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REGNARD Jean-François

REGNARD Jean-François. Poète comique français. Né à Paris le 7 février 1655, mort au château de Grillon le 4 septembre 1709. La vie de Regnard, si on la connaissait mieux — mais on ne la connaît guère que par la relation de ses Voyages —, pourrait être un excellent roman d’aventures. Vrai Parisien, né sous les piliers des Halles, fils de riches marchands qui lui firent donner une excellente éducation, il se trouve, à la mort de son père, à la tête d’une immense fortune. Il se met alors à voyager, visite l’Italie, court les bonnes fortunes, gagne beaucoup d’argent au jeu et revient en France par mer lorsque son navire, en 1678, est capturé par deux corsaires barbaresques et conduit à Alger. Vendu comme esclave, transféré à Constantinople, Regnard, grâce à ses talents de cuisinier, parvient à gagner les bonnes grâces de son maître qui consent à le relâcher, après deux ans de captivité, contre une forte rançon de douze mille livres. Rentré en France, Regnard repart aussitôt, cette fois pour les pays du Nord, traversant d’abord la Flandre et la Hollande, puis gagnant le Danemark et la Suède où il se fait présenter au roi, avant d aller explorer les terres polaires où il découvre « ce petit animal qu’on appelle Lapon». Regnard, après avoir ensuite parcouru les côtes de la Baltique, la Pologne, la Hongrie, la Turquie d’Europe, l’Allemagne, se fixe enfin dans la capitale, achète une charge de trésorier de France, et, assuré d’une brillante aisance, ne songe plus qu’à jouir de sa vie en épicurien lettré : il s’entoure d’amis, de jolies femmes, passe une grande partie de son temps à table, donne des soupers qui connaissent la vogue, et compte parfois parmi ses convives des grands comme le prince de Conti et le prince de Condé. Pour occuper son temps, par distraction, il commence à écrire des comédies pour le Théâtre Italien (La Descente d’Arlequin aux enfers), et, comme le grand Boileau vieillissant vient de donner sa satire Contre les femmes, Regnard, qui n’a aucune raison de se plaindre des personnes du sexe, contre-attaque les maris qu’il montre bru taux, avares, joueurs, débauchés, ivrognes, puis s’en prend à Boileau lui-même dont il imagine, en vers, l’enterrement burlesque, dans son Tombeau de M. Boileau-Despréaux. De 1690 datent L’Homme à bonnes fortunes et Critique de « L’Homme à bonnes fortunes ». Dès 1694, il pénètre au Théâtre-Français avec de petits proverbes comme Attendez-moi sous l’orme et La Sérénade, puis en 1695 avec Le Bal, où il commence a utiliser le vers, qu’il n’abandonnera plus. De la même année date La Foire Saint-Germain, écrite en collaboration. Avec Le Joueur, en 1696, Regnard atteint la grande comedie. Viendront ensuite, en 1697, Le Distrait, imité de La Bruyère, en 1700 Démocrite et Le Retour imprévu, en 1704 Les Folies amoureuses et Le Mariage de la folie, en 1705 Les Ménechmes, enfin en 1708 son chef-d’œuvre, Le Légataire universel suivi de La Critique du « Légataire ». Ayant acheté près de Dourdan, à onze lieues de Paris, la belle terre de Grillon, c’est là qu’il va passer son temps en compagnie de deux beautés célèbres du Paris d’alors, écrivant ses dernières comédies — L’lrrésolu (1713) et La Provençale (1731) —, conviant toute la jeunesse des environs à des parties où il offre, comme il le dit lui-même : « grand’chère, vin délicieux, / Belle maison, liberté tout entière... » On ne sait trop de quoi il est mort : Voltaire prétendait que ce fut de chagrin, mais il est probable que les autres ont raison qui affirment qu’une médecine prise mal à propos l’emporta, après une indigestion. On prétendait un jour devant Boileau que Regnard était un auteur médiocre. « En tout cas, il n’est pas médiocrement gai », répliqua Boileau. Dans notre littérature, Regnard donne en effet l’exemple de la gaieté la plus parfaite. Il est gai, il n’est que cela. S’il lui arrive parfois de mieux monter ses intrigues que ne faisait Molière, il ne faut pas chercher chez lui, comme chez ce dernier, des situations fortes, et surtout des caractères fortement tracés. La seule ressource de Regnard tient à un fonds quasi inépuisable de traits plaisants et de railleries qui témoigne souvent d’une dureté presque inhumaine, d’une totale absence de scrupules chez ses personnages, valets et maîtres ne songeant qu’à inventer les plus bouffons stratagèmes pour berner des vieillards ridicules et gâteux. Héritier de Molière par les circonstances de son œuvre, il est tout son opposé par le caractère, bon vivant, homme de plaisir, « à qui la vie n’est qu’un pur carnaval », ne cessant de rire lui-même pour faire rire les autres, auteur auquel il est impossible de prêter une philosophie, une ambition et une portée morales.
♦ « Regnard... se charge, lui, d'encourager les filous. C’est une chose incroyable qu’avec l’agrément de la police on joue publiquement [sa] comédie au milieu de Paris. » Jean-Jacques Rousseau. ♦ « Il est aisé, c’est bien le mot, c’est sa devise; il est, par le tempérament et par humeur, le plus gai des hommes, il a le rire le plus franc et le plus naturel, le style le plus naïf et du meilleur cru : ne lui en demandons pas davantage. » Sainte-Beuve.