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Pierre Mendès France : La reconstruction de la France en 1945

Pierre Mendès France : La reconstruction de la France en 1945

On nous a saisis d’un budget dont les dépenses sont trois fois et demie plus élevées que les recettes, sans, qu'aucun effort de compression, de classification des urgences ait été opéré ; on annonce l’amnistie pour ceux qui déclareront, avec quelque retard, leurs avoirs à l’étranger ; on nous fait prévoir l’emprunt à jet continu. (...) Tout cela a été fait et refait vingt fois dans les années d’avant-guerre avec les résultats que l’on connaît. Le manque de courage et d’imagination dans les finances publiques a été, tout autant que les erreurs dans les doctrines militaires, une cause essentielle de la défaite de 1940. Politique de confiance, c’est-à-dire politique de facilité : cette politique porte un nom qui est l’inflation, l’inflation sans contre-partie ni contre-mesure. (...) Or, j’y reviens, distribuer de l’argent à tout le monde sans en reprendre à personne, c'est entretenir un mirage, mirage qui autorise chacun à croire qu’il va vivre aussi bien et faire autant et plus de bénéfices qu’avant la guerre ; alors que les dévastations, les spoliations, l’usure du matériel et des hommes, ont fait de la France un pays pauvre, alors que la production nationale est tombée à la moitié du niveau d’avant-guerre. C’est la solution commode immédiatement. Il est plus facile de consentir des satisfactions nominales que d’accorder des satisfactions réelles, plus facile de profiter de l’illusion des gens qui réclament des billets dans le vain espoir d’accéder, eux aussi, au marché noir et de s’y procurer du beurre avec leur surcroît de papier-monnaie. Mais, plus on accorde de satisfactions nominales, moins on peut leur donner de satisfactions réelles. Pierre Mendès France, lettre de démission de son poste de ministre de l’Économie nationale adressée au général de Gaulle le 18 janvier 1945, reprise jusqu’au 4 avril à la demande de ce dernier.

Extrait de Charles de GAULLE, Mémoires de Guerre, t. 3, Plon, 1959.

En 1945, la France est confrontée aux problèmes que pose la reconstruction du pays et de son économie. Pierre Mendès France (1907-1982), membre du parti radical et tôt rallié à la Résistance, annonce dans cette lettre au général de Gaulle, alors président du Gouvernement Provisoire de la République Française, sa démission du poste de Ministre de l’Économie nationale, qui ne lui assurait qu’un contrôle partiel de ce secteur. Il y avait parallèlement un Ministère des Finances, confié à René Pleven dont les orientations économiques différaient des siennes. Les raisons invoquées par Pierre Mendès France pour démissionner touchent au principe même de la politique gouvernementale. Pouvait-on assurer la reconstruction du pays sans pratiquer l’inflation ? Une politique d’austérité était-elle concevable dans la France de 1945?

Point méthode

Comme on le voit, la définition, fût-elle brève, du contexte historique est nécessaire pour expliquer la gravité de la situation de la France en 1945. On peut concevoir que la présentation de l’auteur/acteur soit placée en tête de l’introduction. Mais toute action politique, toute réflexion sur les événements s’inscrit dans un contexte qu’il est généralement — sans que cela constitue une règle absolue— recommandé de rappeler en premier lieu. Avant d’exposer la problématique du commentaire, il est judicieux de l’annoncer en mettant en avant un élément pouvant éclairer le texte. En l’occurrence, le rappel des attributions de Mendès France et de leurs limites permet d’emblée de comprendre ses raisons de démissionner. Ainsi est abordé de manière allusive le problème des rapports de force au sein du Gouvernement provisoire, que vous pourrez examiner en conclusion. Il est enfin vivement recommandé de montrer que vous disposez d’une certaine culture vous permettant de cerner avec précision les problèmes posés par un document.

N.B. : Ce document offre un exemple dans lequel la nature de la source (ici, les Mémoires de de Gaulle), n’est pas essentielle. Il s’agit bien d’un texte de Mendès France, mais il est inclus dans un ouvrage de de Gaulle.

  MENDÈS FRANCE Pierre (1907-1982) Homme politique français. Avocat et militant de gauche dès l’université, Pierre Mendès France est élu député radical-socialiste de Louviers (Eure) à vingt-cinq ans. Sous-secrétaire d’État au Trésor en 1938, partisan de réformes économiques inspirées des théories keynésiennes, très attaché aux principes démocratiques, il veut continuer la lutte contre le nazisme en 1940. Emprisonné par les autorités de Vichy, il s’évade, rejoint Londres et combat dans l’aviation. Commissaire puis ministre de l’Économie (1943-1945), il démissionne faute de convaincre le général de Gaulle et son gouvernement d’adopter une politique financière rigoureuse. À nouveau député de l’Eure (1946-1958), il s’oppose à la politique indochinoise des gouvernements français et devient président du Conseil (juillet 1954) après la défaite de Dien Bien Phu. Son gouvernement ne dure que huit mois, mais marque l’opinion : accords de Genève et fin de la guerre d’Indochine, décolonisation engagée du Maroc et de la Tunisie, rejet du projet de Communauté européenne de défense (CED). Son gouvernement ayant été renversé en février 1955, il prend la tête du Parti radical-socialiste (1955-1957) et participe au Front républicain avec les socialistes (Guy Mollet [1905-1975]), l’UDSR - Union démocratique et socialiste de la Résistance - (François Mitterrand) et certains gaullistes (Jacques Chaban-Delmas [1915-]). Mais, opposé à la politique algérienne de G. Mollet, il démissionne dès mai 1956 de son poste de ministre d’État. Il s’oppose au retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958, mais son refus constant des institutions de la Ve République comme ses réticences face aux socialistes et à une éventuelle union de la gauche avec les communistes le marginalisent quelque peu. Il participe à la fondation du Parti socialiste unifié (PSU) qu’il quitte en 1968. Son retour à la politique active est assez momentané : il est député de Grenoble (1967-1968) et pressenti comme Premier ministre par F. Mitterrand en Mai 68 en cas de vacance du pouvoir gaulliste. En revanche, il s’impose comme conscience de la gauche et de la République par ses écrits et ses interventions en faveur de la paix, du développement et de la démocratie.

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