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longtemps.

Publié le 08/12/2021

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longtemps.
Nous nous sommes envolés pour Israël exactement un mois plus tard, le 9 décembre. Quand
nous sommes arrivés, le matin du 10, Dyzia n'était plus là.
 

 
Mais cest arrivé plus tard. Avant cela, nous sommes allés à Stockholm où, à cause de l'hiver, la
lumière était rare et les journées étrangement courtes, comme si le temps même était
déformé.
Nous avons atterri en Suède à une heure du matin environ au cours d'une nuit dont la pureté
cristalline absolue - l'air était tellement glacé que nous pouvions sentir les minuscules aiguilles
gelées de la condensation sur nos joues - était d'autant plus éblouissante que nous avions
quitté New York au milieu d'un des pires blizzards qu'ait connus la ville au cours de la dernière
décennie : une furieuse tempête de neige qui nous avait obligé à attendre neuf heures sur la
piste de décollage à JFK, observant avec une certaine anxiété les dégivreurs arrosant les ailes de
notre avion, et cette anxiété n'avait pas décru même après le décollage pour Heathrow,
puisque nous savions à ce moment-là que nous avions manqué notre connexion pour
Stockholm et que nous commencions à nous demander s'il y aurait encore des vols au moment
où nous allions atterrir. Pendant tout ce temps, je me suis fait du souci pour Matt, qui avait une
peur bleue des avions, je le savais, et qui pensait que je ne le regardais pas quand, au moment
de notre décollage chaotique et déplaisant, il a sorti de sa poche une photo de sa fille âgée de
six mois et l'a embrassée furtivement, comme s'il s'était agi d'une icône. Le caractère furtif de
son geste m'a affecté autant que la vénération de la petite icône : la vénération, parce que
c'était une pure expression d'amour paternel, émotion à laquelle j'avais beaucoup réfléchi
depuis mon voyage en Israël, et la furtivité, parce qu'elle me rappelait que notre improbable
association dans la quête d'Oncle Shmiel commençait à peine à effacer les années de brouille
entre Matt et moi, des années passées sans avoir grand-chose à se dire et sans savoir comment
se le dire. Il y a bien des façons de perdre des parents, ai-je pensé : la guerre n'en est qu'une
parmi d'autres. Sur la photo que Matt a embrassée quand il croyait que je ne regardais pas (et
qu'il allait embrasser à chaque décollage, par la suite), sa fille, ma nièce, est déguisée pour une
fête de Halloween dans un costume en feutrine verte qui était censé la faire ressembler à un
pois dans sa cosse.
Nous sommes donc arrivés très tard pour la première étape de notre voyage d'automne,
épuisés, frigorifiés, trempés et vaguement déprimés. La journée que nous avions complètement
perdue puisque nous arrivions avec seize heures de retard - le vendredi 5 décembre - était

heureusement celle que nous avions prévu de consacrer à une marche dans la ville et à la
découverte des sites touristiques. Notre première interview avec Klara était prévue pour le
samedi. C'est parce que nous avons manqué le vendredi que nous n'avons pas pu voir les sites
touristiques et que ce que nous avons vu de la ville est limité à ce que nous avons pu observer
depuis les vitres de notre taxi, pendant que nous foncions chez Klara Freilich, le samedi, et à ce
que nous avons pu découvrir lorsque nous l'avons revue, le dimanche et le lundi. Du bleu, du
gris, du blanc, avec des touches de brique rouge ; des tourelles et des flèches, et des immeubles
massifs ; de l'eau partout. Nous avons jeté des coups d'oeil dans tous les sens et bavardé avec
l'interprète polonaise que j'avais engagée à l'avance, grâce au concierge de l'hôtel : une femme
née en Pologne qui devait avoir, j'ai pensé, près de cinquante ans et vivait à Stockholm depuis
de nombreuses années. Ewa était belle, avec un profil marqué, un air intelligent, et des cheveux
noirs très courts, une tête qui faisait penser à une pièce de monnaie romaine. Alors que le taxi
s'enfonçait dans la banlieue de Stockholm par cette matinée couverte du samedi, nous avons
expliqué à Ewa ce qu'était notre projet, qui était Klara et ce que nous espérions apprendre.
La cloche d'un tramway a retenti quelque part, plus fort que d'habitude, sans doute à cause de
la température de l'air. Ewa nous a regardés et a souri. C'était un projet très intéressant pour
elle, a-t-elle dit, parce qu'elle-même était juive. Quelle coïncidence ! avons-nous dit, même si je
n'étais plus du tout surpris désormais par les coïncidences. Ewa nous a un peu parlé d'elle. Elle
a dit que c'était seulement lorsqu'elle avait laissé la Pologne et épousé le fils d'un rabbin
orthodoxe qu'elle avait appris ce que c'était que d'être juive.
Mon père était communiste et ma mère ne l'était pas, a-t-elle expliqué. Je n'ai donc rien su de
la religion ou de la judéité avant que nous allions en Israël. Je suis entrée dans une synagogue
pour la première fois de ma vie lorsque je me suis mariée à Goteborg, en Suède.
Le chauffeur a consulté la feuille de papier sur laquelle nous avions écrit l'adresse que nous
avait donnée Meg. Bandhagen semblait être constitué d'énormes blocs d'immeubles
modernistes inoffensifs ; à moins d'y vivre, ai-je pensé, il devait être impossible de trouver le
domicile de qui que ce fût. Alors que le taxi explorait lentement une rue après l'autre, Matt et
moi avons souri et dit, presque simultanément, que nous comprenions ce que ressentait Ewa :
nous n'avions pas beaucoup pensé à notre judéité, ni lui ni moi, avant de nous lancer dans ce
projet.
La voiture s'est arrêtée. Nous étions arrivés.
Klara Freilich nous attendait dans le petit hall de son appartement qui était, Matt et moi l'avons
immédiatement remarqué, rempli de chaussures soigneusement alignées le long d'un mur. Ce
truc des chaussures à Bolechow ! m'a-t-il dit avec ce grand sourire rapide, avec ses petites
fossettes. J'ai regardé Klara qui me tendait la main. Elle était habillée avec le soin et l'élégance
un peu apprêtée des femmes qui ont été très jolies dans leur jeunesse. Bien que ce fût l'heure
du déjeuner, elle était habillée comme si elle allait sortir pour dîner : un élégant tailleur à
pantalon en laine noire, un double rang de perles. Ses cheveux étaient noir foncé et son rouge à
lèvres, rouge électrique. Elle était assez menue. Pendant qu'elle nous regardait attentivement,
Matt et moi, ses yeux brillaient derrière d'énormes montures dorées, dont les verres étaient
légèrement teintés, je n'ai pas pu m'empêcher de le remarquer, en rose. Elle avait un visage
rond, dont la séduction était accrue plutôt que diminuée par un petit nez spirituel, un peu
épaté. Son fils Marek, un homme de grande taille à la poigne solide et à la physionomie slave,
s'est avancé pour faire les présentations en anglais, et nous nous sommes tous serrés la main,
en hochant la tête et en souriant exagérément, comme c'est toujours le cas lorsque le langage
fait défaut. Klara a dit quelque chose à Marek et, avec un petit rire comme pour s'excuser, il

nous a demandé si cela nous embêtait de retirer nos chaussures. Toute cette neige et cette
gadoue ! a-t-il dit en guise d'explication. Matt et moi nous sommes souri, et Matt a dit, Pas de
problème ! Notre mère nous fait faire la même chose ! Marek a ri et a dit qu'il était intéressé
d'entendre ce que sa mère allait dire, puisque son défunt mari et elle avaient rarement parlé de
leurs vies d'avant-guerre à lui ou à ses frères et soeurs. Il a ajouté qu'il avait essayé de faire
venir ses enfants, tous adolescents, aujourd'hui, parce qu'il pensait que ce serait important
qu'ils connaissent leur héritage. Mais ils n'avaient pas voulu.
Nous avons traversé un petit couloir fermé par un rideau et nous sommes entrés dans la salle
de séjour ou la salle à manger. Contre un mur, une crédence vitrée à trois étagères était
soigneusement garnie de tout un bric-à-brac qui renforçait l'impression que je commençais à
me faire de Klara : c'était une personne qui aimait les choses délicates et jolies. Sur l'étage
supérieur, scintillait une foule de figurines en verre et en porcelaine : à part un grand Cupidon,
presque toutes ces figurines étaient des ballerines pirouettant, faisant des arabesques,
étendant les bras, levant la jambe, se penchant, se redressant, dans des attitudes à la fois
charmantes et détendues. Sur la deuxième étagère, il y avait pas mal d'argenterie : une petite
carafe, une aiguière assez grande, des coupes à Champagne. Sur l'étagère du bas, j'ai aperçu un
groupe de figurines en porcelaine assez mignonnes : un couple XVIIIe assez élégamment vêtu
en train de flirter, penché à jamais au-dessus d'une table à jouer ; une laitière assise ; des
figurines qui n'étaient pas sans rappeler celles qui autrefois avaient orné les crédences et les
tables des appartements de mes grand-mères, où apparaissaient aussi régulièrement des
reproductions du Blue Boy de Gainsborough ; des figurines dont la séduction, pour ces vieilles
dames juives new-yorkaises de la classe moyenne, ai-je conjecturé, repose dans le fantasme
d'une noblesse oisive qu'elles y projetaient, et qui était l'antithèse des vies que ces dames
avaient elles-mêmes vécues. Dans l'appartement de Klara, quelques gravures encadrées étaient
suspendues au-dessus d'un sofa et une table basse soutenait une plante luxuriante et un
candélabre en argent armé de cinq bougies rouges. A l'extrémité de la pièce, il y avait une
petite salle à manger avec une table et quelques chaises, et c'est vers ce coin que Klara nous a
fait signe d'aller nous asseoir, pour manger et parler.
Il était évident qu'elle était très nerveuse. Pour la mettre à l'aise, j'ai dit que je voulais
commencer avec quelques questions élémentaires : par exemple, en quelle année elle était
née. Mille neuf cent vingt-trois, a-t-elle répondu, et elle m'a alors demandé pourquoi je voulais
le savoir. Pendant que nous parlions, j'ai remarqué qu'elle faisait tourner ses bagues sur ses
doigts et que son regard se déplaçait constamment de Matt et moi à Ewa.
Elle était l'aînée de quatre enfants, a-t-elle poursuivi, une soeur et deux frères. Elle a vaguement
souri en les nommant. Jozek, Wladek, Amalia Rosalia. Son nom de jeune fille était Schoenfeld,
son père était ingénieur dans l'une des tanneries locales. Dans un débit accéléré, comme une
étudiante qui passe un examen dont elle espère se débarrasser, elle a dit, Vous voulez savoir en
quelle année mes parents sont morts ? Ils étaient très jeunes quand ils sont morts. Tués par les
Allemands. Léon et Rachel.
Elle s'est interrompue, puis s'est adressée à Ewa seulement pendant une minute. Ewa s'est
tournée vers moi et a dit que Klara avait préparé une déclaration et qu'elle aurait préféré la lire
plutôt que de continuer à parler comme ça. Afin que vous sachiez tout, a-t-elle ajouté.
J'ai dit, Je préférerais avoir simplement une conversation. Je ne veux pas qu'elle s'étudie. Diteslui que c'est seulement une conversation autour d'une table entre deux habitants de Bolechow.
Ewa a transmis et Klara a esquissé un sourire.

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