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Voltaire: Lettre à Rousseau

Publié le 09/12/2021

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J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain, je vous en remercie. Vous plairez aux hommes, à qui vous dites leurs vérités; mais vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine dont notre ignorance et notre faiblesse se promettent tant de consolations. On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre, et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi. Je ne peux non plus m'embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada : premièrement, parce que les maladies dont je suis accablé me retiennent auprès du plus grand médecin de l'Europe et que je ne trouverais pas les mêmes secours chez les Missouris, secondement, parce que la guerre est portée dans ces pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu les sauvages presque aussi méchants que nous.

30 août 1755.

Circonstances de la lettre.

Après la publication du Discours sur les Sciences et les Arts, Voltaire avait écrit, en 1751, un dialogue intitulé Timon, où il tournait en ridicule les thèses de Rousseau hostiles aux philosophes.

En 1755, Rousseau fait paraître son second ouvrage, le Discours sur l'origine de l'inégalité, où il soutient que l'inégalité, réprouvée par la loi naturelle, a son origine dans la notion de propriété. De Paris, où il résidait depuis 1741, Rousseau adressa son discours à Voltaire, avec qui il n'était pas encore brouillé et qui s'était depuis peu installé aux Délices, non loin de Genève. Voltaire répond à cet envoi le 30 août 1755. Sa lettre se divise en deux parties : la première, plus courte, concerne le Discours sur l'origine de l'inégalité; la deuxième, plus longue, est une réfutation du Discours sur les sciences et les arts. Nous commentons seulement la première partie de la lettre.

« J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain, je vous en remercie.

Vous plairez aux hommes, à qui vous dites leursvérités; mais vous ne les corrigerez pas.

On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine dontnotre ignorance et notre faiblesse se promettent tant de consolations.

On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes.Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage.

Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdul'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre, et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plusdignes que vous et moi.

Je ne peux non plus m'embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada : premièrement, parce que lesmaladies dont je suis accablé me retiennent auprès du plus grand médecin de l'Europe et que je ne trouverais pas les mêmes secourschez les Missouris, secondement, parce que la guerre est portée dans ces pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu lessauvages presque aussi méchants que nous. 30 août 1755. Circonstances de la lettre. Après la publication du Discours sur les Sciences et les Arts, Voltaire avait écrit, en 1751, un dialogue intitulé Timon, où il tournait en ridicule les thèses de Rousseau hostiles aux philosophes. En 1755, Rousseau fait paraître son second ouvrage, le Discours sur l'origine de l'inégalité, où il soutient que l'inégalité, réprouvée par la loi naturelle, a son origine dans la notion de propriété.

De Paris, où il résidait depuis 1741, Rousseau adressa son discours à Voltaire,avec qui il n'était pas encore brouillé et qui s'était depuis peu installé aux Délices, non loin de Genève.

Voltaire répond à cet envoi le 30août 1755.

Sa lettre se divise en deux parties : la première, plus courte, concerne le Discours sur l'origine de l'inégalité; la deuxième, plus longue, est une réfutation du Discours sur les sciences et les arts.

Nous commentons seulement la première partie de la lettre. Le texte. Dès le début, Voltaire mêle aux compliments les pointes malicieuses qui égratignent.

J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain : formule d'une ironie discrète, plaisante plutôt qu'exacte; le Discours de Rousseau n'est pas dirigé contre le genre humain, mais contre l'institution sociale, et plus particulièrement contre le système économique fondé sur la propriété privée.

Je vous en remercie : c'est le ton un peu distant du maître glorieux à l'adresse d'un écrivain encore jeune dans le métier.

Les phrases suivantes sont élogieuses dans leur première partie et laissent percer à la fin d'insidieuses critiques.

Ainsi Voltaire promet le succès àJean-Jacques, Vous plairez aux hommes, à qui vous dites leurs vérités (remarque très fine sous sa forme paradoxale : Jasait que chaque lecteur se figure être exempt des faiblesses qu'il constate chez autrui); pourtant, il ne lui cache pas que sa leçon ne sera pasécoutée : vous ne les corrigerez pas; Rousseau pourrait répondre, il est vrai, qu'il n'a jamais eu la prétention de réformer les moeurs. De même, Voltaire rend hommage au talent de son correspondant : On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine; mais il laisse aussitôt entendre qu'il ne partage pas son point de vue : dont notre ignorance et notre faiblesse se promettent tant de consolations.

Les deux possessifs notre suffisent à suggérer que Voltaire se met du côté des partisans de cette civilisation honnie par Rousseau; quant à l'ignorance et à la faiblesse qu'il feint par une fausse humilité de s'attribuer comme au commun des mortels, elles s'opposent à la naïve présomption de Rousseau. L'éloge et la critique voilée continuent à alterner : On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes.

Voltaire met en lumière l'originalité de Rousseau; mais il attaque en passant l'une de ses idées principales : le sauvage était heureux; l'homme civilisé est 'dégénéré et malheureux.

L'auteur du Mondain est évidemment à l'opposé de cette conviction.

Pourtant, nous ne sommes pas en présence d'une réfutation en forme; Voltaire préfère user de son arme familière, le ridicule : de la thèse de Rousseau, il conclut qu'ilfaudrait revenir à la vie animale de l'homme primitif (conclusion abusive, Rousseau ayant maintes fois affirmé que « la nature humainene rétrograde pas ») ; et il traduit cette idée abstraite sous une forme burlesque : Il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. Sur un ton malicieusement contrit, Voltaire s'excuse de ne pouvoir satisfaire cette envie : Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre.

On évoque simultanément deux tableaux : celui du bébé Arouet marchant à quatre pattes; celui du vieux Voltaire essayant, mais en vain, de renouer avec cettehabitude.

La fin de la phrase, et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi, contient encore une insinuation agressive : Voltaire fait entendre qu'en exaltant l'état de nature Rousseau ravale l'homme au rang de l'animal. Enfin, sans se départir du ton badin, Voltaire tourne en ridicule le tableau que Rousseau a présenté de l'homme primitif en transposantce tableau dans les temps modernes et en imaginant une situation dont il serait lui-même le héros : Te ne peux non plus m'embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada.

Pourquoi? pour deux raisons qui, sous leur forme plaisante, ont la valeur de deux arguments.

Premièrement, parce que les maladies dont je suis accablé me retiennent auprès du plus grand médecin de l'Europe et que je ne trouverais pas les mêmes secours chez les Missouris : la civilisation a donc des avantages, et Voltaire, éternel moribond, doit au progrès des sciences les soins éclairés de son ami Tronchin.

Secondement parce que la guerre est portée dans ces pays-là; et que les exemples de nos nations ont rendu les sauvages presque aussi méchants que nous : les sauvages font la guerre, eux aussi; en quoi donc sont-ils supérieurs aux civilisés? Conclusion. Ce morceau célèbre est un modèle de finesse spirituelle.

On n'a jamais employé tant d'esprit à se moquer d'un adversaire en le couvrant de fleurs.

L'ironie donne une allure plaisante ou burlesque aux idées les plus sérieuses.

Le style est inégalable par sa limpiditéet sa grâce légère. Voltaire cependant n'a pas pénétré la pensée de Rousseau.

Il met les rieurs de son côté, mais il esquive le fond des questions. Sans être superficiel, son esprit se complaît un peu trop dans les jeux savants d'une critique destructrice.. »

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