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Le Cid de Corneille est-il un drame romantique ?

Publié le 09/12/2021

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« Le Cid est-il un drame romantique ? « On peut dire, écrit Jules Lemaître, que, même après le théâtre de Victor Hugo, la tragi-comédie du Cid est le plus beaudes drames roman- tiques ».

Qu'en pensez-vous? Comment imaginez-vous que Victor Hugo eût lui-même traité ce sujet.

Vous marquerez par là que leromantisme de Corneille n'est pas celui de Victor Hugo.

Cette comparaison de la pièce de Corneille avec un drame roman- tique semble au premier abord justifiée par certaines ressemblances'.

Très adroitement,Jules Lemaître en a dégagé les traits principaux les plus frappants, et il néglige les autres caractères.

Il serait imprudent d'admettre sans examen cetteassertion de l'auteur des Impressions de théâtre.

P eut-être n'est-ce là qu'une « impression », et l'on pourrait soutenir, surtout si l'on songe à ce qu'un vrairomantique eût fait d'un tel sujet (Victor Hugo, par exemple), que C orneille, dans ce drame, hardi, d'ailleurs, et que son époque n'accepta pas sansrésistance, s'avère, avec le Cid, le premier des classiques au théâtre et mérite d'être appelé « le père de la tragédie ».Voyons d'abord ce qu'il y a de « romantique » dans le C id.

Si l'on entend par là une forme assez libre vis-à-vis des traditions et des règles, selon lesrevendications de la Préface de C romwell, on est frappé de l'indépendance de Corneille et de la liberté d'allure de son drame.Le sujet est pris au moyen âge espagnol et non à l'antiquité, ce moyen âge que chérira le romantisme et cette Espagne dont s'inspirera trois fois, au théâtre,Victor Hugo (Hernani, Ruy Blas).Il use encore d'une liberté relative quant aux unités.

L'unité d'action est entendue au sens large, mais il se greffe sur l'action essentielle des épisodesparasites : romanesque amour de l'infante, récit épique de la bataille des Maures.

Le lieu des scènes n'est pas unique, Corneille s'en excuse dans sonExamen de la pièce (palais du roi, maison de C himène, rue ou place publique).Quant au temps, les vingt-quatre heures sont observées, mais au prix de la vraisemblance, les héros « travaillent la montre à la main », et visiblementCorneille eût souhaité que le spectateur ne s'aperçût pas que l'heure tourne.Corneille ne s'interdit pas encore le mélange des genres.

Nous avons bien affaire à une tragi-comédie, où parfois le langage s'abaisse jusqu'à la familiaritéet la bonhomie, prend le tour galant et précieux de la comédie romanesque déjà employé par Corneille (rôle du roi, de l'infante).Enfin nous trouvons dans le C id le mélange des tons, suite du mélange des genres.

Comme le souhaitera Victor Hugo dans la Pré- face de Cromwell,Corneille passe du ton dramatique le plus vif (dialogues coupés, admirables répliques des scènes du ler acte (Rodrigue, as-tu du coeur? —A moi, comte,deux mots) au couplet lyrique (le désespoir de Don Diègue, les stances), et au récit épique (le combat des Maures).Ici, la comparaison s'impose à l'esprit, du drame de Corneille et du drame de Victor Hugo.

Hernani ne fut-il pas « le Cid du romantisme »? Le ténébreuxHernani n'a-t-il pas pour frère, plus juvénile et plus viril tout ensemble, Rodrigue, et le vieillard Ruy Gomez, qui ne peut souffrir de déchoir aux yeux de sesancêtres, ne ressemble- t-il pas à Don Diègue, incapable de souffrir une tache sur son blason ? Les épées ne sont-elles pas aussi promptes à sortir dufourreau pour le point d'honneur dans l'une et l'autre pièce ? Dona Sol n'est-elle pas la soeur (ardente, mais plus instinctive et passive) de Chimène, parcette vive flamme d'amour qui caractérise leur race passionnée? Le roi Fernand n'est-il pas un roi « mal obéi », par ses vassaux tou- jours prêts à la révolteet qui courbent difficilement l'échine, de même que Don Carlos doit encore redouter dans son royaume des bandits et des conspirateurs ?Comment V ictor Hugo aurait-il traité le sujet du C id?Sans doute d'une façon bien différente.

On sait que C orneille eut connaissance du Romancero du Cid et s'inspira directement de la pièce de Guilhem deCastro : Los mocedades del C id (les prouesses du Cid), pièce en trois journées (1618).

Nul doute que le poète roman- tique n'eût recherché avant tout cequi, soit dans le romancero, soit dans l'oeuvre de Castro, est de la plus violente couleur moyenâgeuse et espagnole.

Le C id : un condottiere faiseur de rois,hautain et protecteur vis-à-vis de don Fernand, grand féodal indiscipliné, vainqueur des Maures et reconquistador du sol espagnol, pieux comme saint devitrail (épisode du lépreux), enfin fils valeureux, amant passionné et brutal tout ensemble.

Personnage complexe et fait de contrastes éclatants.

L'abolitiondes règles eût facilité l'extension du drame comme chez Castro, où il s'étend sur trois années, et le dénouement heureux du mariage eût terminé la pièce.Les grandes « scènes à spectacle » auraient toutes été faites : le Cid armé chevalier dans la chapelle de Burgos, et le coup de foudre qui fait de C himèneune amoureuse passionnée du beau seigneur, le soufflet infligé à Don Diègue par Don Gormas en plein conseil royal.Dans la salle d'armes du château, Don Diègue essaye de décrocher sa trop lourde épée qui l'entraîne après elle, et voici l'épreuve que le vieillard fait subir àses trois fils : il leur serre la main dans les siennes à les faire crier de douleur et il mord Rodrigue au doigt « Lâchez-moi, s'écrie le jeune homme, si vousn'étiez pas mon père je vous donnerais un soufflet! » Le duel aurait lieu sur la place publique et les gentilshommes et les dames en seraient témoins;Gommas tomberait inanimé dans les bras de sa fille.La bataille, comme dans Castro, serait connue par l'arrivée de prisonniers maures et racontée par un berger facétieux qui a vu la scène du haut d'un arbre.Ici, apparition du grotesque, car le berger est proche parent de Sancho Panca.Des scènes galantes où Rodrigue s'entretient avec l'infante au balcon alterneraient avec des scènes de brutalité, comme celle où le jeune homme, qui rôdeautour du jardin de Chimène, lui tue ses colombelles dont le sang rejaillit sur sa robe (souvenirs des cantilènes du romancero).Tout cela serait, comme le dit Jules Lemaître, « singulier, magnifique et lointain ».Bien différente est la conception de C orneille.« Partout, a dit Sainte-Beuve, Corneille a rationalisé, intellectualisé la pièce espagnole, variée, amusante, éparse, bigarrée, il a mis les seuls sentimentsaux prises.

»Que se propose-t-il, en effet ? Il a dégagé du beau scénario de Guilhem de C astro l'élément rationnel, ou, ce qui revient ici au même, l'élément moral.

«Faut-il punir le père de Chimène ? » Voilà la question plantée au coeur de Rodrigue comme une épée, voilà le tragique essentiel : l'angoisse d'une âmedevant un devoir terrible qui exige le sacrifice de ce qui vous est plus cher que la vie.

Et cette angoisse va gagner le coeur de C himène.

« Que je sens derudes combats...

» Ces combats intérieurs, voilà qui est assez grand pour capter toute l'attention du spectateur, et les beaux coups d'épée des duels et desbatailles ne sont que le symbole de la vaillance plus haute des héros,, luttant contre eux-mêmes et remportant la plus belle victoire.Ramener tout l'intérêt de la pièce du dehors au dedans, du spectacle extérieur, si pittoresque soit-il, et tentant pour l'imagination, vers le monde intérieur,vers la conscience, par l'analyse des sentiments et la peinture des passions, ce n'est rien de moins qu'une révolution au théâtre.

Corneille l'a faite,résolument.

C 'est par là qu'il est « inventeur », comme l'a dit Voltaire, et qu'il a créé la tragédie.Il suit de là qu'il devait condenser et simplifier ce qui est épars et multiple dans la pièce de C astro, ce qui eût séduit aussi l'imagination d'un romantique.S'assujettissant avec peine aux unités, Corneille s'y est pourtant contraint, et son drame en devient plus pressant, plus fort; c'est une action haletante quiprécipite les courages vers des actes héroïques où ils se surpassent eux-mêmes.

Rodrigue, dirait un sportif, bat son propre record (comme le feront d'autrespersonnages cornéliens).

Dans une atmosphère détendue où se mêleraient des scènes à demi comiques, l'effet s'évanouirait : c'est ce que n'a pas toujoursvu Victor Hugo.Par la même raison, Corneille sacrifie l'élément pittoresque de scènes étranges et brutales, qui choqueraient par trop ses contemporains (le comte se lavantla joue avec le sang de son ennemi); loin de chercher à conserver ce qui fait primitif, farouche, les traits de race par trop espagnols, Corneille ne veutassimiler que ce qui est le plus humain : le sentiment de l'honneur, l'ardente passion amoureuse dans le caractère espagnol, car les Français, sur ce terrainne seront pas dépaysés; c'est là, comme on disait alors, « une belle morale », qui honore l'humanité et qui s'apparente aux moeurs françaises héroïques etgalantes de l'époque.De même encore lés personnages secondaires sont bien maintenus au second plan et à titre de repoussoirs : l'infante et son babil précieux, comparée àChimène ardente et résolue ; Don Sanche, pâle soupirant auprès de l'impétueux et triomphant Rodrigue.Non, le C id n'est pas véritablement un drame romantique : il n'en a ni le décousu, ni le pittoresque extérieur, ni la pauvreté psychologique, mais il gardepourtant du texte espagnol où il a pris naissance, du tempérament du jeune Corneille et de la génération hardie, passionnée et fringante qui l'inspira, commeun ton plus chaleureux et des couleurs plus vives qui font de cette pièce, classique dans ses caractères essentiels, un drame unique dans la carrièrethéâtrale de Corneille.. »

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