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La question des Incisions Génitales Féminines

Publié le 29/04/2024

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« UNIVERSITE SAINT-JOSEPH DE BEYROUTH INSTITUT DE SCIENCES POLITIQUES Analyse d’un cas éthique : La question des Incisions Génitales Féminines. Note de recherche de Marianne Saghbini. Sous la direction de Monsieur Ali Mourad. BEYROUTH 2024 1 Le 4 mars 2024, l’assemblée nationale gambienne a débuté l’examen d’une proposition de loi visant à abroger la loi de 2015 qui interdit les « mutilations génitales féminines ».

Lors de cette séance, les députés gambiens n’ont pas voté la proposition de loi et ont décidé de la renvoyer à une seconde lecture.

Quelques jours plus tard, en l’occurrence le 18 mars, les députés ont de nouveaux examinés le texte et ont décidé de le renvoyer à une commission parlementaire pour un examen approfondi sans que la date du vote en commission ne soit fixée.

Cette proposition déposée par le parlementaire Almameh Gibba fait valoir l'argument communément brandi selon lequel ce qu'ils appellent la "circoncision féminine" (qu'ils distinguent d'une mutilation génitale) est une tradition profondément enracinée et que l'interdire enfreint leurs droits à pratiquer leurs coutumes et traditions.

De l’autre côté, un porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies, interrogé par l’Agence France Presse, dit être alarmés par le dépôt de cette proposition de loi.

Pour lui, « il est crucial que la Gambie maintienne les acquis réalisés pour lutter contre cette pratique néfaste et continue de promouvoir une société qui protège les droits et la dignité de tous, en particulier des femmes et des filles.

1 » Ses deux déclarations contradictoires du député gambien et du porte-parole du HautCommissariat des Nations Unies sont à l’image des valeurs et normes qui s’opposent dans la question éthique de la mutilation génitale féminine ; la protection des droits de l’homme, du bien-être de l’individu et de son autonomie en opposition avec le respect des traditions et diversités culturelles.

La dichotomie que crée la question des mutilations génitales féminines entre ses deux valeurs nous permet de nous poser des questions pertinentes ;  Existe-t-il des limites à la tolérance envers les pratiques culturelles qui violent les droits de l'homme ?  Faudrait-il intervenir pour empêcher ses pratiques ou au contraire, être un observateur pacifique ? On pourrait résumer ses questions en se demandant ; Peut-on accepter des pratiques culturelles endommageant pour le corps des femmes et des filles au nom du respect de la diversité culturelle ? Plus généralement, peut-on tolérer l’intolérable ? Pour répondre à cette large et complexe problématique, nous analyserons dans un premier temps le premier problème éthique que pose de la formulation de ses pratiques (I).

Une fois ce point éclairé, nous élargirons la question sémantique à une question philosophique en analysant la position de l’universalisme sur l'IGF entant que mutilation intolérable (II).

Finalement, nous analyserons la position du relativisme « L'excision à nouveau légalisée en Gambie ? », Terriennes Isabelle Mourgere dans TV5 Monde, 2024/3. 1 2 culturelle sur la question de l'IGF qu’ils considèrent comme une pratique culturelle à respecter (III). Avant de rentrer dans le vive du sujet, il est intéressant de se demander dans quelles régions et pays du monde les incisions génitales féminines se pratiquent-elles encore ; Selon un rapport de l’Unicef sur les incisions génitales féminines, publié le jeudi 7 mars 2024, à la veille de la Journée internationale des droits de la femme, le nombre de femmes et de filles qui ont subi des incisions génitales est estimé à plus de 230 millions de filles et de femmes.

Si l’on se penche sur ses chiffres de plus près, l’Afrique est le continent le plus touchée avec plus de 144 millions filles et femmes victimes de ces incisions, devant l’Asie avec 80 millions et le Moyen-Orient avec environ 6 millions.

La répartition géographique de ces filles et de ces femmes est à la fois liée à la prévalence de la pratique (proportion de femmes incisées) et au poids démographique des pays.

Ainsi, la moitié des femmes et fillettes incisées dans le monde résident dans trois pays seulement : l’Indonésie, l’Ethiopie et l’Egypte, dont les populations comptent respectivement 256 millions, 98 millions et 89 millions d’habitants, et où les taux de prévalence de la pratique sont respectivement estimés à 51 %, 74 % et 92 %. I- Le souci éthique de la formulation de ses pratiques : La « mutilation génitale féminine » est un nom qu’on emploie communément pour décrire les procédures d’excisions génitales féminines, d’ailleurs c’est le terme adopté par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Cependant, l’expression de « mutilation » contient en elle-même une certaine ambivalence.

A titre d’exemple, le rapport “ Female Genital Mutilation/Cutting : A statistical overview and exploration of the dynamic of change ”, publié par l’Unicef en 20132, contient dans son titre la difficulté que pose toute réflexion éthique sur « l’excision ».

L’hésitation qui s’y exprime entre la « mutilation » ou la « coupure » génitale reflète l’ambivalence sémantique et éthique de cette question. A.

Ambivalence vis-à-vis de la diversité médicale de la pratique : Dans un premier temps, cette ambivalence renvoie à la diversité des pratiques.

Selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé, « l’excision » concerne « toute procédure impliquant le retrait partiel ou total des parties externes des organes génitaux de la femme ou tout autre blessure faite sans raisons thérapeutiques »3.

Cette UNICEF, Female Genital Mutilation/Cutting: A statistical overview and exploration of the dynamic of change, July 2013. 3 Département de la santé de la femme, la santé familiale et la santé communale, Geneva : World Health Organisation 2000, P.11. 2 3 définition générale inclut une grande diversité de pratiques qui varient notamment en fonction du degré de dommage infligé aux parties génitales externes de la fillette ou de la femme.

En effet, il existe plusieurs types de mutilations/coupures sur les organes génitaux féminins que l’OMS a distingués en quatre types d’IGF qui varient des moins importants aux plus sévères.

Le type 1 est l’excision, c’est à dire l’ablation rituelle du clitoris.

En d’autres termes, c’est une procédure qui consiste a retiré partiellement ou entièrement le clitoris, qui est la petite structure anatomique hautement innervée et érogène située au sommet de la vulve.

Tandis que le type 4, plus intense, est l’infibulation.

Cette procédure consiste en l’ablation partielle du clitoris, mais aussi, a l’ablation des petites lèvres et la couture des grandes lèvres, laissant juste un passage pour les écoulements vaginaux tels que l’urine et le sang menstruel.

Cette opération est souvent pratiquée par une matrone qui est une femme âgée et respectée au sein d'une communauté, souvent considérée comme une figure maternelle ou une autorité morale. Elle joue un rôle important dans la transmission de connaissances et de valeurs culturelles.

Généralement, cette dernière pratique cette opération, sans anesthésie, sur les filles vers l’âge de huit ans, a l’aide d’un couteau ou d’une lame de rasoir. L’objectif est de rétrécir la structure de l’orifice vaginal dont l’« ouverture » se fera par le mari, lors de la nuit de noce de la jeune fille.

De plus, il existe d’autres variations de la pratique liées à l’âge des personnes excisées (très jeunes enfants, fillettes prépubères, jeunes filles pubères, femmes adultes) et aux conditions de l’opération (versions traditionnelles qui sont pratiquées sans anesthésie, ni précautions d’hygiène, généralement par des exciseuses dépourvues de formation médicale, qui se distinguent des versions médicalisées).

Or, l’utilisation d’un terme unique qui est la « mutilation » réduit la diversité de la pratique.

Il convient alors de se conformer à l’usage pratiqué dans la littérature scientifique consacré à ce problème, laquelle préfère le terme d’Incision Génitale Féminine (IGF). B.

Ambivalence vis-à-vis de l’exigence morale : Dans un second temps, l’hésitation dans le rapport de l’Unicef entre « mutilation » et « coupure » ne renvoie pas seulement au fait de la diversité des pratiques, mais peut aussi être rapportée à l’ambivalence suscitée par l’exigence morale de la question de l’incision génitale féminine.

En effet, on attribue l’expression de « mutilation » à Fran P.

Hosken, activiste féministe américaine, qui, par son engagement militant a largement contribué à la reconnaissance de « l’excision » comme problème social par l’opinion publique internationale, et au lancement de programmes internationaux pour l’éradiquer4.

Ainsi, le choix du terme « mutilation » n’est pas anodin mais a une implication importante en termes de sensibilisation sur les maux causées par cette procédure.

En effet, les complications médicales sont majeures ; infections, saignements excessifs, problèmes urinaires, douleurs chroniques, cicatrices, kystes, 4 « The Hosken report: genital and sexual mutilation of females », Paris, Denoël, 1983, P.299 4 complications lors de l'accouchement, et dans les cas les plus graves, le décès.

En utilisant un langage clair et fort, on cherche à influencer le publique et à attirer l'attention sur l'urgence de lutter contre cette forme de violence et de soutenir les victimes.

Or, ce terme porte en lui-même une description éthiquement inappropriée et un jugement de valeur, ce qui lui enlève la possibilité de se conformer à la neutralité axiologique de Max Weber.

Il condamne ceux qui recherchent, autorisent et réalisent.... »

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