Platon, Protagoras et la science
« Allons, Protagoras, découvre-moi un autre coin de ta pensée : quelle opinion as-tu de la science? En juges-tu ici encore comme le peuple, ou autrement? Or voici a peu près l’idée qu’il se forme de la science. Il se figure qu’elle n’est ni forte, ni capable de guider et de commander; au lieu de lui reconnaître ces qualités, il est persuadé que souvent la science a beau se trouver dans un homme, ce n’est point elle qui le gouverne, mais quelque autre chose, tantôt la colère, tantôt le plaisir, tantôt la douleur, quelquefois l’amour, souvent la crainte. Il regarde tout bonnement la science comme un esclave que toutes les autres choses traînent à leur suite. T’en fais-tu la même idée, ou juges-tu qu’elle est une belle chose, capable de commander à l’homme, que lorsqu’un homme a la connaissance du bien et du mal, rien ne peut le vaincre et le forcer à faire autre chose que ce que la science lui ordonne, et que l’intelligence est pour l’homme une ressource qui suffit à tout? »
PLATON
DIRECTIONS DE RECHERCHE
• Comment « le peuple » juge-t-il de « la science »? • De quelle science s’agit-il? • Sur quels implicites peut reposer l’idée que « lorsqu’un homme a la connaissance du bien et du mal, rien ne peut le vaincre et le forcer à faire autre chose que ce que la science lui ordonne »? Qu’en pensez-vous ? • Qu’est-ce qui peut amener à penser que « la science (est) comme un esclave que toutes les autres choses traînent à leur suite »? Qu’en pensez-vous? • Pensez-vous que la thématique et la problématique du texte sont encore actuelles ? Si oui, en quoi? Si non, en quoi? • En quoi ce texte a-t-il un intérêt proprement philosophique ?
Protagoras. Dialogue de Platon, dans lequel les interlocuteurs de Socrate sont Protagoras, Hippias et Prodicos. C’est un dialogue sur la nature de la « vertu » (ou du « bien », voir infra), ce qu’elle est et la manière dont on peut l’acquérir. Protagoras prétend que la vertu (entendue dans ce sens) peut s’enseigner aussi bien que n’importe quel autre sujet. Le dialogue parvient à la conclusion que toutes les vertus se réduisent à une vertu essentielle, fondée sur la connaissance du bien, et que la vertu est en fait la connaissance. Dans le cours du dialogue, un poème de Simonide est analysé : un éloge de « l’homme bon » ; le Protagoras est la seule source sur ce poème (voir pittacos). Protagoras apparaît comme un homme raisonnable, à l’argumentation sincère, au tempérament calme, qui ne se laisse pas provoquer par l’ironie parfois mordante de Socrate à son égard. Ses arguments sont réfléchis et fondés sur le sens commun; ceux de Socrate sont plus approfondis et aussi paradoxaux. Le dialogue renferme une déclaration remarquable de Protagoras : sous un système rationnel, on punit les criminels pour dissuader de faire à nouveau le mal, et non à titre de rétribution pour leurs fautes passées. Protagoras d’Abdère (en Thrace), né v. 485 av. J.-C. L’un des premiers sophistes et parmi les plus célèbres. Sa carrière d’enseignant commença v. 455 et, de son vivant, il gagna beaucoup d’argent. Il déclarait enseigner l'arêté, la « vertu », par laquelle il entendait un succès matériel remporté par une bonne gestion pratique de ses affaires publiques et privées. Il apparaît comme l’adversaire de Socrate dans le dialogue de Platon qui porte son nom (voir supra, Protagoras). Socrate donnait au mot « vertu » une signification quelque peu différente. Il fut un ami de Périclès, et on dit qu’il fut poursuivi et chassé d’Athènes sur une accusation d’athéisme (voir à titre de comparaison Anaxagore). Ses ouvrages les plus connus (qui n’ont pas survécu) sont Sur la vérité et Sur les dieux. Sceptique devant toute prétention à l’absolu et à la vérité universelle, il a enseigné la doctrine de la relativité de toute connaissance, que résume cette formule , citée dans le Théétète de Platon, «l’homme est la mesure de toutes choses». Il a aussi adopté une attitude agnostique envers les dieux : « Quant aux dieux, je n’ai aucun moyen de savoir s’ils existent ou pas, ni à quoi ils ressemblent. Il y a bien des obstacles à la connaissance : l’obscurité du sujet et la brièveté de la vie humaine.» Quand les Athéniens fondèrent Thourioi en 433 av. J.-C., Protagoras fut chargé de constituer un code de lois pour la nouvelle colonie.