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RACINE Jean

RACINE Jean 1639-1699

Il fut dramaturge avant tout, et le meilleur de sa poésie se trouve diffusément au hasard des milliers de vers qui composent ses chefs-d’œuvre. Il y a dans Phèdre, dans Andromaque, dans Bérénice, d’admirables alexandrins, d’une fluide musicalité qui confinent à la poésie pure et sont parmi ce que l’on a jamais écrit de plus beau dans la manière. Racine a aussi composé des poèmes de circonstance et de la poésie lyrique, dont celle d’inspiration religieuse est de loin la meilleure.

Jean Racine naît le 22 décembre 1639 à La Ferté-Milon, dans une famille janséniste. Sa mère meurt peu après sa naissance. Son père, qui est percepteur des impôts, se remarie. À sa mort, en 1643, il est recueilli par sa grand-mère paternelle qui se retire bientôt à l'abbaye janséniste de Port-Royal dont sa tante, Agnès, deviendra l'abbesse. À 10 ans, Jean Racine est admis aux Petites-Écoles de Port-Royal où il aura pour maîtres en langues anciennes et en logique des érudits jansénistes ; c'est donc une éducation rigoureuse qui pèse sur cet élève brûlant. Il peut enfin s'échapper de Port-Royal en allant faire sa « philosophie » à Paris. Il y rencontre son cousin La Fontaine, s'intéresse au théâtre et à la poésie et préfère, au grand désarroi de son austère famille, le libertinage à l'étude des Saintes Écritures. La troupe de Molière joue sa première pièce, La Thébaïde, en 1664. Il entretient une liaison avec l'actrice Marquise du Parc (dont Corneille était lui aussi amoureux) et se voit couronner, en 1668, par les succès d'Andromaque et des Plaideurs. Louis XIV, qui l'apprécie, le pensionne. Ses tragédies sont des triomphes. En 1673, il entre à l'Académie française. Vannée de Phèdre, en 1677, il se réconcilie avec Port-Royal et épouse, sous la pression du roi, qui aimerait que son poète favori se range, Catherine de Romanet ; il devient, avec son Boileau, historiographe du roi, charge habituellement interdite aux roturiers. Catherine de Romanet, issue d'un milieu bourgeois, va lui donner sept enfants. Sa discrétion est telle que jamais elle n'ira voir les pièces de son époux, ni ne se montrera à Versailles (elle vivra jusqu'en 1730). À la Cour, on envie ce bourgeois qui est le seul à entrer librement au lever du roi et à qui Louis XIV demande de coucher dans sa chambre, lors de ses insomnies. Racine lui déclame alors des extraits de ses pièces. À la demande de Mme de Maintenon, il écrit Esther et Athalie. Pourtant cet homme comblé, que Louis XIV a nommé gentilhomme ordinaire, subit en 1698 la disgrâce de son monarque qui lui reproche de s'être rapproché des jansénistes. Racine tombe malade. Le 7 janvier 1699, il assiste, épuisé, au mariage de la seule de ses cinq filles qui ne soit pas devenue religieuse. Nul n'ignore qu'il est atteint d'une tumeur au foie. Le roi fait parfois prendre de ses nouvelles. Boileau l'assiste dans sa longue agonie. Il s'éteint le 21 avril 1699, à 60 ans. Il est enseveli, selon sa volonté, au cimetière de Port-Royal-des-Champs. Parmi ses œuvres, La Thébaïde ou les Frères ennemis (1664), Alexandre (1665), Andromaque (1667), Les Plaideurs (1668), Britannicus (1669), Bérénice (1670), Mithridate (1673), Iphigénie (1674), Phèdre (1677), Esther (1689), Athalie (1691), un fragment de l'Histoire du règne de Louis XIV et l'Abrégé de l'histoire de Port-Royal. Peintre du sublime et des grandes passions, il a réalisé l'idéal de la tragédie classique.

Poète tragique français, né à La Ferté-Milon en 1635. Orphelin de bonne heure (1643), il fut éduqué au collège janséniste de Beauvais, puis au collège d’Harcourt à Paris. Après un séjour dans le Midi, il regagna la capitale où il donna, jouée par la troupe de Molière, sa première pièce : La Thébaïde ou les Frères ennemis (1664). L’année suivante, il donna Alexandre, qui eut un franc succès mais lui valut sa rupture avec Molière auquel il avait retiré la pièce. A cette époque, il rompit aussi avec Port-Royal. Avec Andromaque (1667), sa notoriété fut totale. Il produisit alors une série de chefs-d’œuvre qui firent de lui le rival du vieux Corneille: Les Plaideurs (1668), Britannicus (1669), Bérénice (1670), Mithridate (1673), Iphigénie (1674) et Phèdre qui fut pourtant sifflée. S’éloignant de la scène, il se maria et se consacra désormais à l’éducation de ses sept enfants. Il connut en même temps une crise de conscience qui le fit se rapprocher des jansénistes vis-à-vis desquels, depuis dix ans, il avait manifesté une cruelle ingratitude. Le reste de sa vie, marqué par un retour sincère à la religion, s’écoula entre sa famille et son souverain dont il était devenu l’historiographe et à qui il vouait une admiration réelle. Il écrivit encore Esther (1689) à la demande de Mme de Maintenon, puis Athalie (1691). Il mourut à Paris en 1699 et fut enseveli, selon sa volonté, au cimetière de Port-Royal-des-Champs. On a de lui, en outre, un fragment de l'Histoire du règne de Louis XIV et Y Abrégé de l’histoire de Port-Royal. Peintre du sublime et des grandes passions, il réalisa l’idéal de la tragédie classique.

RACINE Jean. Il naquit en décembre 1639 — baptisé le 22 de ce mois, il est possible qu’il soit né le jour même —, à La Ferté-Milon (Aisne), gros bourg provincial, où sa famille occupait, depuis des générations, des fonctions administratives. Son père avait une charge, d’ailleurs médiocre, au Grenier à Sel (administration des impôts indirects). L’enfant perdit sa mère, Jeanne Sconin, le 28 janvier 1641, il n’avait que treize mois; son père, qui s’était remarié, mourut le 6 février 1643. L’orphelin de trois ans, resté sans aucune fortune, fut recueilli par sa grand-mère, Marie des Moulins, qui était en même temps sa marraine. Celle-ci devait bientôt se retirer auprès du monastère de Port-Royal. Racine, après avoir passé quatre ans (1651-1655) au Collège de Beauvais, eut ainsi la chance de recevoir, dans les écoles qu’avaient organisées les Solitaires, aux Granges, une éducation très solide. L’ancien avocat Antoine Le Maître, le moraliste Nicole, l’helléniste Lancelot, d’autres encore, furent ses professeurs. Plus qu’une formation morale, c est une formation intellectuelle que lui assura Port-Royal. Dans ce centre spirituel, où des membres de quelques-unes des plus grandes familles du royaume s’étaient retirés, il put également nouer certaines relations qui, par la suite, devaient lui être fort utiles dans sa carrière. En 1660, après avoir fait une année de logique au Collège d’Harcourt, il se trouve à Paris sous la protection de son cousin Nicolas Vitart, qui est l’homme de confiance des Chevreuse. Il fait le bel esprit et se passionne pour la littérature. Il songe déjà au théâtre, mais la pièce (perdue) qu’il a composée, L’Amasie, ne trouve pas grâce devant les comédiens. Au contraire, une ode officielle célébrant le mariage du Roi, La Nymphe de la Seine — Poésies — remporte un véritable succès et attire l’attention de Chapelain, alors le personnage le plus important du Parnasse. La vocation littéraire du jeune homme est déjà pleinement attestée, mais à une époque où le métier d’auteur est misérable, un orphelin sans fortune ne saurait songer à vivre de sa plume. Racine, selon une pratique courante de son temps, va essayer de se faire conférer un bénéfice ecclésiastique qui assurera sa vie matérielle, tout en ne lui imposant que fort peu d’obligations. Dans cette intention, il se rend à Uzès chez son oncle Sconin, qui occupait les fonctions de vicaire général auprès de l’évêque. Dans cet exil, il écrira force lettres ingénieuses — v. Lettres — et sa vocation littéraire s’affermira. Revenu à Paris en 1663 sans avoir obtenu le bénéfice escompté, il se décidera — si décrié le mot soit-il — à devenir un auteur. Mais, pendant son absence, Colbert, aidé de Chapelain, a mis sur pied tout un système de gratifications et de pensions aux gens de lettres, destiné à faire des écrivains les chantres de la gloire du règne. Le Roi ayant été malade, Racine compose une Ode sur la convalescence du Roi — Poésies — qui lui fera obtenir en 1664 une pension. Cette gratification annuelle, que le Roi accordait aux gens de lettres qui, jugeait-il, illustraient son règne, Racine devait la conserver jusqu’à sa mort. Connu en tant que poète officiel, il n’en continuait pas moins de s’intéresser avant tout au théâtre. A première vue, il semblait relativement aisé de s’y faire une place. Le grand Corneille déclinait; son frère Thomas ne jouissait pas d’une autorité reconnue; Quinault, malgré ses succès, était vivement critiqué; l’abbé Boyer restait, de l’avis général, un auteur abondant mais médiocre. En réalité pourtant, il n’y avait à Paris que trois théâtres, et il était très difficile de se faire jouer. C’est après plusieurs tentatives infructueuses que Racine réussit à faire accepter par Molière, le directeur du théâtre du Palais-Royal, sa tragédie: La Thébaïde ou les frères ennemis. Représentée en juin 1664, cette pièce n’eut pas grand succès. Son auteur l’avait pourtant mise sous la protection du duc de Saint-Aignan, qui était à la cour le grand seigneur qui s’intéressait le plus à la littérature. Mais dans cette tragédie éloquente et conventionnelle, où la psychologie reste sommaire, il était certes difficile de déceler un génie qui ne s’était guère encore révélé. Alexandre le Grand au contraire, joué en décembre 1665, séduisit les contemporains par ses situations piquantes et, plus encore, par son tour galant. Cette tragédie peut paraître fade et fausse, mais on eut en 1665 le sentiment qu’un grand dramaturge était né. En outre, Racine avait forcé l’attention en ayant à l’égard de Molière un procédé très insolite : après la quatrième représentation de sa pièce, il l’avait donnée aux comédiens du théâtre rival, l’Hôtel de Bourgogne. Cette sorte de trahison, qui devait brouiller à jamais Racine et Molière, fit à la pièce une certaine publicité. Mais elle donna du caractère de son auteur une idée peu avantageuse. Racine apparut comme un homme avide de succès et de gloire, qui n’était pas disposé à s’embarrasser de scrupules quand son intérêt était en jeu. On le vit bien, à peu près au même moment, lors de sa querelle avec Port-Royal. Nicole, dans une brochure qui ne visait nullement Racine, avait rappelé la condamnation traditionnelle du théâtre par l’Eglise, et le peu d’estime qu’on avait alors dans le monde pour la profession d’auteur dramatique. Racine tint à se poser en défenseur du théâtre, prit à cœur de justifier socialement la condition de poète, et ne craignit pas d’attaquer, d’une manière d’autant plus violente qu’elle était spirituelle et méchante, Port-Royal et ses anciens maîtres. C’est à l’Hôtel de Bourgogne que, de même que les pièces qui suivirent, fut représentée en novembre 1667 la tragédie d'Andromaque. Elle eut un succès presque comparable à celui du Cid trente ans plus tôt, et c’est d’elle que date la véritable gloire de Racine. Un nouveau type de tragédie, avec à la fois plus de rigueur dramatique et plus de poésie tragique, était né. On ne fut que plus surpris de voir le jeune auteur qui venait de s’illustrer ainsi abandonner le genre noble de la tragédie pour brocher une comédie souvent bouffonne : Les Plaideurs. Mais ce « caprice », qui remplit la fin de l’année 1668, amusa la cour et le roi. Au reste, comme il l’écrivit lui-même de façon méprisante, il n’attendait pas un grand honneur d’avoir ainsi « réjoui le monde », et il ne s’attarda pas dans le comique. En décembre 1669, il fait représenter la plus « pompeuse » de ses tragédies, Britannicus, où se déploie toute la grandeur romaine. Dans un tel domaine, il devait nécessairement se heurter à Corneille, qu’il attaquera violemment dans sa préface, lors de la publication de la pièce. Les nombreux partisans de Corneille vieilli, et les ennemis du jeune auteur dont le caractère ombrageux ne plaisait guère, se déchaînèrent contre la nouvelle tragédie. Mais c’est avec Bérénice, en novembre 1670, que le combat contre Corneille devait mener a une victoire décisive. Il semble que ce soit Racine qui ait tenu à rivaliser avec son aîné et à faire vivre les mêmes personnages que celui-ci met en scène dans son Tite et Bérénice, joué également en novembre 1670. Quoi qu’il en soit, c’est la Bérénice de Racine qui, représentée plus de trente fois, chiffre énorme alors, souleva l’enthousiasme du public. On applique désormais à Racine la fameuse épithète de « tendre » qui lui restera par la suite... Bajazet, représenté tout au début de l’année 1672, montra combien le génie racinien était divers. Bérénice avait vérifié le principe énoncé dans sa préface qu’« il n’est pas nécessaire qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie »; l’action y était tout intérieure et aucun coup de théâtre n’intervenait. Bajazet, au contraire, est un drame sanglant où les événements se précipitent jusqu’à la catastrophe finale. Le public fut surtout sensible au décor oriental — que les critiques d’ailleurs jugèrent insuffisamment turc. En janvier 1673, Mithridate marque un retour à cette Antiquité qui est le domaine traditionnel de la tragédie classique. Les effets tirés de la politique grandiose de l’ennemi des Romains s’y combinent à ceux d’une intrigue amoureuse. Le succès de cette pièce coïncide avec l’échec de ce qui devait être l’avant-dernière tragédie du grand Corneille. Racine a désormais le droit de se considérer comme le plus grand dramaturge du temps, et il peut compter sur l’attention bienveillante du Roi, qui conservera toujours une préférence pour Mithridate. La réussite de Racine est éloquemment attestée par le fait que la tragédie qui suit, Iphigénie en Aulide , fut créée en août 1674 à la cour; elle fut le clou d’une des fêtes les plus somptueuses de la monarchie, que donna le Roi à Versailles à son retour de sa campagne de Franche-Comté. Représentée à Paris cinq mois plus tard, la pièce remporta l’un des plus grands succès du siècle par son caractère touchant. Quand Phèdre fut jouée en janvier 1677, cette tragédie se trouva en concurrence avec une pièce : Phèdre et Hippolyte, sur le même sujet, que donnait le théâtre rival. Ces sortes de concours étaient alors courants, mais le jeune auteur qui osait ainsi se mesurer à Racine, Pradon, avait eu l’habileté de se ménager des appuis efficaces. En dépit des efforts de Racine, qui monta une cabale pour lutter contre celle de son adversaire, la pièce de Pradon eut d’abord un certain succès. Elle était soutenue en particulier par la coterie du duc de Nevers. Ce grand seigneur qui se piquait de poésie fut alors attaqué de la manière la plus outrageante dans un sonnet qu’on attribua à Racine. Celui-ci n’en était pas l’auteur; il eut pourtant quelque difficulté à se disculper. Il n’est pas sûr que la réussite de sa pièce, qui triompha bientôt de celle de Pradon, l’ait entièrement consolé de tous ces mécomptes. Pendant les treize années de la carrière théâtrale qu’il venait de parcourir, Racine n’avait jamais négligé sa situation mondaine. Tout en écrivant pour le théâtre, il s’était toujours comporté plus en courtisan qu’en auteur. Les souvenirs de Port-Royal avaient fait de lui un ami de la grande famille des Chevreuse, et ceux-ci l’avaient présenté à Colbert, à qui il avait dédié Bérénice. C’est à la protection du grand ministre qu’il devra d’entrer à l’Académie française en 1673, et surtout d’obtenir la charge de trésorier de France à Moulins, sinécure très précieuse tant sur le plan matériel que sur le plan mondain. Il était devenu l’ami de Boileau au moment où celui-ci se poussait à la cour, et les deux poètes allaient désormais représenter la littérature auprès des gens du monde. Quand ils auront réussi à se glisser auprès de Mme de Montespan et de sa sœur, Mme de Thianges, leur succès sera assuré. A cette époque où on n’avait que mépris pour ceux qui vivaient de leur plume, Racine n’a jamais été considéré comme un homme de lettres parmi les autres. C’est bien pour cela qu’il a été presque universellement détesté par ses confrères en littérature. Le ton amer ou âpre de plusieurs de ses préfaces montre assez la violence de la lutte qu’il a dû soutenir. Loin de se laisser aller à la bohème des gens de théâtre, il a eu un goût marqué pour la sécurité bourgeoise : il s’est toujours préoccupé de faire des économies ou d’effectuer des placements sûrs. Ses liaisons successives avec ses deux principales interprètes, la Du Parc et la Champmeslé, ont été relativement discrètes, et ont eu, semble-t-il, un caractère en grande partie professionnel. Surtout à partir de 1675, il y a chez cet écrivain un désir de respectabilité et une ambition sociale que le théâtre n’est guère en mesure de satisfaire. Il ne faut donc pas être trop surpris de voir Racine, au cours de l’été 1677, accepter la mission d’écrire l’histoire officielle du Roi. Les fonctions d’historiographe représentent en effet pour lui, ainsi que pour Boileau avec qui il les partage, une promotion considérable. Elles lui permettent d'approcher le Roi qui, dans ce gouvernement absolu et cette société centralisée, est le foyer de toute faveur, et qu’il accompagne dans plusieurs de ses expéditions militaires, en 1678, 1683 et 1687. En outre, les victoires militaires et les conquêtes du Roi provoquent alors précisément un prodigieux courant d’enthousiasme; chacun se préoccupe des moyens d’éterniser la gloire du monarque. C’est un immense honneur pour Racine et Boileau d’être chargés par le Roi lui-même de faire passer à la postérité la mémoire de ses grandes actions — v. Précis historique des campagnes de Louis XIV depuis 1672 jusqu’en 1678, et Relations de ce qui s’est passé au siège de Namur. A l’âge de trente-sept ans, Racine cesse donc d’écrire pour le théâtre et semble oublier la vocation qui, dès l’âge de vingt ans et en dépit des obstacles, l’avait poussé à composer des tragédies. Mais s’il quitte le théâtre, il n’abandonne pas tout à fait la littérature. L’historiographie elle-même est un genre littéraire. En outre, chaque fois que la vie à la cour l’exige, Racine se souvient qu’il est un écrivain. Il s’essaie à composer des livrets d’opéra, car le Roi a une passion pour ce divertissement. Il fait les vers d’une Idylle sur la Paix — v. Poésies, qui sera chantée à Sceaux en 1685, lors d’une fête somptueuse que la famille Colbert offre au Roi. Il acceptera même de menues besognes littéraires pour plaire à Mme de Montespan ou aux Condé. Enfin, il reste l’auteur dramatique le plus admiré et le plus joué, et il se préoccupe en 1687 de procurer une nouvelle édition collective de ses œuvres. S’il n’écrit plus de pièces nouvelles, il tient à défendre celles qu’il a composées, et il continue à lancer des épigrammes contre ses anciens ennemis. Bien plus, le courtisan essaie d’élever la condition de l’homme de lettres; dans un discours qu’il prononcera tout au début de 1685 à l’Académie, il tentera, tout en faisant un admirable éloge de Corneille qui venait de mourir, d’assimiler la gloire littéraire à la gloire militaire — comparaison qui heurtait alors de solides préjugés. Au moment où il devenait historiographe, et où il changeait de vie, en 1677, Racine avait épousé Catherine de Romanet, une orpheline de fortune moyenne qui appartenait à la bonne bourgeoisie. Sa vie familiale sera exemplaire, et il s’occupera beaucoup plus qu’on ne le faisait d’ordinaire au XVIIe siècle des sept enfants qui lui naîtront de 1678 à 1692. Ce père de famille bien établi, ce courtisan prudent, va pourtant revenir au théâtre, mais dans des circonstances très particulières. Mme de Maintenon devait en effet lui demander de composer une pièce édifiante que joueraient ses protégées, les pensionnaires de 1 institution de Saint-Cyr. Ce fut Esther , représentée en janvier 1689. Étant donné l’importance que Mme de Maintenon attachait à Saint-Cyr, et son influence sur le cœur et l’esprit du Roi, la pièce devait nécessairement avoir un grand retentissement. De fait, cette sorte d’opéra sacré enthousiasma le Roi devenu dévot, fut joué devant la cour avec un immense succès, et valut à Racine un triomphe mondain autant que littéraire. On crut que le courtisan-poète allait devenir le fournisseur attitré de Saint-Cyr. Et en effet une nouvelle pièce lui avait été commandée. Mais on commençait à s’aviser que les représentations bouleversaient la vie des pensionnaires; l’Église s’alarmait de voir le théâtre pénétrer à l’intérieur d’une maison religieuse d’éducation, qui était le surcroît patronnée par le roi. L’offensive des dévots fut si énergique que la tragédie d’Athalie, que Racine avait terminée en 1690, ne fut jamais véritablement représentée. On se contenta, au début de 1691, de quelques représentations sans costumes devant un public extrêmement restreint. L’expérience de Saint-Cyr n’en avait pas moins fait de Racine un véritable familier du Roi et de Mme de Maintenon. L’heureux auteur d'Esther et d'Athalie avait reçu à la fin de 1690 la charge de gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, qui devait lui donner un rang important à la cour. C’était là la consécration d’une carrière exceptionnellement réussie, et un contemporain pouvait écrire : « Tous les gens de lettres doivent être ravis du présent qui vient d’être fait à M. Racine, puisque l’honneur en rejaillit en quelque sorte sur eux. » En abandonnant le théâtre profane en 1677, en rompant ses relations avec les comédiens, gens excommuniés, en embrassant une vie honorable et bientôt honorée, Racine s’était tout naturellement rapproché de Port-Royal. Ses relations avec le monastère de la vallée de Chevreuse qui constituait le centre de ce que les jésuites appelaient l’hérésie janséniste, vont devenir de plus en plus intimes. En 1690, sa tante, la Mère de Sainte-Thècle, devient abbesse. Dans les années suivantes, Racine sera en communication constante avec les principaux amis du monastère : Arnauld, Quesnel, Nicole, Vuillart. Courageusement il devient le véritable chargé d’affaires dans le monde de Port-Royal persécuté. Il se trouve ainsi dans une position singulièrement difficile, pris comme il l’est alors entre son loyalisme envers le Roi dont il est l’historiographe, et son amitié pour Port-Royal, dont il compose secrètement l’histoire : l’Abrégé de l'histoire de Port-Royal, publié longtemps après sa mort. En 1698, malade, fatigué peut-être des contradictions dans lesquelles il vivait, Racine sent de plus en plus la vanité des honneurs qu’il avait si obstinément poursuivis. S’il continue ses travaux d’historiographe, il vient de moins en moins souvent à la cour. Il a pris soin de ménager à son fils Jean-Baptiste de solides appuis dans la carrière diplomatique que poursuit le jeune homme. D’autre part, il marie sa fille aînée, Marie Catherine, a l’héritier d’une famille amie de Port-Royal. Après avoir traîné pendant plusieurs semaines un abcès au foie, il meurt de façon édifiante le 21 avril 1699 et est enterré, conformément à ses vœux, dans le cimetière de Port-Royal, aux pieds de M. Hamon. Ses restes, après la destruction du monastère, furent transférés, en 1711, avec ceux de Pascal à Saint-Êtienne-du-Mont. Sans oublier tout à fait les tragédies qui l’ont immortalisé à nos yeux, les contemporains, paradoxalement, virent surtout en lui lorsqu’il disparut le courtisan, l’historiographe, le grand personnage dont la mort devait affecter le roi lui-même. XVIIe siècle. ♦ « ... Quelque admiration que vous ayez de M. R., il a des défauts qui ne sont pas à imiter... Vous savez qu'on n'a jamais d'estime dans le monde pour ceux qui déchirent des personnes à qui ils ont de l'obligation; et, cependant, c 'est ce qu'a fait M. R., et ce que vous nous représentez vous-même qu 'il est encore résolu de faire... Puis-qu 'il a assez peu d'honneur pour dire sans scrupule le oui et le non sur la même affaire, qu'il ne se plaigne que de lui, et qu'il prenne garde qu'en pensant si fort foudroyer les autres et faire sa fortune à leurs dépens, comme il s'en est vanté plus d'une fois, il ne se fasse plus de tort, qu ’il leur en saurait faire [sic] Le vrai honneur ne s'acquiert point par cette voie. Et d'ailleurs, si on se mettait à faire l'anatomie des ouvrages où il se satisfait le plus lui-même, on y ferait voir des fautes de jugement qui assurément ne serviraient pas à relever cette vaine réputation dont il est si amoureux... » Lettre d’un Solitaire à Nicolas Vitart, 1667. ♦ « Racine fait des comédies pour la Champmeslé, ce n 'est pas pour les siècles à venir; si jamais... il cesse d'être amoureux, ce ne sera plus la même chose. Vive donc notre vieil ami Corneille ! » Mme de Sévigné. ♦ « [II] met tout le monde contre lui. Il ne peut souffrir qu 'on estime les ouvrages des autres. Il est si plein de lui-même qu'il querelle ses amis s'ils ne sont pas de son sentiment. » Tallemant des Réaux, 1677. ♦ « Il est égal, toujours le même partout, soit pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes, régulières, prises dans le bon sens et dans la nature; soit pour la versification, qui est correcte, riche dans ses rimes, élégante, nombreuse, harmonieuse : exact imitateur des anciens, dont il a suivi scrupuleusement la netteté et la simplicité de l’action; à qui le grand et le merveilleux n'ont pas même manqué, ainsi qu'à Corneille, ni le touchant, ni le pathétique... Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées Racine se conforme aux nôtres; celui-là peint les hommes comme ils devraient être, celui-ci les peints tels qu'ils sont. » La Bruyère. ♦ « M. de Racine a passé du théâtre à la Cour, où il est devenu habile courtisan, dévot même. Le mérite de ses pièces dramatiques n'égale pas celui qu’il a eu l'esprit de se former en ce pays-là, où il fait toutes sortes de personnages. Ou il complimente avec la foule, ou il blâme et crie dans le tête-à-tête, ou il s’accommode à toutes les intrigues dont on veut le mettre; mais celle de la dévotion domine chez lui... Pour un homme venu de rien, il a pris aisément les manières de la cour. Les comédiens lui en avaient donné un faux air; il l’a rectifié, et il est de mise partout, jusqu'au chevet du lit du Roi, où il a l’honneur de lire quelquefois : ce qu'il fait mieux qu’un autre. S'il était prédicateur ou comédien, il surpasserait tout en l’un et l’autre genre. C'est le savant de la cour. » Recueil de caractères de diverses personnes considérables de la Cour de France (auteur inconnu), vers 1692. ♦ « Corneille se fait admirer par l'expression d'une grandeur d’âme héroïque...; Racine trouve son mérite en des sentiments plus naturels, en des pensées plus nettes, dans une diction plus pure et plus facile. Le premier enlève l'âme; le second gagne l’esprit... » Saint-Évremond, 1692. ♦ « On ne saurait, au reste, voir un homme plus universellement regretté que ne l'est M. Racine. Les grands, qui étaient tous les jours chez lui durant sa maladie, montraient bien par leurs soins combien ils le chérissaient et combien ils craignaient sa mort; et la comtesse de Gramont, qui y était presque tous les jours, me dit le soir de la grande fête, les larmes aux yeux : « Hélas ! Quelle perte pour nous, gens de Cour, que celle d'un tel ami ! car tout ce que nous y étions de gens qui pensions un peu sérieusement à notre salut, l'avions pour conseil comme pour exemple. R nous encourageait, nous éclairait, nous fortifiait... » Lettre de Vuillart, 1699. ♦ « Personne n'avait plus de fonds d'esprit, ni plus agréablement tourné; rien du poète dans son commerce, et tout de l’honnête homme, de l’homme modeste, et, sur la fin, de l’homme de bien. » Saint-Simon. XVIIIe siècle. ♦ « Racine le poète du cœur, et d'autant plus sublime qu’il ne l’est que quand il faut l’être; Racine, le seul poète tragique de son temps dont le génie ait été conduit par le goût. » Voltaire. ♦ « Dans mille ans d’ici, il fera verser des larmes; il sera l'admiration des hommes dans toutes les contrées de la terre; il inspirera à l’humanité la commisération, la tendresse. On demandera qui il était, de quel pays, et on l’enviera à la France... Il eût été mieux sans doute qu 'il eût reçu de la nature la vertu d’un homme de bien avec les talents d'un grand homme. » Diderot. ♦ « Racine et Corneille, avec tout leur génie, ne sont eux-mêmes que des parleurs... mais chez Racine tout est sentiment; il a su faire parler chacun pour soi, et c'est en cela qu ’il est vraiment unique parmi les auteurs dramatiques de sa nation. » Rousseau. ♦ « Racine est, sans comparaison, infiniment plus voisin de l’excellent [que Corneille], quoiqu’il porte tous les fâcheux stigmates du maniérisme français et que, dans l’ensemble, il manque un peu de force. » Schiller, 1799. XIXe siècle. ♦ « Bien que Racine ait accompli des chefs-d’œuvre en eux-mêmes, il y a répandu néanmoins une perpétuelle fadeur, un éternel amour, et son ton doucereux, son fastidieux entourage; mais ce n 'était pas précisément sa faute; c'était le vice des mœurs de son temps. » Napoléon Ier. ♦ « En parcourant les tableaux des vicissitudes humaines tracés par Racine, on croit errer dans les parcs abandonnés de Versailles; ils sont vastes et tristes; mais, à travers leur solitude, on distingue la main régulière des arts et les vestiges des grandeurs. » Chateaubriand. ♦ « Si [Racine] vivait de nos jours, et qu'il osât suivre les règles nouvelles, il ferait cent fois mieux qu'Iphigénie. Au lieu de n’inspirer que de l’admiration, sentiment un peu froid, il ferait couler des torrents de larmes. » Stendhal, 1823. ♦ «R n’est pas sûr de son instrument et il écrit quelquefois fort mal. » Victor Hugo. ♦ « Le propre de l’œuvre de Racine est... d’être parfaite, d’une perfection à la fois profonde et évidente. A quelque degré qu’on s'arrête dans l’intelligence de son œuvre, on a l’idée d’une certaine perfection; on ne tombe jamais sur une expression incomplète ou qui offense... j’insiste là-dessus, jamais rien qui offense ni même qui étonne; rien d’étrange; sa manière comme sa physionomie est d’une beauté heureuse, ouverte sans être banale, d’une de ces beautés incontestables et qui existent pour tous. » Sainte-Beuve. ♦ « Contrairement à nos idées de jeunesse, Racine est le Romantique de son époque. » E. Delacroix, 1858. ♦ « Un des plus heureux génies poétiques qui aient jamais existé... » Manzoni. ♦ « Racine n'est point un saint. C’est un passionné; il aura besoin de conversion. Il connaît les frontières du bien autant que celles du mal. Il va des unes aux autres à pas précipités. Il est fier, susceptible, ombrageux. Son esprit est agressif et griffu, ses épigrammes l’attestent. R a des haines coriaces. » Verhaeren. XXe siècle. ♦ « Racine savait-il lui-même où il prenait cette voix inimitable, ce dessin délicat de l’inflexion, ce mode transparent de discourir, qui le font Racine, et sans lesquels il se réduit à ce personnage peu considérable duquel les biographies nous apprennent un assez grand nombre de choses qu’il avait de communes avec dix mille autres Français ?» Valéry, 1920. ♦ « Qu’est-ce que Racine eût donné, Anglais, au temps d'Elizabeth ? On n’imagine point Racine moins amoureux de perfection, mais bien d'une perfection différente. A quel point celle qu’il rêve et qu’il atteint, lui fut dictée, mesurée, par son entourage et son époque ! Il ne se pourrait davantage. Mais sa connaissance du cœur, sa sensibilité cruelle, la beauté de sa forme, sa noblesse, tout cela est proprement de lui. » André Gide. ♦ « Il n 'est pas un sentiment en Racine qui ne soit un sentiment littéraire... Il n'y a en lui rien de visionnaire ni de réel, de frénétique ni de découragé. Son amertume, quand il est amer, ne vient pas de ce qu’il est trompé ou boiteux; sa douceur de ce qu’il est en paix; sa vigueur, de ce qu’il est herculéen — mais de ce qu’il est écrivain... Quand le mot mort vient sous sa plume, il ne pense pas à sa mort..., ni à la Champmeslé quand il écrit Hermione. » J. Giraudoux, 1930. [Je regrette] que Racine n'ait pas eu la chance d’être né ailleurs qu’en France... Il est à son zoo dont il ne doit pas dépasser l'enclos; ... étonnant ingénieur royal avec des torrents à son service qu’il doit canaliser par un jeu frivole et subtil de fontaines mythologiques... Je vous fiche mon billet qu’il eût aimé voir, comme l’Anglais, applaudir ses débordements par une salle de matelots ivres. » Ventura Garcia Calderon, 1937. ♦ « Les pièces de Racine, qui témoignent d’une telle expérience de la vie et d'un tel art de la forme, ne sont pas faites pour des esprits et pour des talents inexpérimentés. ... Je trouve que ce sont des chefs-d’œuvre extraordinaires, mais des chefs-d’œuvre qui, pour moi, me sont étrangers. » Paul Claudel, 1953. ♦ Je viens de relire ce prétendu chef-d’œuvre, Phèdre. Que d’effets ratés ! Les Français aiment Racine, parce qu’ils ont posé une fois pour toutes que Racine incarnait la France. Or la France ne peut s'incarner en quelque chose de médiocre. Ça les amène à dire que Racine est admirable. » André Malraux. ♦ « Ceux à qui Racine suffit sont de pauvres âmes et de pauvres esprits. Ce sont des âmes et des esprits restés béjaunes et pensionnaires de couvent... R est absurde d’écrire, comme on l’a fait, que Racine « est le plus grand poète lyrique français ». Mais il n’est pas absurde de dire qu’il y a vingt-sept vers de lui qui sont quelque chose d'unique dans toute la poésie française et, à mes yeux, ce qu’elle contient de plus enchanteur. » Henry de Montherlant, 1956.




RACINE, Jean (La Ferté-Milon, 1639-Paris, 1699). Poète dramatique français. Représentées à la cour de Louis XIV, les pièces de Racine renouèrent avec l'idéal de la tragédie grecque. Selon la célèbre formule de Boileau, alors que Corneille avait peint les hommes tels qu'ils devraient être, Racine les a décrits tels qu'ils sont. Orphelin, Racine étudia d'abord au monastère de Port-Royal, foyer du jansénisme, puis au collège d'Harcourt. Soucieux d'assurer sa vie matérielle, il tenta d'obtenir un bénéfice ecclésiastique à Uzès (1661) mais échoua. Installé à Paris, il se lia avec La Fontaine et Boileau ; pensionné par le roi pour une Ode écrite en son honneur (1664), il décida d'écrire pour le théâtre alors dominé par Pierre Corneille. En 1664, il fit jouer sa première tragédie La Thébaïde ou les Frères ennemis par la troupe de Molière qui dirigeait le théâtre du Palais-Royal puis confia Alexandre (1665) aux comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, ce qui le brouilla définitivement avec Molière. Les dix années qui suivirent furent fécondes en chefs-d'oeuvre : Andromaque (1667) fut un triomphe, suivi par Les Plaideurs (1668, son unique comédie), Britannicus (1669), Bérénice (1670), Bajazet (1672), Mithridate (1673), Iphigénie (1674) et Phèdre (1677). Malgré sa notoriété auprès du public et de la cour, Racine renonça au théâtre et accepta avec Boileau la charge d'historiographe du roi. Il accompagna Louis XIV pendant la guerre de Hollande qu'il raconta dans son Précis historique des campagnes de Louis XIV depuis 1672 jusqu'en 1678 (disparu). Marié à Catherine Romanet dont il eut sept enfants, il revint au théâtre à la demande de Mme de Maintenon en composant deux pièces à thèmes bibliques pour les jeunes filles de Saint-Cyr, Esther ( 1689) et Athalie (1691). Racine renoua à la fin de sa vie avec les solitaires de Port-Royal persécutés, et composa secrètement son Abrégé de l'histoire de Port-Royal (publié au milieu du XVIIIe siècle).

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