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NEW DEAL

Publié le 02/12/2021

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Bien qu'il représente un tournant fondamental de l'histoire des États-Unis, le New Deal n'a pas d'histoire ; il n'y en eut aucun signe avant-coureur : pas de mouvement social qui puisse expliquer l'adoption d'un tel projet et susciter un pareil soutien populaire ; aucun parti dont le programme eût quelque point commun avec ce que serait le New Deal. En soi, la « révolution Roosevelt » n'est pas difficile à expliquer ; mais qu'il n'y ait pas eu jusqu'alors de démocratie sociale en Amérique, voilà qui est moins simple à comprendre. La meilleure explication de l'avènement du New Deal se trouve dans la Constitution et le fédéralisme qu'elle établit. À l'origine, la Constitution déléguait très peu de pouvoir à l'État fédéral. Certes, la cession des terres publiques, les travaux d'intérêt public, les recettes de douane sur les produits importés, la sauvegarde du système monétaire, la protection des brevets et droits d'auteur lui revenaient. Mais le gouvernement fédéral était une république commerçante qui ne concevait de meilleure incitation à l'action que le patronage étatique et n'exerçait pratiquement aucune contrainte directe sur les citoyens. Tous les autres pouvoirs revenaient aux États fédérés. Les lois fondamentales pour les individus et les collectivités locales étaient faites et imposées par les législatures et les tribunaux des États. Il n'est donc pas étonnant que les centaines de mouvements sociaux et de groupes organisés qui se constituèrent à la fin de la guerre de Sécession (1861-1865), pour répondre aux changements économiques révolutionnaires de l'époque, se soient tournés non pas vers Washington mais vers les États. Nationalisation du politique. Le glissement de la politique américaine vers l'échelon national n'intervient qu'après 1886, quand la Cour suprême rend son jugement dans l'un des cas les plus marquants de toute l'histoire de la législation américaine : Wabash, St Louis, and Pacific Railway c. Illinois. À cette occasion, elle invalide une décision de l'État d'Illinois et lui interdit de fixer un plafond aux tarifs de transport des marchandises pratiqués par les compagnies ferroviaires lors de la traversée de cet État (mesure destinée à protéger les agriculteurs), au motif que le commerce interétatique est du ressort exclusif de l'État fédéral. Ce jugement fait apparaître une sorte de no man's landéconomique où les États n'ont pas le droit d'imposer une réglementation alors même que l'État fédéral, qui en a seul le pouvoir, ne souhaite pas réglementer. Les groupes d'intérêt se détournent presque aussitôt des États pour s'adresser à Washington. Agricoles ou patronales, la plupart des associations nationales sont créées après 1886. Quant au premier syndicat, mené par Samuel Gompers (1850-1924), il ne prend de l'importance qu'à partir de cette date. La Cour suprême vient, de fait, de nationaliser, au sens propre du terme, la politique américaine. L'État fédéral n'en reste pas moins réticent à s'occuper d'une économie en pleine révolution. Après l'arrêt Wabash, le Congrès adopte cependant deux lois importantes : l'Interstate Commerce Act de 1887 et le Sherman Antitrust Act de 1890. Il y a encore deux ou trois exceptions en 1914, à l'époque du président Woodrow Wilson (la création du Federal Reserve Board (Fed), pour réglementer les banques nationales, et de la Federal Trade Commission, pour réglementer la concurrence commerciale interétatique), mais en définitive, il s'agit d'efforts bien modestes eu égard à l'importance croissante de l'économie. De plus, l'échelon national demeure à peu près absent des controverses locales, d'autant plus cruciales qu'une bonne part de l'activité économique se déploie localement. Même si la crise de 1929 est la cause ultime qui déclenchera une révolution au sein du gouvernement fédéral, Franklin D. Roosevelt, en 1932, se présente aux élections en tant que conservateur. Il accuse le président Herbert C. Hoover (1929-1933) de prodigalité et promet que le New Deal comportera un budget en équilibre. À ce stade, le New Deal n'est encore qu'un artifice rhétorique de campagne électorale que la presse reprend et rend populaire. Les décisions politiques qui le constitueront, provoquant une véritable révolution constitutionnelle et gouvernementale, sont en fait l'émanation de groupes d'intérêts multiples (économiques et sociaux) ayant infiltré le Parti démocrate et trouvant là l'occasion de rédiger ou, à tout le moins, d'inspirer leur propre législation. Durant cette période, la croissance du budget s'explique à la fois par l'extension des domaines d'action de l'État fédéral (par rapport au xixe siècle) et par l'addition, dans le giron étatique, de secteurs d'activités restés jusque-là du ressort de la société civile. Si, pour faire face à la dépression, F. D. Roosevelt avait simplement jugulé la crise en élargissant la portée des politiques traditionnelles, sa réussite aurait déjà été remarquable. Mais la « révolution Roosevelt » met en place des politiques redistributives et régulatrices, fort rares jusqu'aux années 1930 et encore entachées d'un doute constitutionnel. Ces programmes instaurent une relation totalement nouvelle entre l'État fédéral et les citoyens. D'un point de vue constitutionnel, la « révolution Roosevelt » représente en fait deux révolutions en une, dans la mesure où politique de redistribution sociale et politique de réglementation doivent être validées séparément par la Cour suprême. Au début des années 1930, la Cour les déclare toutes deux inconstitutionnelles en invalidant les lois les plus importantes du New Deal. Mais elle finit par céder devant la victoire écrasante de F. D. Roosevelt aux élections présidentielles de 1937. Une révolution faite de compromis. L'économie politique du New Deal ménage, en réalité, « la chèvre et le chou », reflétant les coalitions qui forment la base du Parti démocrate sous F. D. Roosevelt. Les plus importants programmes de réglementation sont nettement « corporatistes ». Ils autorisent les intérêts concernés à s'auto-organiser sous l'égide de l'État. Le National Labor Relations Act (ou Wagner Act) est, lui, clairement « syndicaliste » et concerne plus le syndicat que les syndiqués. Le National Industrial Recovery Act et son importante agence, la National Recovery Administration, se veulent ouvertement corporatistes. La réglementation concernant l'utilisation des terres pour soutenir les prix agricoles l'est aussi, tout comme l'assouplissement des lois antitrust dans plusieurs secteurs de l'économie. Mais ces politiques de réglementation sont, dans le même temps, éminemment progressistes. Les dirigeants du New Deal se montrent remarquablement tolérants à l'égard de la puissance (bigness) tant des grandes entreprises que des entités publiques. Mais ils sont fortement soucieux de réformes qui contraindraient ces puissantes organisations à se montrer plus responsables et plus solidaires. Ce progressisme se manifeste dans de nombreux secteurs comme les procédures administratives et budgétaires. Plus tard, on attribua au New Deal une cohérence idéologique et intellectuelle qu'il n'eut jamais vraiment. Cette impression tenait en partie à la querelle de la constitutionnalité : en approuvant l'ampleur, le caractère coercitif et la portée locale des programmes rooseveltiens, la Cour suprême créa l'idée que le New Deal était un bloc. Peut-être ce sentiment de rationalité a-t-il tenu aussi à la montée, un demi-siècle plus tard, d'une opposition carrément conservatrice. Quant à savoir ce qu'était réellement le New Deal, la réponse ne peut être trouvée que dans le processus politique lui-même. Theodore J. LOWI

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