einberg est ballotée entre un père juif et une mère canadienne qui ne cessent de s’envoyer des injures et des coups à la tête, de se séparer pour se réconcilier ; de même, le couple Alberta / Vincent dans les Enfantâmes. Les deux familles vivent dans une île (comme l’auteur) et Bérénice porte à Christian, son frère aîné, l’amour que Vincent porte à sa sœur Fériée. Cultivant leur « paradis perdu de l’enfance », ces deux personnages cultivent aussi leur haine « huronique » (Ducharme est maître enjeux de mots signifiants) à l’égard de la « vacherie de vacherie » d’existence. Mais comme l’a écrit très justement Maurice Nadeau, « le vitrioleur est un tendre » et l’humour acéré n’est qu’un paravent pour les cris, les pleurs, la nostalgie, l’imagination et l’amour. Man Falardeau, la mère de Vincent dans les Enfantâmes, et sa sœur Fériée sont mortes toutes les deux. « Chaque battement vigoureux de mon cœur superflu m ’éloigne un peu plus d’elles. Mais je me rattrape : je me souviens. » Tel est le leitmotiv. « On flirte avec un pincement de cœur, un sourire amer, ou un rire forcé avec la naissance, le trouble de l’enfance. » Mais l’univers de Ducharme ne sombre jamais dans les bons sentiments et c’est toujours avec une pudeur extrême qu’il évoque « l’océantume » (la Mer Tume !) du temps passé, aiguisant sans cesse son propos à l’aide de calembours dérisoires ou révélateurs d’un éclatement des formes linguistiques (qui est le propre des écrivains québécois), tel qu’un « oh à la bouche » ou un « dizziquili-bre » (jeu de mots sur le « dizzy » anglais qui signifie « pris de vertiges »). Romantique irrespectueux de tout, de tous (y compris de lui-même), sauf du rêve et de l’amour, avec l’air de ne jamais se prendre au sérieux, Réjean Ducharme nous agresse avec insolence tout en nous indiquant que l’essentiel dans cet univers de frustration se niche dans la nature et la solitude. Réinventant son langage pour parler sa reconstruction d’un monde selon son cœur (et c’est ici que l’on songe à Queneau), il ne se soucie pas tant de révolutionner le monde, ou de réclamer l’autonomie pour son pays à l’instar d’autres écrivains québécois (Hubert Aquin, par exemple), mais plutôt de trouver en lui-même la force de rire et de pleurer. Sa « patrie », c’est la penderie de Man Falardeau où Vincent s’enfermait, enfant, pour fumer une cigarette, ou encore le steamer enlisé au bord de la rivière Ouareau où vit Iode, l’héroïne de l’Océantume. Avec sa sensibilité d’écorché vif, son côté « nouvelle génération perdue », Réjean Ducharme a le don d’être sentimental avec impertinence, ce qui est rarement conciliable.
► Bibliographie
Tous chez Gallimard : l'Avalée des avalées 1966 ; le Nez qui voque 1967 ; l'Océantume, 1968 ; ta Fille de Christophe Colomb, 1969 ; l'Hiver de force, 1973 ; les Enfantômes, 1976.