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znayu.

Publié le 08/12/2021

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znayu. Toute cette distance, toutes ces années ; et puis elle était là, de l'autre côté de la table,
il était là, bavardant avec moi au téléphone, ils étaient là, encore quelque part si vous étiez
capable de les trouver : se souvenant d'eux.
Comme son coup de téléphone de nuit m'avait totalement surpris, j'ai demandé à Jack Greene,
après quelques minutes où j'ai eu le souffle coupé, si cela ne l'embêtait pas que je le rappelle
plus tard dans la semaine, afin de me donner un peu de temps pour préparer une interview.
Bien sûr, a-t-il dit. Appelez-moi quand vous voudrez. Pour moi, c'est aussi précieux que pour
vous.
Un jour ou deux après, j'ai appelé l'Australie et j'ai eu une longue conversation téléphonique
avec Jack Greene, et c'est à partir de lui, vraiment, que nous avons commencé à apprendre des
choses sur Shmiel et sa famille, sur la façon dont ils vivaient et sur la façon dont ils sont morts.
Et des choses de moindre importance aussi. C'est au cours de cette conversation que j'ai appris
que le « Ruchatz » des lettres de Shmiel était en réalité Ruchele, parfois écrit Ruchaly. Alors la
première chose que j'ai à vous dire, a dit Jack ce soir-là, c'est que la troisième fille de Shmiel
s'appelait Ruchele, orthographié R-U-C-H-E-L-E.
J'ai protesté, disant que j'étais certain que Shmiel avait écrit R-U-C-H-A-T-Z, et Jack a éclaté de
rire. Non, non, a-t-il dit, parfois on faisait un trait en travers du l, et l'autre c'est un y, pas un z.
Lorsqu'il a dit ça, je me suis senti tout à coup idiot et honteux. On m'avait toujours appris à me
montrer respectueux envers les vieux Juifs, après tout.
Mais il s'était contenté de rire et il avait dit, Ecoutez, je sortais avec elle, alors je sais ça.
Ruchele.
ROUKH-eh-leh, ai-je répété dans ma tête. Je l'ai écouté me corriger et je me suis dit, Comment
ai-je pu me tromper à ce point sur quelque chose d'aussi élémentaire qu'un prénom ? Et
pourtant, en dépit de la honte, de la gêne adolescente, il y avait maintenant cette autre
précieuse pépite d'information à ajouter à mon trésor grandissant : cette Ruchele avait été la
troisième des quatre. Nous n'avions jamais su exactement dans quel ordre étaient nées les
filles.
J'ai écouté attentivement Jack parler, m'assurant que la petite lumière de mon magnétophone
était allumée, tapant de temps en temps quelques notes dans un dossier que j'avais ouvert sur
mon ordinateur, lorsqu'il disait quelque chose qui me paraissait particulièrement important.
Une grande partie de ce qu'il me racontait n'avait rien de dramatique - par exemple, le fait que
les adolescents de Bolechow allaient voir des films dans le centre de loisirs de la communauté
catholique, le Dom Katolicki, même si « rien de dramatique » est ici mal venu puisque c'est dans
ce même centre que certains de ces adolescents ont été forcés, quelques années plus tard, à
amuser leurs tortionnaires avant d'être tués. Il m'a parlé des films américains qu'ils allaient voir
(Wallace Berry, se souvenait-il) et des réunions de l'organisation sioniste auxquelles il
participait pour voir Ruchele, et des affaires de Shmiel, et de la façon dont Bronia ressemblait à
sa mère, comme deux gouttes d'eau, et comment Shmiel avait eu le premier téléphone de la
ville, et comment les garçons et les filles se promenaient dans le parc, le soir, et du fait que
Ruchele n'avait pas la personnalité de fanfaron de son père.
C'était une fille très placide, a-t-il dit. Des cheveux blonds. A mes yeux, c'était une belle fille.
Puis il a marqué une pause et, comme s'il venait de se souvenir, il a dit, Frydka était une fille
d'une grande beauté.

Pour des raisons que j'allais connaître quelques minutes plus tard, la pensée de Frydka a
conduit Jack Greene aux années de guerre, et c'est à ce moment-là qu'il m'a dit qu'il avait
entendu parler du sort de mes parents, en soulignant bien qu'il en avait entendu parler
seulement, puisque à un moment donné il avait dû se cacher.
Je peux vous dire, a-t-il commencé, que Ruchele a péri le 29 octobre 1941.
J'ai été sidéré et, immédiatement après, bouleversé par la précision de ce souvenir.
J'ai dit, Permettez-moi de vous demander pourquoi - puisque vous vous souvenez de la date
avec une telle précision - pourquoi vous souvenez-vous de cette date ?
Pendant que j'écrivais ruchele 29 oct 1941, je me suis dit, Il a dû vraiment l'aimer.
Jack a dit, Parce que ma mère et mon frère aîné ont péri le même jour.
Je n'ai rien dit. Nous sommes, chacun de nous, myopes, ai-je compris à cet instant-là ; toujours
au centre de nos propres histoires.
Puis Jack a continué.
Il a dit qu'il pouvait seulement conjecturer que Shmiel, sa femme et la benjamine avaient été
emmenés dans la seconde Aktion, au début du mois de septembre 1942, mais il savait, c'était
un fait, que Frydka, la deuxième fille, pour laquelle Shmiel se souciait de trouver du travail dans
une lettre à mon grand-père, avait réussi à trouver un emploi dans la fabrique de barils - une
des industries locales qui étaient utiles à l'effort de guerre allemand -et était encore en vie
après cette Aktion.
Trente ans aptes avoir commencé à poser des questions et à prendre des notes sur des petites
fiches, j'étais enfin en mesure d'écrire ceci : shmiel, ester, bronia, tués 1942.
Je sais que j'ai vu Frydka dans la fabrique après cette Aktion, a dit Jack. Ceux qui avaient des
postes dans les camps de travaux forcés avaient au moins quelques chances de survivre.
J'ai écrit, fabrique de barils, travaux forcés à survivre. L'idée, c'était de se trouver un boulot
pour l'effort de guerre, a dit au téléphone cette voix qui ressemblait tant à celle de mon grandpère. Et ça vous donnait une certaine impression de sécurité - ils ne vous emmèneraient pas le
lendemain. Ils vous emmèneraient peut-être dans trois mois, mais pas le lendemain.
Un peu plus tard, il a ajouté qu'il avait entendu dire, lorsqu'il était devenu clair que les quelques
centaines de Juifs qui restaient dans la ville allaient être liquidés, que Frydka et sa soeur aînée,
Lorka, s'étaient échappées de Bolechow pour rejoindre un groupe de partisans qui opéraient
dans la forêt aux environs du village voisin de Dolina. A la différence de certains groupes de
partisans locaux, a-t-il dit, celui-là accueillait volontiers les Juifs. Le groupe avait été organisé
par deux frères ukrainiens, a-t-il ajouté, les frères Babij.
Jack a dit, B-A-B-I-J, et j'ai écrit, frydka/lorka  à  partisans babij. Puis j'ai écrit dolina et, au
bout d'un moment, j'ai ajouté taube. Les Mittelmark étaient de Dolina ; mon arrière-grandmère Taube y était née. C'était à Dolina qu'elle avait joué, et peut-être s'était battue
amèrement, avec son frère aîné.
Vous voyez, a dit Jack, il y avait trois gamins polonais, pas juifs, et les trois aidaient les partisans
ou, du moins, ils étaient en contact avec eux. Et une nuit - je n'étais pas à Bolechow à ce
moment-là, je me cachais, mais je l'ai entendu plus tard - les garçons se sont fait prendre, les

Allemands les ont emmenés en ville et ils les ont fusillés. C'était exactement... enfin, plus ou
moins exactement au même moment qu'ils ont éliminé le groupe Babij dans la forêt. Je crois
qu'il y a eu quatre survivants. Quatre ? ai-je dit.
Jack a émis un petit bruit à l'autre bout de la ligne ; une sorte d'amusement sarcastique, peutêtre, devant ma naïveté. Euh, pensez à Bolechow, a-t-il fini par dire. Sur six mille Juifs, nous
avons été quarante-huit à survivre.
De nouveau, je n'ai rien dit. J'ai regardé l'écran de mon ordinateur, frydka/lorka 
partisans babij. J'ai tapé, garçons qui aidaient ont été fusillés.

à 

Cette nuit de février 2002, bien incapable de deviner jusqu'où cette histoire finirait par me
conduire, combien de kilomètres et de continents nous allions parcourir pour découvrir ce qui
s'était passé en réalité, qui avait aidé et qui avait été pris et tué, je m'intéressais plus aux filles
qu'aux garçons et j'ai donc dit, Je vois. Mais à cette époque-là, les filles étaient dans la forêt,
non ?
C'est exact, a dit Jack. Les garçons étaient en contact avec les gens dans la forêt, ils leur
rendaient visite, ils les ravitaillaient, je ne sais pas si c'était en munitions ou en nourriture, je ne
sais pas. Ils ont été fusillés parce qu'ils les ravitaillaient en quelque chose.
D'accord, ai-je dit. J'ai tapé les mots RAVITAILLAIENT EN QUELQUE CHOSE dans le dossier que
j'avais ouvert.
Vous comprenez, les Allemands avaient mis en place des espions a poursuivi Jack. Ce qui veut
dire que les Juifs qui s'enfuyaient, ils espionnaient le groupe et dévoilaient tout. J'imagine qu'on
les forçait ou qu'on les faisait chanter pour qu'ils les trahissent, d'une certaine façon, quelque
chose comme ça.
à   trahison ! !, j'ai eu soudain une
J'ai sursauté sur mon siège. Alors que je tapais juifs  
idée de la façon dont ça avait dû se passer, comment l'histoire que j'entendais à présent se
connectait à des histoires, à des fragments dont j'avais entendu parler, il y a longtemps. De
toute évidence (ai-je pensé), la trahison du groupe Babij avait été transmise de façon confuse
dans la traduction, quelque part entre l'événement même et le moment où quelqu'un avait
raconté à mon grand-père et ses frères et soeurs ce qui était arrivé à Oncle Shmiel et sa famille.
Et, d'une certaine façon, cet unique événement de l'histoire, la trahison, a été brodé, avec le
temps, dans le récit familial. Mon grand-père, ses frères et ses soeurs, et les autres, ont tous
voulu croire à cette histoire, comme nous l'avons fait nous-mêmes ensuite, cette histoire que
mes frères, ma soeur et moi avons voulu confirmer en voyageant de l'autre côté, parce que
nous voulions croire qu'il y avait une histoire ; parce qu'un récit de cupidité, de naïveté et de
mauvais jugement était meilleur que l'alternative, c'est-à-dire pas de récit du tout.
Au moment même où Jack Greene me parlait des espions qui avaient dénoncé le groupe Babij
et que je comprenais quelles avaient été les origines de l'histoire familiale, je me suis souvenu
de Marilyn, la cousine de ma mère à Chicago, quand elle s'était souvenue de la réaction à
l'annonce de la mort de Shmiel - je me souvenais qu'elle avait parlé de cris -- et je me suis
aperçu que j'avais aussi fait ce voyage à Chicago dans l'espoir de découvrir un drame. J'ai vu
alors que j'avais voulu déterrer quelque chose de déplaisant dans l'histoire des relations de
mon grand-père, de mes grands-tantes et de mes grands-oncles avec Shmiel, quelque chose qui
confirmerait mon récit personnel, suspicieux, d'une trahison plus terrible, plus intime, entre
frères et soeurs, ce qui était, après tout, ce que je savais, et qui fournirait un mobile cohérent
de leur échec à sauver Shmiel - s'il y avait eu, bien entendu, un tel « échec ».

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