Rhinocéros
Publié le 18/05/2020
Extrait du document
«
Lecture analytique n°4 : Le monologue final, Acte 3 « Je ne suis pas beau »p.245 jusqu’à la fin.
Intro
Bérenger est désormais seul sur scène : il est le dernier personnage à ne pas avoir subi la métamorphose.
La pièce se clôt donc
sur un monologue final de Bérenger, dans sa chambre, où il semble reclus, cerné par les rhinocéros.
Ce monologue a
commencé un peu plus haut dans la pièce, après le départ de Daisy ; Bérenger compare alors les tableaux représentant des
hommes et les têtes de rhinocéros présentes au fond de la scène.
Comment, par ce monologue, se dénoue la farce tragique
qu'est Rhinocéros?
1.
La solitude radicale et tragique de Bérenger
a) Un discours particulier : le monologue
Le recours au monologue est ici justifié par l'évolution du « drame » qui a conduit à la métamorphose progressive de tous les
per sonnages.
Bérenger est le dernier homme , il n'a plus d'interlocuteur.
Un accessoire sur scène souligne cette situation :
la glace ; Bérenger se parle de fait à lui-même (« il va vers la glace »l.3, « il contemple sa poitrine dans la glace »l.12).
Aucune marque du discours dialogué, fréquemment utilisé au sein même d'un monologue : il n'y a donc plus aucun
destinataire même potentiel, même imaginaire, à la parole de Bérenger ; plus personne ne parle sa langue.
Toute
com m unication est donc impossible et le passage radicalise cette faillite de la parole présente dans toute la pièce.
Disposition spécifique du discours théâtral qui confère au public une place particulière et problématique : est-il l'ultime
destinataire de la parole de Bérenger (et de Ionesco), selon le jeu de la double énonciation, ou est-il inclus, par une sorte
de manœuvre provocante et déstabilisante du dramaturge, dans cet espace rhinocérique qui encercle Bérenger ? En effet,
celui-ci n'est pas exactement seul sur scène : il est cerné par les rhinocéros, figurés par les têtes accro chées au mur et dont la
présence est accentuée par les barrissements.
D'ailleurs, à la fin du monologue, Bérenger semble s'adresser à ces rhinocéros,
dans une forme de défi final :
« Il se retourne face au mur du fond [...] tout en criant ».
b) Bérenger et les autres
Solitude de Bérenger contre tous : on relèvera l'opposi tion du singulier et du pluriel, et celles entre je et « eux »( l.3, 5, 19 ),
entre « je » et « tout le monde »( l.35, 37).
Déplacement de la norme.
Comme Bérenger est le dernier de son espèce, il est devenu « l'anormal », alors que les rhinocéros
constituent la norme de référence : il se qualifie de « monstre »l.27 et se compare, à son désavantage, aux rhinocéros
Les rhinocéros sont connotés positivement .
Le contraste de la beauté et de la laideur (« je ne suis pas beau »l.1, « ce sont
eux qui sont beaux »l.3) est développé à travers les oppositions de formes (« corne »l.5, « Front plat »l.6 et « traits
tombants »l.7), de texture (« moites »l.11, « rugueuses »l.11 / « flasque »l.13, « dure »l.14 / « sans poils »l.16, « poilu
»l.14) ou de couleur (« trop blanc »l.13, « magnifique couleur vert sombre »l.15).
Enfin, les barrissements apparaissent comme des « chants »l.17 opposés à la faiblesse de sa propre voix, humaine.
On
aboutit dès lors à un éloge des rhinocéros qui révèle que la solitude et la différence, c'est-à-dire le simple fait d'être soi,
sont difficiles à porter, à assumer.
Le sentiment dominant de Bérenger est ici la honte (« j'ai trop honte »l.31, « comme j'ai mauvaise conscience »l.25, « J'ai
eu tort »l.4).
Le monologue exprime la douleur de Bérenger, qui est d'abord douleur d'être lui-même.
Ponctuation
expressive : phrases exclamatives, interjections (« hélas ! »l.5 « ah ! »l.14), répétitions désespérées (« jamais, jamais
»l.28).
2 2.
La tentation de la métamorphose
3 a) Devenir rhinocéros !
Le souhait de la métamorphose s'exprime fortement dans ce final : répétition du verbe vouloir au conditionnel « je voudrais »
l.4, l.14, 29 + propositions introduites par « comme » ou par « si ».
De même, les formules comparatives révèlent le désir de
devenir rhinocéros : « être comme eux »l.5, « faire comme eux » l.19.
Enfin, Bérenger tente d'adopter le barrissement (« il
essaie de les imiter »l.19 ; « ahh ! ahh ! brr ») l.21, ce qui confère à la scène une véritable dimension de farce tragique.
Le discours de Bérenger évolue : le début du passage reste empreint d'un espoir de changement (« ça viendra peut-être
»l.l.7), puis après la tentative de barrissement, c'est le constat d'échec : « je ne deviendrai jamais rhinocéros »l.28
.Bérenger ne parvient pas en effet à se transformer en rhinocéros.
Le monologue multiplie aussi les aveux directs d'impuissance par l'abondance des phrases négatives : « non, ce n'est pas
ça »l.20, « je n'arrive pas à » l.23, « je ne peux plus » l.29, « je ne peux pas »l.30.
Le caractère définitif de cette
impossibilité à être rhinocéros est enfin souligné par les adverbes « jamais »l.28, « plus » « trop tard »l.26.
b ) Bérenger, une nouvelle figure héroïque ?
Si Bérenger reste homme, c'est d'abord non par héroïsme , mais par impossibilité pro fonde de céder au « charme » (au sens
d'env oûtement) des barrissements et de suivre les autres .
L’expression « Malheur à celui qui veut conserver son originalité »l.32 est à prendre au sens premier du terme.
Ainsi
1.
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