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MALEBRANCHE: sa vie et son oeuvre philosophique

Publié le 05/12/2021

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 (1638-1715)
Ce disciple de Descartes, qui fut oratorien avant de devenir philosophe, a inventé un système philosophique très particulier : « l'occasionnalisme «. La vraie cause de toute chose c'est Dieu. La « vision en Dieu « explique tout : les causes des choses ne sont jamais que des causes « occasion­nelles «, secondaires par rapport à Dieu, seule cause première. Son plus important ouvrage est La recherche de la vérité. (On pourra entrer dans l'étude de sa philosophie par les initiations qu'ont publiées Victor Delbos, Henri Gouhier, ou Geneviève Rodis-Lewis [Seghers].)

« La Recherche de la vérité parut en 1674, dix ans juste après l'événement intellectuel delà rue Saint-Jacques. L'ouvrage, profond et agréable, où il y avait de la philosophie, de la théologie, de la physique et de menus propos de morale, et de ces choses, comme dit Fontenelle, «qui, étant facilement entendues, flattent le lecteur de pouvoir entendre les autres et lui per suadent qu'il entend tout », fît un très grand bruit, fut très attaqué, hotamment par Foucher, chanoine de Dijon, et très approuvé, notamment par le grand Àrnauld et le bénédictin Des Gabets. Les Conversations chrétiennes suivirent, en 1677. C'était un ouvrage en dialogues, à la manière de Pla ton, destiné à montrer, plus encore que la Recherche de la vérité, la conformité du système du Père Maie-branche avec la religion chrétienne ou celle de cette religion avec ce système. S'enfonçant de plus en plus dans ses méditations théologiques, Malebranche,sur lasollicitationdu PèreMALEBRANCHE 75 Quesnel, oratorien comme lui et d'autre part disciple d'Arnauld, écrivit le Traité de la nature et de la grâce, qui parut en 1680; Cette fois Axnauîd ne fut point du tout de l'avis du Père Malebranche et le réfuta, de Hollande, où il s'était réfugié, par son livre Des vraies et des fausses idées.

D'autre part, Bossuet écri vit sur son exemplaire du Traité de la nature et de la grâce : « Pulchra, nova, falsa— Beau, nouveau, faux », et fît réfuter par Fénelon l'ouvrage de « l'ex travagant oratorien.

» Malebranche répliqua par plusieurs réponses et par trois lettres « touchant la défense de M.

Arnauld.

» Mais au cours même de cette polémique il écrivait ses Méditations métaphysiques et chrétiennes (1684), qui eurent un prodigieux succès.

La première édition (4000 exemplaires) fut enlevée en une semaine. Cette même année le Traité de morale fut publié avec un assentiment unanime, ne touchant à aucun point de controverse et se bornant à conduire le lecteur par une logique rigoureuse des principes philosophiques les plus généraux aux plus rigoureuses prescriptions de la religion chrétienne. Enfin Malebranche couronna son œuvre en 1688 par ses admirables Entretiens sur la métaphysique et sur lareligion, où il revenait sur les principaux points de son système avec un redoublement de subtile dialec tique et surtout un redoublement d'éloquence. Ce fut son dernier grand ouvrage ; mais il travailla encore et jusqu'à la fin.

Ayant appris que sa philoso-76 MALEBRANCHE phie avait pénétré jusqu'en Chine et qu'à ce que disaient les missionnaires de ce pays-là, il ne fallait envoyer en Chine que des prédicateurs qui connussent les mathématiques et les ouvrages du P.

Malebranche, il écrivit l'ingénieux et pénétrant Entretien d'un philo* sophe chrétien et d'unphilosophe chinois sur la nature de J)ieu.

Cela lui fit une affaire avec les jésuites du Journalde Trévoux, qui soutinrent que Malebranche avait calomnié les Chinois en les considérant comme des athées, à quoi Malebranche répondit, textes et té moignages en mains, qu'à tout prendre bon nombre de Chinois étaient au moins assez athées pour qu'il pe fût pas inutile de les convertir au déisme. Malebranche finit par une démarche où les faiseurs de système sont presque toujours contraints d'en venir et qui consiste à combattre leurs disciples.

Un livre certainement inspiré des idées de Malebranche et les poussant plus loin que lui, ayant paru, intitulé : de l'Action de Dieu sur les créatures, Malebranche le réfuta dans ses Réflexions sur la prémotion physique, où il cherche à démontrer que dans son système le libre arbitre humain subsiste tout entier, encore que les lecteurs inattentifs s'imaginent qu'il y disparaît. Cet ouvrage parut en 1715.

Malebranche avait 77 ans.

Il avait toujours été de petite santé et forcé à de très grands ménagements.

On ne le ménageait pas assez.

Detous les pays du monde, d'Angleterre surtout, ce qui fait honneur à ce pays, les savants, les hommes 4e lettres, les philosophes, accouraient çn foule,MALEBRANCHE 77 soit pour le voir, soit, comme dit spirituellement Fon tanelle* « pour l'avoir vu », et par bonté, nofc point du tout par amoufr-propre, il ne savait pas assez les priver de la gloire de l'avoir vu ou de la satisfaction de le Voir.

Des princes allemands firent le Voyage exprès pour lui être présentés.

On sait le mot dé cet officier anglais prisonnier qui disait : « Il y a une consolation à cela, qui est qu'aussi bien j'ai toujours eu le désir de voir Louis XIV et M.

de Malebranche.

» Le philosophe Berkeley fut peut-être la cause dé sa mort, la« cause Occasionnelle *s pour parler selon le vocabulaire de Malebranche.

Il força à peu près sa porte et le contraignît à discuter.

lien résulta pour le malade des accidents qui peut-être hâtèrent sa fin. Quoi qu'il en soit, vers le milieu de juin 1715, il tomba fort malade et Ion jugea qu'on ne le conserve rait point.

C'était une sorte de défaillance générale* sans fièWë, sans qu'aucun organe semblât particuliè rement atteint, mais avec de grandes douleurs.

Il fût danscet état quatre mois, s'affaiblissant dejour en jour, se desséchant à devenir une manière de squelette et Voyant se réduire jusqu'à s'effacer ce corps qu'il avait tant méprisé.

Le 13 octobre il s'éteignit si paisiblement que l'Oii crut assez longtemps qu'il dormait, alors qu'il avait déjà quitté cette terre. C'était un homme très doux, très bon, invincible ment poii et courtois dans la dispute, encore que, sans r&imerj il ne l'évitât point.

H eut des amis qui avaient à son endroit une espèce de culte et d'enthousiasme.78 malebranche C'est celui de nos philosophes qui rappelle le plus ce que les anciens nous rapportent de Pythagore.

Il était par excellence le Penseur ou le Méditatif.

Il lisait très peu.

Il méprisait l'histoire et même, ce qui est exces sif pour un philosophe, l'histoire de la philosophie. Il ne lisait guère, en bon Cartésien, que des livres de science ; en fait de philosophie, il ne connaissait, cerne semble bien, que Descartes et saint Augustin. Tout compte fait, il avait très peu d'information. Mais il méditait sans cesse, avec une grande conten tion et une grande suite, se séparant du monde exté rieur jusque-là qu'il faisait en plein jour régner dans son cabinetune nuit artificielle.

Il avait pour les écrits proprement littéraires un mépris absolu, comme Pascal,seséparant icide sonmaître Descartesqui était un lettré, et il était si peu « amoureux de la poésie », ce qu'était Descartes, qu'il assurait n'avoir jamais pu lire dix vers de suite sans dégoût.

— Les délasse ments qu'il se permettait étaient littéralement des jeux d'enfants et les plus simples, en quoi d'abord il avait raison, car ces divertissements ne laissent pas de « traces » dans l'esprit, pour parler selon son système et sa langue, et sont absolument oubliés aussitôt que cessés ; en quoi ensuite, comme on sait, il suivait la règle et les habitudes, très saines, de tous les ordres religieux de la religion catholique.

— Il était extrêmement simple, attentivement pieux sans osten tation et sans faste ; et, puisqu'il était un homme su périeur, je n'ai pas besoin de dire qu'il était modeste.MALEBRANCHE 79 Fontenelle, qui l'a connu, dit que sa conversation rou lait sur la même matière que ses livres et était toujours philosophique avec quelque soin d'éviter la théologie ; et que, du reste, « il y affectait de se dépouiller d'une supériorité qui lui appartenait, autant que les autres affectent d'en prendre une qui ne leur appartient pas i>, parce qu' « il voulait être utile à la vérité et savait bien que ce n'est qu'avec un air humble et soumis qu'elle peut se glisser chez les hommes.

» —11 n'y eut jamais homme de plus d'esprit, ni plus homme de bien, ni plus séduisant. II SES IDEES GENERALES Malebranche, c'est Descartes outré.

Descartespoussé du côté d'une métaphysique aventureuse, Descartes poussé, particulièrement, du côté d'un mysticisme fcanthéistique et du côté d'un déterminisme absolu.

A lire Malebranche on saisit, mieux qu'à lire Descartes, si l'on a de faibles yeux, tout ce que Descartes contenait de Spinoza, et il n'y a pas de chaînon plus net, ni, aussi, de filconducteur plus sûr, entre Descartes et Spinoza que le Père Malebranche. Cequi convient, pour être clair aussi, si 1on peut l'être en telles matières, c'est de regarderMalebranche là où il n'est encore qu'un pur et simple disciple deMALEBHAlXCHE Descartes ; puis de le saisir au moment où il s'en dé tache* pour ainsi parler, pour bien voir le pas qu'il va faire; puis de le suivre jusqu'au bout et même unpeu plus loin, si l'on peut s'exprimer ainsi, dans le stade où décidément, et encore qu'il affecte de ne pas le croire, il marche seul. Tout d'abord il semble exposer simplement le système de Descartes avec plus de développements, et plus de complaisance.

Il ressemble alors à Descartes quand Descartes s'amuse, au Deâcartes, par exemple, de la Recherche dela vérité par leslumières naturelles.

II reprend le Cogito, ergo sum ; il cite soigneusement et presque servilement les mêmes exemples à l'appui de ses idéesque Descartesavait donnés ;ilcopie,avec déve loppements très peu originaux, leDiscours delàMéthode dans la longue partie de son livre de la Recherche delà vérité intitulée dela Méthode.

Il rpprend l'argument de saint Anselme et de Descartes sur l'existence de Dieu prouvée, sans aller plus loin, parla seule idée qu'on en a et il lui donne saforme définitive, infiniment heureuse, du reste : « si l'on pense à Dieit, il faut qu'il soit.

» Il reprend l'argument du ce Dieuparfait qui ne trompe pas et ne peut pas tromper » delà façonsuivante qui n'est autre chose que du Descartes tout pur • le néant n'est pas visible; donc, « si l'on penseàlinfini, il faut qu il soit ».

Toutaussi certainement « Dieu n'est pas trom peur, parce que Yinfini nepouvant manquer d'aucune perfection, Dieu ne veut pas nous séduire et même ne lepeut pas, puisqu'il ne peut que ce qu'il veut ou qu'ilMALEBRANCHE 81 est capable de vouloir.

» Il y a donc un monde exté rieur, « on ne peut pas douter qu'il y ait actuellemenV des corps lorsque l'on considère que Dieu n'est pas trompeur.

» —Il échappe au scepticisme subjectif, tel que je l'ai défini dansl'article decevolume sur Descar tes, de la même manière que Descartes, pour commen cer, se réservant d'aller plus loin.

Nous avons le droit de croire à la réalité objective des objets que nos idées nousreprésentent, parcequeDieu,qui ne trompe point, nous donne ces idées avec la croyance en la réalité de leurs objets et non point dépouilléesde cette croyance, vides de cette croyance ; et donc cette croyance vient de lui comme elles, de lui qui ne trompe pas et ne peut pas tromper.

Il dit cela, en avertissant que le moment viendra où il en dira plus.

.(Recherche de la vérité. Deuxième partie, chap.

i.) —Enfinil a le même opti misme métaphysique, si je puis ainsi dire, que Des cartes, se montrant persuadé, dès les premiers mots qu'il nous dit, que tout est bien et ne peut pas n'être pas bien, étant de Dieu et étant en Dieu, et que le monde tel qu'il est, parce qu'il est de Dieu, est le meil leur qui ait pu être, le meilleur que l'Infini ait pu faire du jour où il a voulu se manifester dans du fini, le meilleur que l'imparfait ait pu faire du jour où il a voulu se manifester dans de l'imparfait. Voilà le Malebranche pur cartésien.

Mais il dépasse Descartes, ou, si l'on préfère, il en sort, en méditant sur ces principes de Descartes et en en tirant des con séquences inattendues* Pour ainsi parler^ il sort, de snK-Aspnikft sstat 6MALEBRANCHE Descartes en l'approfondissant, et voici les pas essen tiels qu'il fait en cette démarche. Il est frappé tout d'abord de ce que Descartes a dit, touchant l'impuissance radicale où serait l'homme de •" voir «les êtres, » c'est-à-dire le monde extérieur, s'il n'avait pas confiance en un Dieu qui ne trompe pas. C'est donc Dieuqui fait voir à l'homme le monde exté rieur.

Evidemment ; c'est la pensée cartésienne elle-même.

Mais qu'est-ce à dire ? C'est-à-dire* ce semble, que c'est parce que, êtres et nous, nous sommes enve loppés en Dieu, plongés en Dieu, que nous pouvons . avoir un rapport avec les êtres et les êtres avec nous. Il ne suffitpas de dire : Dieu ne nous trompe pas et il nous fait voir le monde extérieur, donc croyons au monde extérieur ; il faut dire : Si Dieu nous fait voir (expression vague qui ne satisfait point l'esprit) le monde extérieur, c'est qu'il est entre nous et le monde extérieur ; et s'il est entre nous et le monde extérieur (expression fausse quand il s'agit de l'infini), c'est qu'il embrasse le monde extérieur et nous, et nous pénètre de lui et nous fait en lui pénétrer, pénétrant lui-même lui et nous.

Nousvoyons donc le monde extérieur en Dièù. La différence entre Descartes et Malebranche, c'est que Descartes voit tout par Dieu, et que Malebranche voit tout en Dieu ; et Malebranche ne croit, en disant cela, qu'avoir donné la traduction exacte et rationnelle de la pensée de Descartes, et je suis de ceux qui "pensent qu'il a parfaitement raison de le croire/MALEBRANCHE Donc nous voyons en Dieu, c'est-à-dire nous voyons tout par la présence de Dieu partout et en nous-mêmes, sans laquelle présence nous ne verrions rien. Inutile de direquenousne nous voyons nous-mêmes qu'en Dieu et que, « quoique nous soyons très unis avec nous-mêmes, nous sommes et nous serons inin telligibles à nous-mêmes jusqu'à ce que nous nous voyions en Dieu et qu'il nous présente à nous-mêmes l'idée parfaitement intelligible qu'il a de notre être renfermé dans le sien.

» Ainsi nous voyons en Dieu toutes choses et nous-mêmes.

Gela revient à dire que nous voyons tous les finis à travers l'infini, ce qui est juste le contraire de ce que le vulgaire croit, mais ce qui est très véritable. Le vulgaire s'imagine qu'il s'élève à une espèce d'idée d'infini à force de voir des objets fiiiis et en générali sant cette vision extrêmement.

C'est le contraire.

C'est par l'infini que nous commençons.

« Non seulement l'esprit a l'idée de l'infini ; il l'a même avant celle du fini.

Car nous concevons l'être infini decelaseul que nous concevons l'être, sans penser s'il est fini ou infini. Mais afin que nous concevions un être fini, il faut nécessairement que nous retranchions quelque chose de Cette notion générale de l'être, laquelle par consé quent doit précéder.

Ainsi l'esprit n'aperçoit aucune chose que ©ans Vidée qu'ila del'infini ; et tant s'en faut que cette idée soit formée de l'assemblage confus de toutes les idées des êtres particuliers, comme le peu-ifut tes philosophes, qu'au contraire toutes ©es idéesMALEBRANCHE particulières ne sont que des participations de l'idée générale d'infini, de même que Dieu ne tient pas son être des créatures, mais toutes les créatures ne sont que des participations imparfaites de l'être divin... Voilà quelques raisons qui peuvent faire croire que les espritsaperçoivent toutes choses par la présence in time de celui qui comprend tout dans la simplicité de son être.

» On Toit le pas fait par Malebranche.

Descartes nous disait que Dieu nous communique l'idée d'Infini à titre d'idée aussi claire que celle de notre existence ; Male branche nous plonge dans l'infini même ; il nous le donne comme, d'une part l'atmosphère oà nous som mes enveloppés, d'autre part le milieu à travers lequel nous voyons les choses, d'autre part encore la sub stance même de notre intelligence.

L'infini est notre premier sens intellectuel ; nous ne comprenons quel que chose que parce que nous comprenons Dieu ; nous comprenons en Dieu, et c'est-à-dire, car c'est exacte ment la même chose, que c'est Dieu qui comprend en nous. Il va plus loin.

S'ilest vrai que nous ne voyionsqu'en Dieu et que nous ne pouvons pas voir autrement, cela suppose peut-être qu'il n'y a que Dieu qui soit une cause, qu'il n'y a que l'infini qui soit une cause, qu'il n'y a que l'infini qui ait une force et qui soit une force; et, s'il nous fait voir, aussi, sans doute, nous fait-il sentir, nous fait-il aimer et nous fait-il agir. Car, remarque^ est-il rationnel de penser que Fis*lTÂ^>:ÀÎ: MALEBRANCHE 85 fini puisse se communiquer à autre chose, à autre être que lui, qu'il puisse, lui, cause, n'être pas Tuni que cause, qu'il puisse lui, unique cause, créer des causes autres que lui-même ?Ce serait étrange : « Il n'y a qu'un seul vrai Dieu et qu'une seule cause qui soit véritablement cause...

Dieu ne peut même com muniquer sapuissance aux créatures; il n'en peut pas faire de véritables causes ; il n'en peut pas faire des dieux.

Et quand il le pourrait, nous ne pouvons con cevoir comment il le voudrait...

» Dieu est donc la cause vraie de tout ce que nous sentons, pensons; voulons.

Comme nous voyons en lui, ou, pour mieux dire, comme il voit en nous, nous sentons, pensons, voulons, agissons en lui, ou, pour mieux dire, il sent, pense, veut et agit en nous.

« C'est l'auteur de notre être qui exécute nos volontés...

II remue même notre bras lorsque nous nous en servons contre ses ordres.

» L'erreur, qui s'applique et à nous-mêmes et à toutes choses, c'est de croire qu'en dehors de la cause infinie, il y a des causes ; il n'y en a pas. L'unique cause, c'est Dieu.

Qu'une boule en pousse une autre, et voilà les hommes qui s'imaginent que la première boule est causedu mouvement de la seconde. C'est tellement absurde que cela n'a pas de sens.

Ce qui pousse la seconde boule c'est l'ordre éternel,des choses, lequel semanifeste à l'occasion du choc de la première boule contrela seconde.

Ce choc a donc été une occasion, si l'on veut, et non pas une cause ; nous pouvons l'appeler une cause occasionnelle (et Maie-MALEBRANCHE branche a bien tort de faire cette concession ; car, par elle il retient, il maintient dans ce qui n'est qu'un effet un peu d'idée dé cause, au lieu d'en bannir cette idée radicalement ; et de cette concession et de ce mot des subtilités vaines et des obscurcissements peuvent sortir), nous pouvons l'appeler une cause occasion nelle, mais non pas une cause proprement dite, ny ayant que Tordre éternel des choses qui en soit une, n'y ayant que Dieu agissant éternellement d'après ses lois éternelles qui en soit une et qui puisse l'être.

De même ce n'est pas ma volonté qui soulève mon bras ; mais Dieu qui le remue à l'occasion de ma volonté.

Et mon erreur, attribuable à l'infirmité de mon intellect et de ma conscience, est de me saisir comme cause et de ne pas me saisir comme effet et de prendre la cause occasionnelle que je suis pour une cause réelle, c'est-à-dire de me» voir et de me sentir détaché de Dieu ; mais dès que je réfléchis, n'est-il pas bien vrai qu'il est inepte de m'imaginer que j'en puisse être détaché; et dès que je parviens à bien me convaincre que je n'en suis détaché jamais, ne faut-il pas que je confesse qu'en moi comme partout il est cause de tout, et que je ne suis cause de rien, comme dans chaque phéno mène il est cause de tout, et tout autre chose que lui n'est cause de rien; puisque, encore un coup, s'il y a une cause infinie, il ne peut pas y en avoir deux ? Donc, « Ton ne doit pas s'imaginer que ce qtii pré cède un effet en soit la cause, » homme ou chose; et il n'y a qu'une causé, Dieu,jt, monde et homme, tu eoMALEBRANCHE 87 ti&imus, movemur et sumus, nous sommes enlui, nous vivons en lui, nous agissons en lui.

Tout est en Dieu, ce qui est élémentaire, mais ce qu'on ne comprend pleinement et ce dont on ne voit toutes les consé quences que quand on y a un peu réfléchi. Nous dirons exactement la même chose —car Male branche comme tous les grands esprits n'a qu'une pensée; seulement il la voit tout entière, et parce qu illavoit tout entière, tout yrentre —nous dirons exactement la même chose en disantque le monde et l'homme nesont qu'une création continuée.

Dieu a créé le monde, l'Infini a créé le fini ; voilà ce dont la plu part des philosophes conviennent.

Fort bien.

Mais Dieu est éternel, l'infini est éternel, n'est-il pas vrai? Eh bien, pour l'éternel le temps existe-t-il? Kon sans doute.

Eh bien, si Dieu a créé le monde une fois, il le crée tous les jours, n'y ayant rien pour lui entre le premier jour etle dernier.

La création n'a pas de date; elle est d'hier, d'aujourd'hui et de demain en même temps, pour parler le langage humain, dont nous sommes forcés d'user.

Ne jugez pasdeceque Dieu fait parce que vous faites.

Lorsque vous faites unouvrage, il subsiste sans que vous y travailliez davantage; mais quand Dieu fait quelque chose, ce quelque chose *existe parce que Dieu veut qu'il soit, et il continue d'être parce que Dieu continue de vouloir qu'il soit, etsi Dieu cessait de vouloir qu'il fût, dès ce moment il neserait plus.

Car si ce corps continuait d'être quoi que Dieu ait cessé de vouloir qu'il fût, il serait indé-8$ MALEBRANCHE pendant, chose absurde.

Donc, puisque le monde existe parce que Dieu veut qu'il existe ; puisqu'il ne cesse pas d'exister seulement à cause que Dieu ne cesse pas de vouloir qu'il soit et puisqu'il disparaîtrait ) immédiatement si Dieu voulait qu'il disparût ou plutôt ne voulait plus qu'il fût, « il est évident que la création et la conservation ne sont en Dieu qu'une seule ac tion.

» Conservation c'est création ; la création, étant le fait d'un être éternel, est de tous les moments de la durée.

Dieu crée le monde à chaque seconde. S'il en est ainsi, appliquez, et vous serez dans la raison, à tout ce que vous voyez actuellement tout ce que vous pensiez de cette création éloignée et antique que vous conceviez tout à l'heure.

Vous disiez san;4 doute : « Quand Dieu a créé le monde, il a donné le mouvement selon des lois aux grands corps; il a donné la vie aux plantes et aux bêtes, il a donné à l'homme le mouvement, la vie, les idées, les sentiments, les volontés, les actions: » Dites : « À chaque seconde} et à chaque fraction de seconde de la durée, hier, aujour d'hui, demain, Dieu donne aux grands corps le mou vement, aux animaux la vie, à moi le mouvement, la vie, les idées, les sentiments, les volontés, les actions et tout.

» Dites cela, ou vous ne serez ni logiques, ni raisonnables, ni de bon sens. En résumé : puisque Dieu n'est pas trompeur,fonde-ment de toute laconception de Descartes, nous voyons par lui.

Celaveut dire nous voyons en lui, ou il voitMALEBRANCHE 8& en nous.

Borner à cela son action en nous n'aurait pas de sens.

11 voit en nous parce qu'il agit en nous ; nous sommes une de ses façons d'agir.

Il en a d'autres : il agit en %ipar tout ce qu'il a créé.

En d'autres termes il crée sans cesse.

Le monde et l'homme sont des organes de Dieu. Voilà toutes les grandes lignes de la pensée géné rale de Malebranche. Objections qu'il a prévues : Mais alors nous, hommes,nous ne sommes pas libres lé moins du monde ; Dieu agissant en nous et remuant notre bras même quand nous le levons^ou croyons le lever contre lui, c'est l'homme machine entre les mains de Dieu.

Non Deus ex machina ; sed Deus.in ma- china.he système du Père Malebranche est le détermi nisme absolu.. »

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