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Philippe Jaccottet

Né en 1925 à Moudon (Suisse). Vit à Paris de 1946 à 1953 où il collabore à La Gazette de Lausanne et à la N.R.F. Depuis 1953, est installé à Grignan (Drôme), où il se consacre à son œuvre de poète et de grand traducteur. En 1966, il obtient le prix de traduction de 1’Académie de Darmstadt, et en 1974, le Prix Halpérine — Kaminsky pour son adaptation du roman de Fruttero et Lucentini, La femme du dimanche. Outre ses nombreux recueils de poèmes, on lui doit aussi des traductions de Musil (L’homme sans qualités), de Rilke, d’Ungaretti, d’Homère (L’Odyssée) ... L’expérience poétique de Philippe Jaccottet, secrète, discrète, est cependant traversée par les interrogations essentielles de la poésie actuelle sur ses fins et ses moyens. Pourquoi les mots ? Pourquoi écrire ? Mais aussi, la recherche nécessaire, vitale, d’une parole vraie, d’un « énoncé direct ». Mouvement de balancier entre deux pôles, — le refus de l’esthétique, d’une part, et la quête d’une transcendance, d’autre part —, la poésie de Jaccottet est d’abord un questionnement, un mode de vie. C’est pourquoi ses poèmes alternent avec un « discours » sur la poésie, des carnets qui sèment à tout vent de brèves notations, de fulgurantes rencontres qui ensemencent les poèmes passés ou à venir. Depuis les textes de jeunesse comme Trois poèmes aux démons, où il s’agit déjà de garder les yeux ouverts sur les monstres, sur la mort et le désir, jusqu’à La semaison ou Paysages avec figures abstraites, la poésie de Jaccottet se veut une tentative de déchiffrement, « aliment de l’action, du rêve, le défi quotidien à l’avilissement et à la mort. » Avec toujours, à la source comme à l’arrivée, une inquiétude, une fébrile conscience de l’indicibilité. Citant Littré dans son exergue à La semaison, le poète donne la définition « semaison : dispersion naturelle des grains d’une plante. » La quête, aussi fugace et insaisissable soit-elle, demeure plus importante que la récolte, que le résultat. Ayant vers 1960 découvert le haï-kaï, Jaccottet évolue de plus en plus vers une poésie de l’instant, fragile et en même temps tendue, à l’extrême, à la limite du point de rupture. Car nous avons affaire à un formalisme qui se défie de lui-même, à un art conscient, réflexif, qui connaît ses propres artifices. D’où la tentation du vide, du non-dire, de la mort de l’art. Mais, aussi fragmentée, brisée soit-elle, la poésie de Jaccottet cherche précisément un équilibre, une tension harmonieuse où les débris s’arrêtent au bord du gouffre. « Cent fois je l’aurai dit : ce qui me reste est presque rien ; mais c 'est comme une très petite porte par laquelle il faut passer, au-delà de laquelle rien ne prouve que l’espace ne soit pas aussi grand qu’on l’a rêvé. » Pour reprendre un mot de J.P. Amette, la poésie de Philippe Jaccottet est une poésie « prospective », par opposition à « descriptive ». C’est-à-dire, une poésie toute d’approximations, de corrections, de précisions, d’assemblage, où le poète est pris et jouit tout ensemble de failles inespérées, de passages vers l’ineffable. S’inspirant de Hölderlin, Jaccottet a montré que la réalité intérieure et extérieure entretiennent des rapports secrets, dont il s’agit de déchiffrer à coups de sondes progressifs, de négations et de repentirs, les signes privilégiés à travers l’expérience d’un quotidien simple et dépouillé. Il y a chez Jaccottet à la fois du Ponge et du Leiris. Comme chez le premier, le carnet, l’à-côté constitue un élément indispensable du devenir de l’œuvre, mais avec la différence que chez Ponge, les notes, les variantes, sont le texte lui-même, alors que chez Jaccottet, la recherche marginale n’est que la marque, le révélateur d’un manque, d’une œuvre en souffrance. A l’instar de Leiris, Jaccottet va et vient du poème à la prose ; cependant, Leiris enveloppe le poème d’une écriture protectrice, véritable processus d’auto-sacralisation, d’élévation à la dimension du mythe, alors que Jaccottet, dont la prose ne dépasse jamais le fragment, reste prisonnier des failles successives qui s’ouvrent devant lui et qui l’obligent à tâtonner, de déchirure en déchirure. Pourtant, l’œuvre de Jaccottet, pour « ouverte » qu’elle soit sur le gouffre de l’insaisissable, n’appartient pas, dans la poésie contemporaine, aux œuvres de ressentiment, mais bien à celles de l’assentiment, où l’équilibre entre la culture et la nature, entre le langage et le quotidien finit par s’établir. Dans Leçons, où l’on assiste à l’agonie d’un être cher, l’horreur elle-même appelle un essor vers la sérénité, vers le point « où tout s’apaise et s’arrête. » Par et au-delà la « voix méditerranéenne », les dieux grecs, la « maîtrise du sacré », et Hôlderlin, dans la pénombre des transitions, dans la transparence équivoque des désirs, dans la naïveté et l’immédiateté de la présence au monde, Philippe Jaccottet trouve enfin sa demeure. ► Principaux titres

Trois poèmes aux démons, précédés deAgitato (Ed. des Portes de France, 1945). Requiem, 1947, Mermod ; L'effraie, 1953, Gallimard ; La promenade sous les arbres, 1957, Mermod ; L'ignorant, 1958, Gallimard ; Éléments d'un songe, 1961, Ga 11 i mard ; L'obscurité, récit, 1961, Gallimard ; La semaison, 1963, Payot ; Airs, 1967, Gallimard ; L'Entretien des Muses, 1968, Gallimard ; Leçons, 1969, Payot ; Paysages avec figures absentes, 1970, Gallimard ; Rilke par lui-même, Le Seuil, coll.

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