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toyb !

Publié le 08/12/2021

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toyb ! - avaient une sonorité si ridicule que nous autres, frische yingelach, nous ne pouvions
que rire en les entendant.
Impertinents, nous l'étions peut-être, mais dans ces cas-là je n'ai jamais été réprimandé.
Personne ne vous grondait pour avoir essayé d'échapper à Herman le Coiffeur, depuis que,
dans son état de confusion, il avait donné à mon frère -  celui qui avait tiré les moustaches d'un
autre vieillard -  tout un rouleau de Tums, un médicament contre les brûlures d'estomac,
pensant que c'était des bonbons, et que mon frère avait vomi pendant deux jours. Il fallait être
gentil avec les autres vieilles personnes ; mais Herman le Coiffeur, on vous permettait de
l'éviter et, après quelques autres voyages en Floride quelques étés et hivers de plus, il n'était
plus là quand nous venions, et nous n'avons plus jamais eu à nous faire du souci à cause de lui.

2Création
 
C'EST LE JOUR de ma bar-mitsva que la quête a commencé. Comme n'importe quel autre
enfant juif que je connaissais, j'avais reçu une vague éducation religieuse. C'était en grande
partie pour apaiser mon grand-père, toutefois, puisque l'éducation juive réformée qui m'était
dispensée était tellement diluée, tellement dénaturée, en comparaison de la formation héder,
rigoureusement orthodoxe, qu'il avait reçue, des décennies plus tôt, que mes trois frères et moi
aurions pu être, selon lui, tout aussi bien éduqués par des prêtres catholiques. Cette éducation,
qui avait pour but de nous préparer pour le jour de notre bar-mitsva, ce que nous faisions aussi
essentiellement pour faire plaisir au père de notre mère, était divisée en deux phases.
A l'âge de neuf ou dix ans environ, nous avions dû aller à l'école du dimanche, un cours
hebdomadaire qui avait lieu dans la cave d'un motel local, devenu tristement célèbre par la
suite puisque c'était là que la fameuse chanteuse pop italo-américaine, Connie Francis, avait
été violée en 1974, après un tour de chant dans une salle de concerts du coin. Dans la cave de
ce bâtiment peu attrayant, M. Weiss, un homme très grand et très aimé, nous apprenait
l'histoire juive et les histoires de la Bible, le nom et la signification des fêtes.
Un grand nombre de ces fêtes, je m'en étais alors rendu compte, étaient des commémorations
du fait d'avoir, chaque fois, échappé de justesse aux oppressions de différents peuples païens,
des peuples que je trouvais, même à ce moment-là, plus intéressants, plus engageants et plus
forts, et plus sexy, je suppose, que mes antiques ancêtres hébreux. Quand j'étais enfant, à
l'école du dimanche, j'étais secrètement déçu et vaguement gêné par le fait que les Juifs de
l'Antiquité étaient toujours opprimés, perdaient toujours les batailles contre les autres nations,
plus puissantes et plus grandes ; et lorsque la situation internationale était relativement
ordinaire, ils étaient transformés en victimes et châtiés par leur dieu sombre et impossible à
apaiser. Quand vous avez un certain âge ou que vous êtes un enfant d'un certain genre - 
bizarre, peut-être ; peut-être le genre d'enfant que les autres enfants, plus grands,
tourmentent -, vous n'avez pas envie de passer vos loisirs à lire des histoires de victimes, de
perdants. Ce qui me paraissait bien plus attirant, quand j'étais enfant, puis adolescent, c'était
les civilisations de ces autres peuples de l'Antiquité, qui avaient l'air de beaucoup s'amuser et
qui, apparemment, étaient les oppresseurs des Hébreux. Quand nous avons lu l'histoire de
Pâque et la fuite d'eretz Mitzrayim, la Terre d'Egypte, j'ai rêvé des Egyptiens, avec leurs
poèmes d'amour séduisants et leurs vêtements de lin transparents, leurs dieux de la mort à
tête de chacal et leurs cercueils en or massif; quand nous avons lu l'histoire de Pourim, du
triomphe d'Esther sur le méchant vizir persan Haman, j'ai fermé les yeux et pensé aux

splendides raffinements des Mèdes, aux bas-reliefs de Persépolis, avec leurs descriptions
répétitives hypnotiques d'innombrables vassaux portant de belles robes et des barbes frisées et
parfumées. Quand j'ai lu l'histoire du miracle qui est commémoré chaque année à la fête de
Hannoukah, l'huile sainte du Temple miraculeusement préservée, dont le volume est
augmenté au cours des huit jours qui suivent la profanation du lieu saint par un tyran grec de la
période hellénistique, j'ai pensé à la sagesse et aux bénéfices potentiels de la politique
d'hellénisation d'Antioche IV, à la façon dont ils auraient pu apporter la stabilité dans cette
région constamment agitée.
C'était ce que je pensais à l'époque. Mais aujourd'hui je peux voir que la véritable raison pour
laquelle je préférais les Grecs, pardessus tous les autres, aux Hébreux, c'était que les Grecs
racontaient les histoires comme les racontait mon grand-père. Lorsque mon grand-père
racontait une histoire -- par exemple, celle qui se terminait par Mais elle est morte une
semaine avant de se marier -- il ne recourait pas au procédé évident de commencer par le
commencement et de finir par la fin ; il préférait la raconter en faisant de vastes boucles, de
telle sorte que chaque incident, chaque personnage, mentionné pendant qu'il était assis là, sa
voix de baryton déchirante oscillant sans cesse, avait droit à sa mini-histoire, à une histoire à
l'intérieur de l'histoire, un récit à l'intérieur du récit, de telle sorte que l'histoire ne se déployait
pas (comme il me l'a expliqué un jour) comme des dominos, une chose se produisant après une
autre, mais plutôt comme des boîtes chinoises ou des poupées russes, chaque événement en
contenant un autre, qui à son tour en contenait un autre, et ainsi de suite. D'où le fait, par
exemple, que l'histoire qui expliquait pourquoi sa soeur superbe avait été obligée d'épouser son
cousin laid et bossu commençait, nécessairement du point de vue de mon grand-père, par
l'histoire de son père mourant brutalement, un matin, dans le spa de Jaremcze, puisque c'était
après tout le début de la période difficile pour la famille de mon grand-père, des années
terribles qui allaient en définitive forcer sa mère à prendre la décision tragique de marier sa fille
au fils bossu de son frère, en paiement du prix du passage en Amérique pour commencer une
nouvelle vie, mais tout aussi tragique au bout du compte. Bien entendu, pour raconter l'histoire
de la façon dont son père était mort brutalement, un matin, à Jaremcze, mon grand-père devait
s'interrompre pour raconter une autre histoire, l'histoire de lui et de sa famille, à la période
faste, passant des vacances dans certains spas magnifiques à la fin de chaque été, par exemple
à Jaremcze, sur les contreforts des Carpates, quand ils n'allaient pas au sud mais à l'ouest, dans
les spas de Baden ou de Zakopane, un nom que j'adorais. Ensuite, pour donner une meilleure
perception de ce qu'était la vie à l'époque, pendant cette période dorée d'avant 1912 et la mort
de son père, il repartait plus loin dans le temps pour expliquer ce qu'avait été son père dans
leur petite ville, quel respect il avait inspiré et quelle influence il avait exercée ; et cette histoire,
à son tour, l'emmenait au tout début, à l'histoire de sa famille à Bolechow depuis que les
premiers Juifs y étaient arrivés, depuis la période où Bolechow n'existait pas encore.
L'une après l'autre, les boîtes chinoises s'ouvraient, et je restais assis à contempler chacune
d'elles, hypnotisé.
Il se trouve que c'est précisément la façon dont les Grecs racontent leurs histoires. Homère, par
exemple, interrompt souvent la marche en avant de l'Iliade, son grand poème épique, pour
remonter dans le temps et parfois dans l'espace, afin de rendre toute la richesse psychologique
et la profondeur émotionnelle des débats, ou afin de suggérer, comme il le fait parfois, que le
fait de ne pas connaître certaines histoires, le fait d'ignorer l'intrication des histoires qui, à
notre insu, forment le présent, peut être une grave erreur. L'exemple le plus célèbre est peutêtre celui de l'épisode du début du poème qui oppose les deux guerriers, Glaucos et Diomède :
alors que le Grec et le Troyen s'apprêtent à combattre, chacun d'eux se lance dans une longue

histoire destinée à souligner ses prouesses militaires et le prestige de sa famille, et les
généalogies qu'ils racontent sont si longues et si détaillées qu'on découvre bientôt qu'il existe
des liens familiaux entre les deux, et en poussant des cris de joie, les deux hommes qui,
quelques minutes auparavant, étaient prêts à s'entretuer, se serrent les mains et se jurent une
amitié éternelle. De la même façon (pour se déplacer de la poésie à la prose), lorsque l'historien
Hérodote, des siècles après Homère, a composé sa grande histoire de la victoire à la fois totale
et improbable des Grecs sur le vaste Empire perse, au début du Ve siècle avant J.-C., lui aussi a
eu recours à cette vieille technique fascinante. Il lui paraît donc naturel, pour raconter l'histoire
du conflit de la Grèce et de la Perse, de faire le récit de l'histoire de la Perse, ce qui implique des
digressions à la fois importantes et mineures, depuis l'histoire fameuse du souhait qu'un certain
potentat oriental avait de voir un autre homme contempler sa femme nue (le péché
d'arrogance, sommes-nous censés comprendre, qui a déclenché la chute d'une grande
dynastie) jusqu'au chapitre entier consacré à l'histoire, aux coutumes, aux moeurs, à l'art et à
l'architecture d'Egypte, puisque l'Egypte faisait partie, après tout, de l'Empire perse. Et ainsi de
suite.
Par conséquent, chaque culture, chaque auteur, raconte des histoires de manière différente, et
chaque style narratif ouvre, pour les autres narrateurs d'histoires, des possibilités dont il
n'aurait, sinon, pas même rêvé. D'un certain romancier français, par exemple, vous pourriez
apprendre qu'il est en théorie possible de consacrer l'essentiel d'un roman substantiel à
l'unique conversation qui eut lieu au cours d'un seul repas ; d'un certain écrivain américain (né
en Pologne, toutefois), que le dialogue peut être conçu, de manière à la fois intéressante et
dangereuse, de telle sorte qu'il soit impossible à distinguer du point de vue du narrateur ; chez
un écrivain allemand que vous admirez, vous pourriez découvrir, à votre grande surprise, que,
dans certaines circonstances, des dessins et des photos, que vous auriez jugés inappropriés à,
ou en concurrence avec, des textes sérieux, peuvent apporter de la dignité à des histoires
tristes. Et, naturellement, ces Grecs, Homère et Hérodote, ont démontré qu'une histoire n'a pas
à être racontée dans l'ordre chronologique, il s'est passé ceci puis cela -  comme c'est le cas
dans la Genèse, par exemple, dont on peut dire au bout d'un moment que c'est un récit qui
peut paraître ennuyeux et plat. Et en effet, même si je n'en étais pas conscient à l'époque, je
vois maintenant qu'une certaine technique de récit en boucles, dont j'ai cru pendant longtemps
que mon grand-père était l'inventeur, était la véritable raison -  plus que la beauté et le plaisir
païens, plus que la nudité païenne, plus que la puissance, l'autorité et la victoire païennes
- pour laquelle les Grecs, plus que les Hébreux, avaient captivé mon imagination depuis la plus
tendre enfance, depuis le commencement.
C'est ce qui explique comment mon grand-père, qui était à mes yeux la judéité en soi, a fait
naître en moi un goût indéfectible pour les païens.
L'histoire que nous apprenions à l'école du dimanche, l'histoire des Juifs et des fêtes juives,
était donc une histoire qui me mettait mal à l'aise vis-à-vis de moi-même, dans la mesure où
j'étais un Juif qui admirait les Grecs. Cette ambivalence est peut-être à l'origine de mon
incapacité déplorable à satisfaire aux exigences de la seconde phase de mon éducation juive,
qui s'appelait l'école hébraïque et commençait à l'âge de douze ans. Les cours de l'école
hébraïque avaient lieu le mercredi après-midi dans la synagogue aux bancs et aux poutres
sombres où se rendait ma famille, et ils étaient entièrement consacrés à la préparation de la
bar-mitsva. Menées par un petit homme rond, qui faisait précéder son nom du titre de
« docteur », exactement comme l'auraient fait certains en Europe centrale (même si cet
homme était originaire de Boston), ces séances de deux heures étaient essentiellement vouées
à l'étude de l'hébreu. Mais, à l'âge de douze ans, j'étudiais déjà le grec ancien et j'étais assez

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