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pirogue.

Publié le 08/12/2021

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pirogue. Pour voyager à pied, ce fut une autre affaire, car chaque ronce, chaque branche, chaque fondrière arrachaient à
Lucinda des cris stridents. Tous les efforts pour l'inciter à accepter mon bras, mon épaule, mes cheveux même, furent
vains. Il lui fallait la botte gauche, unique protection et seul point de sécurité dans cette forêt où elle était née et avait
vécu, mais qu'il avait suffi de quelques mois auprès de l'homme pour lui rendre aussi étrangère que si elle avait grandi
dans les raffinements de la civilisation. C'est ainsi que, boitant de la jambe gauche et les oreilles blessées de lancinants
reproches à chaque faux pas, j'essayais de ne pas perdre de vue le dos d'Abaitara, dans la pénombre verte où notre guide
progressait d'un pas rapide et court, contournant de gros arbres qui, par instants, faisaient croire qu'il avait disparu,
taillant à coups de sabre, infléchissant à droite ou à gauche un itinéraire pour nous incompréhensible, mais qui nous
enfonçait toujours plus avant.
Pour oublier la fatigue, je laissais mon esprit travailler à vide. Au rythme de la marche, des petits poèmes se formaient
dans ma tête où je les retournais pendant des heures comme une bouchée sans saveur à force d'avoir été mastiquée,
ais qu'on hésite à cracher ou à déglutir à cause de la menue compagnie entretenue par sa présence. L'ambiance
d'aquarium qui régnait dans la forêt engendrait ce quatrain :
 
Dans la forêt céphalopode
gros coquillage chevelu
de vase, sur des rochers roses qu'érode
le ventre des poissons-lune d'Honolulu
 
Ou bien par contraste sans doute, j'évoquais le souvenir ingrat des banlieues :
 
On a nettoyé l'herbe paillasson
les pavés luisent savonnés
sur l'avenue les arbres sont
de grands balais abandonnés
 
Il y eut enfin celui-ci qui ne m'a jamais paru achevé bien qu'il fût de circonstance ; aujourd'hui encore, il me
ourmente dès que j'entreprends une longue marche :
 
Amazone, chère amazone
vous qui n'avez pas de sein droit
vous nous en racontez de bonnes
mais vos chemins sont trop étroits
 
Vers la fin de la matinée, au détour d'un buisson, nous nous trouvâmes subitement en face de deux indigènes qui
oyageaient dans la direction opposée. L'aîné, âgé d'une quarantaine d'années, vêtu d'un pyjama déchiré, avait les
heveux longs jusqu'aux épaules ; l'autre, aux cheveux coupés court, était complètement nu, hors le petit cornet de paille
oiffant son pénis ; il portait sur le dos, dans une hotte de palmes vertes étroitement ficelée autour du corps de l'animal,
n grand aigle-harpie troussé comme un poulet, qui offrait un aspect lamentable malgré son plumage strié gris et blanc et
a tête au puissant bec jaune, surmontée d'une couronne de plumes hérissées. Chaque indigène tenait arc et flèches à la
ain.
De la conversation qui s'engagea entre eux et Abaitara résulta qu'ils étaient, respectivement, le chef du village que
ous cherchions à atteindre et son lieutenant ; ils précédaient les autres habitants, qui erraient quelque part dans la
orêt ; tous allaient vers le Machado pour rendre au poste de Pimenta Bueno la visite promise depuis un an ; enfin, l'aigle
tait un cadeau destiné à leurs hôtes. Tout cela ne faisait pas notre affaire, car nous ne tenions pas seulement à
encontrer les indigènes, mais à visiter le village. Il fallut donc, par la promesse des nombreux présents qui les attendaient
u campement du Porquinho, persuader nos interlocuteurs de faire demi-tour, de nous accompagner et de nous accueillir
ans le village (ce à quoi ils manifestèrent une extrême répugnance) ; ensuite, nous reprendrions tous ensemble le
hemin de la rivière. L'accord une fois réalisé, l'aigle empaqueté fut jeté sans façon au bord d'un ruisseau, où il semblait
névitable qu'il dût rapidement mourir de faim ou être la proie des fourmis. On n'en parla plus pendant les quinze jours
ui suivirent, sauf pour dresser rapidement son acte de décès : « Il est mort, l'aigle. » Les deux Kawahib disparurent dans
a forêt pour annoncer notre arrivée à leurs familles, et la marche reprit.
L'incident de l'aigle donnait à réfléchir. Plusieurs auteurs anciens relatent que les Tupi élevaient les aigles et les
ourrissaient de singes pour les déplumer périodiquement ; Rondon avait signalé cet usage chez les Tupi-Kawahib, et
'autres observateurs, chez certaines tribus du Xingu et de l'Araguaya. Il n'était donc pas surprenant qu'un groupe de
upi-Kawahib l'ait préservé, ni que l'aigle, considéré comme leur propriété la plus précieuse, fût apporté en présent, si
os indigènes avaient vraiment résolu (comme je commençai à le soupçonner et le vérifiai par la suite) de quitter

définitivement leur village pour se rallier à la civilisation. Mais cela n'en rendait que plus incompréhensible la décision
d'abandonner l'aigle à un pitoyable destin. Pourtant, toute l'histoire de la colonisation, en Amérique du Sud et ailleurs,
doit tenir compte de ces renonciations radicales aux valeurs traditionnelles, de ces désagrégations d'un genre de vie où la
erte de certains éléments entraîne la dépréciation immédiate de tous les autres, phénomène dont je venais peut-être
d'observer un exemple caractéristique.
Un repas sommaire, fait de quelques lambeaux grillés et non dessalés de xarque, s'agrémenta des récoltes de la
orêt : noix tocari ; fruits à pulpe blanche, acide et comme mousseuse, du cacao sauvage ; baies de l'arbre pama ; fruits
et graines du caju des bois. Il plut toute la nuit sur les auvents de palme qui protégeaient les hamacs. À l'aube, la forêt,
silencieuse toute la journée, retentit pendant quelques minutes du cri des singes et des perroquets. Nous reprîmes cette
rogression où chacun cherche à ne pas perdre de vue le dos qui le précède, convaincu qu'il suffirait de s'écarter de
uelques mètres pour que tout repère disparaisse et qu'aucun appel ne soit entendu. Car un des traits les plus frappants
e la forêt est qu'elle semble immergée dans un milieu plus dense que l'air : la lumière ne perce que verdie et affaiblie, et
a voix ne porte pas. L'extraordinaire silence qui règne, résultat peut-être de cette condition, gagnerait par contagion le
oyageur, si l'intense attention qu'il doit consacrer à la route ne l'incitait déjà à se taire. Sa situation morale conspire
vec l'état physique pour créer un sentiment d'oppression difficilement tolérable.
De temps à autre, notre guide se penchait au bord de son invisible piste pour soulever d'un geste preste une feuille et
ous signaler au-dessous un éclat lancéolé de bambou planté obliquement dans le sol afin qu'un pied ennemi s'y empale.
es engins sont nommés : min par les Tupi-Kawahib, qui protègent ainsi les abords de leur village ; les anciens Tupi en
utilisaient de plus grands.
Au cours de l'après-midi, on atteignit un castanhal, groupe de châtaigniers autour desquels les indigènes
(qui exploitent méthodiquement la forêt) avaient ouvert une petite clairière pour récolter plus aisément les fruits tombés.
à se trouvait campé l'effectif du village, hommes nus portant l'étui pénien déjà observé sur le compagnon du chef,
emmes également nues sauf pour un fourreau de coton tissé, jadis teint en rouge à l'urucu et devenu roussâtre à l'usage,
ui leur ceignait les reins.
On comptait en tout six femmes, sept hommes dont un adolescent, et trois petites filles paraissant âgées de un, deux
t trois ans ; sans doute un des groupes les plus restreints dont on pût concevoir qu'il eût réussi, pendant au moins treize
ns (c'est-à-dire depuis la disparition du village d'Abaitara), à subsister, coupé de tout contact avec le monde extérieur.
ur ce nombre il y avait d'ailleurs deux paralysés des membres inférieurs : une jeune femme qui se soutenait à l'aide de
eux bâtons et un homme, jeune également, qui se traînait sur le sol à la manière d'un cul-de-jatte. Ses genoux saillaient
u-dessus de jambes décharnées, enflés sur leur face interne et comme remplis de sérosités ; les orteils du pied gauche
taient inertes, tandis que ceux du pied droit avaient conservé leur motilité. Pourtant, les deux infirmes parvenaient à se
déplacer dans la forêt, et même à accomplir de longs parcours avec une apparente aisance. Était-ce la poliomyélite, ou
uelque autre virus ? Il était affligeant d'évoquer devant ces malheureux, livrés à eux-mêmes, dans la nature la plus
hostile que puisse affronter l'homme, ces pages de Thevet, qui visita les Tupi de la côte au XVIe siècle, où il admire que ce
euple, « composé des mêmes éléments que nous... jamais... n'est atteint de lèpre, paralysie, léthargie, maladies
hancreuses, ni ulcères, ou autres vices du corps qui se voyent superficiellement et en l'extérieur ». Il ne se doutait guère
que lui et ses compagnons étaient les courriers avancés de ces maux.

XXXIII
LE VILLAGE AUX GRILLONS
Vers la fin de l'après-midi, nous arrivions au village. Il était établi dans une clairière artificielle surplombant l'étroite
vallée d'un torrent que je devais identifier plus tard avec l'Igarapé do Leitão, affluent de la rive droite du Machado, où il
se jette à quelques kilomètres en aval du confluent du Muqui.
Le village consistait en quatre maisons approximativement carrées et placées sur la même ligne, parallèlement au
cours du torrent. Deux maisons - les plus grandes - servaient à l'habitation, comme on pouvait le voir aux hamacs de
cordelettes en coton nouées, suspendus entre les poteaux ; les deux autres (dont une intercalée entre les deux
premières) n'avaient pas été occupées depuis longtemps, et offraient l'aspect de hangars ou d'abris. Un examen
superficiel aurait pu faire croire ces maisons du même type que les habitations brésiliennes de la région. En réalité, leur
conception était différente, car le plan des poteaux supportant la haute toiture de palme à double pente était inscrit à
l'intérieur de celui de la toiture et plus petit que lui, de sorte que le bâtiment affectait la forme d'un champignon carré.
Toutefois, cette structure n'était pas apparente, en raison de la présence de faux murs, élevés à l'aplomb du toit sans le
rejoindre. Ces palissades - car c'en étaient - consistaient en troncs de palmiers refendus et plantés les uns à côté des
autres (et liés entre eux), la face convexe au-dehors. Dans le cas de la maison principale - celle placée entre les deux
hangars - les troncs étaient échancrés pour ménager des meurtrières pentagonales, et la paroi extérieure était couverte
de peintures sommairement exécutées en rouge et noir avec de l'urucu et une résine. Ces peintures représentaient dans
l'ordre, d'après le commentaire indigène, un personnage, des femmes, un aigle-harpie, des enfants, un objet en forme de
meurtrière, un crapaud, un chien, un grand quadrupède non identifié, deux bandes de traits en zigzag, deux poissons,
deux quadrupèdes, un jaguar, enfin un motif symétrique composé de carrés, de croissants et d'arceaux.
Ces maisons ne ressemblaient en rien aux habitations indigènes des tribus voisines. Il est probable pourtant qu'elles
reproduisent une forme traditionnelle.
Quand Rondon découvrit les Tupi-Kawahib, leurs maisons étaient déjà carrées ou rectangulaires avec un toit à double
pente.
De plus, la structure en champignon ne correspond à aucune technique néobrésilienne. Ces maisons à haute toiture
ont d'ailleurs attestées par divers documents archéologiques relevant de plusieurs civilisations précolombiennes.
Autre originalité des Tupi-Kawahib : comme leurs cousins Parintintin, ils ne cultivent ni ne consomment le tabac. En
ous voyant déballer notre provision de tabac en corde, le chef du village s'écriait avec sarcasme : ianeapit, « ce sont des
excréments !... ».
 
 

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