Mais Degas, ce n'est pas avec des idées qu'on fait des vers, c'est avec des mots. Mallarmé.
Publié le 16/05/2020
                             
                        
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                                                                    Mallarmé.
  C'est le poète Paul Valéry (1871-1946) qui rapporte ce mot de Mallarmé au peintre Degas dans un texte intitulé «Souvenirs littéraires » et qui, publié dans Conférences en 1939, figure aujourd'hui dans le recueil Variété.
                                                            
                                                                                
                                                                     Valéry fut un  proche à la fois de Mallarmé et de  Degas.
                                                            
                                                                                
                                                                    A ces deux hommes, le peintre et  le poète, qui ontmarqué ses années de formation, il a consacré de nombreux textes dans lesquels il rapporte ce que leur contact apu lui apporter de décisif.
                                                            
                                                                                
                                                                    « Souvenirs littéraires » lui donne l'occasion d'évoquer un visage méconnu de Degas, celuidu poète, et de rapporter un dialogue entre deux des grands artistes de la fin du XIXe siècle :«Quand il (Degas) était embarrassé, quand la muse manquait à l'artiste ou l'artiste à la muse, il prenait conseil, ilallait gémir dans  le sein des hommes  de l'art.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il recourait  tantôt à Hérédia, tantôt  à Stéphane Mallarmé; il leurexposait ses malheurs, ses désirs, ses impossibilités, il disait :"J'ai travaillé toute la journée à ce sacré sonnet.
                                                            
                                                                                
                                                                    J'ai perdu tout un jour, loin de la peinture, à faire des vers, et jen'arrive pas à ce que je voudrais.
                                                            
                                                                                
                                                                    J'en ai mal à la tête."Une fois qu'il tenait ce discours à Mallarmé, il finit par lui dire :"Je ne m'explique pas pourquoi je ne parviens pas à finir mon petit poème, car enfin je suis plein d'idées." Et Mallarmélui répondit :
"Mais Degas, ce n'est pas avec des idées qu'on fait des vers, c'est avec des mots."Il y a là une grande leçon.
                                                            
                                                                                
                                                                    »
Avec cette réplique, c'est pratiquement la poésie moderne qui trouve sa plus exacte définition.
                                                            
                                                                                
                                                                    Celle-ci n'est plusconsidérée comme la simple  traduction  dans un langage  orné soumis  aux conventions  de la versification  d'undiscours déjà constitué.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ce que Mallarmé affirme, c'est que le lieu véritable de la poésie est le langage et qu'il nepeut y avoir de poésie véritable que dans un travail sur la matière même du langage.Il ne s'agit donc pas, comme pouvait le penser Degas, de traduire en vers des idées mais de laisser jouer les mots,leur sonorité, leur sens et leur ambiguïté pour découvrir dans ce jeu même la forme propre de la beauté moderne.Comme l'écrit Paul Valéry dans « Poésie et pensée abstraite » : « La valeur d'un poème réside dans l'indissolubilitédu son et du sens.»Pour communiquer  des idées,  la philosophie  suffit.
                                                            
                                                                        
                                                                    Mais pour faire advenir  par l'évocation  des choses  et dessensations cette forme de beauté qui naît autant du son que du sens, de la forme que de la signification, il faut,comme l'écrit Mallarmé dans « Crise de vers », «céder l'initiative aux mots ».
  Les théories les plus contemporaines de la littérature font porter l'accent avec encore plus d'insistance sur cetteprésence du langage.
                                                            
                                                                                
                                                                    Contrairement à ce que pouvait penser Degas, les idées ne viennent pas avant les mots quiauraient pour fonction de les traduire, car c'est à partir des mots que les idées se font.
                                                            
                                                                                
                                                                    La pensée ne vient pasavant  le langage,  mais c'est dans le langage que  se constitue  la pensée.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est ce que rappelle  Roland Barthes(1915-1980) dans « Ecrire, verbe intransitif? », une conférence de 1966 reprise dans Le bruissement de la langue :
« [...] le langage ne peut être considéré comme un simple instrument, utilitaire ou décoratif, de la pensée.
                                                            
                                                                                
                                                                    L'hommene préexiste  pas au langage  [...] Nous  n'atteignons  jamais un état  où l'homme  serait séparé  du langage,  qu'ilélaborerait alors pour «exprimer » ce qui se passe en lui : c'est le langage qui enseigne la définition de l'homme, nonle contraire.»
C'est cette conscience de l'importance du langage qui permet à Barthes dans un autre texte, daté de 1967, (« De lascience à la littérature », Le bruissement de la langue) de proposer une définition de la littérature proche de celleque Mallarmé opposait à Degas :
«Pour la littérature E...], du moins celle qui s'est dégagée du classicisme et de l'humanisme, le langage ne peut plusêtre l'instrument commode ou le décor luxueux d'une « réalité» sociale, passionnelle ou poétique, qui lui préexisteraitet qu'il  aurait subsidiairement  à charge  d'exprimer,  moyennant  de se soumettre  à quelques  règles de  style : lelangage est l'être de la littérature, son monde même : toute la littérature est contenue dans l'acte d'écrire, et nonplus dans celui de "penser", de "peindre", de "raconter", de "sentir".
                                                            
                                                                                
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