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Juste la fin du monde Scène 3 première partie

Publié le 13/02/2024

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« EL 3 / Fin de la pièce (avant l’épilogue) Juste la fin du monde Important : relire les scènes 1, 2 et 3 de cette 2ème partie, pour pouvoir situer correctement cet extrait dans l’introduction et en saisir tous les enjeux. INTRODUCTION ( > présentation de Lagarce et de la pièce) >Situation Au début de la seconde partie, Louis, s’adressant au public, explique, dans un espacetemps indéterminé, après ce dimanche en tout cas (voire après sa mort comme dans le prologue ?) qu’il n’a pu annoncer sa mort prochaine, qu’il est parti, «sans avoir osé faire tout ce mal».

Dans la sc.

2 on est revenu au temps de l’action théâtrale, et l’annonce de ce départ a provoqué une fracture dans la famille et la colère d’Antoine vis-à-vis de son frère s’exprime alors de manière très violente : «Tu me touches, je te tue», dit-il à son frère dans la sc 2.

Dans cette dernière scène de la pièce, la tension est un peu retombée mais la parole d’Antoine, directement adressée à Louis en une longue tirade, va exprimer les souffrances et les rancoeurs accumulées . Les trois femmes sont présentes et assistent en silence, en spectatrices, à cet échange.

Nous pouvons dire que nous sommes dans le dénouement de la pièce puisque l’action en tant que telle se termine là, dans cet ultime dialogue, avant un épilogue à nouveau situé dans l’avenir. Quel dénouement ce dernier échange entre les deux frères donne-t-il à la crise personnelle et familiale /à la pièce? Annonce des mouvements du texte (voir cours) 1er mouvement Antoine, après avoir reproché, juste avant, à Louis de s’être installé dès l’enfance dans une position d’enfant malheureux parce que mal aimé alors qu’en face Antoine, le petit frère, s’est senti responsable de cette situation, envisage maintenant la situation présente, qu’il présente comme un affrontement: «tu es là, devant moi».

Cette position verticale (Louis est debout devant lui, c’est une sorte de didascalie interne (= pas de didascalie, mais les répliques de personnages indiquent les positions ou mouvements des corps) ) est interprétée par Antoine comme une accusation : Louis est le sujet – « tu » - et Antoine le complément, qui subit ; « accuser sans mot » forme une sorte d’oxymore qui fait de Louis un procureur implacable, d’autant plus insupportable qu’il ne formule explicitement aucune accusation… Puis, sans transition, sans lien logique, il ajoute «je savais que tu serais ainsi, à m’accuser sans un mot», puis reprend « à te mettre debout devant moi pour m’accuser devant moi», suggérant alors que c’est une attitude volontaire de Louis (« se mettre » remplace le verbe « être ») : il est debout pour « (l)’accuser sans un mot » , ce qui est souligné par l’épiphore .

La position debout de Louis a été énoncée, puis reprise par l’épanorthose dans les 2 lignes suivantes pour lui donner sa signification aux yeux d’Antoine.

Antoine « savait » que ce serait encore une fois ainsi : il affirme bien connaître, et reconnaître, son frère, il règle là des comptes anciens, témoigne de blessures anciennes.

On remarque à quel point Louis compte pour son frère puisque même son silence, et peut-être surtout son silence, est éloquent, veut dire beaucoup de choses pour lui. Ce qui frappe ensuite, c’est la confusion des sentiments qu’il cherche à expliciter, à expliquer : en multipliant les répétitions de «et» (une sorte d’hyperbate), il énumère, pêle-mêle, des sentiments d’une extrême variété : la compassion («Je te plains»), qu’il amplifie ensuite en «pitié», mot répété deux fois avec insistance , puis «la peur», «l’inquiétude» ,«la colère» et « le reproche » qu’il se fait à lui-même, une forme de culpabilité.

Désordre des sentiments.

On perçoit que ces sentiments sont complexes, et pourraient paraître contradictoires -« colère »contre son frère et « reproche » contre lui-même par exemple ; il l’explicite d’ailleurs avec la concession « malgré toute cette colère » – mais en réalité ils témoignent bien des noeuds familiaux que révèle ce moment de crise familiale. Ce mouvement se termine pourtant, comme le marque la pause typographique (= le blanc typographique) sur le souci qu’a Antoine de son frère : ce souci est développé, sur quelques lignes, contrairement aux autres sentiments et il « se reproche déjà ( (il) n’es(t) pas encore parti ) le mal qu’(il lui) fait » : les mots blessent, Antoine le sait bien.

Et la phrase « j’espère qu’il ne t’arrive rien de mal» résonne singulièrement , grâce à la double énonciation, créant une forme d’ironie tragique [1er niveau d’énonciation : les personnages se parlent ; 2ème niveau : l’auteur s’adresse au public ; grâce à la double énonciation, parfois le spectateur, qui a assisté à toute la pièce, en sait plus , comprend plus que certains personnages.

= ici on sait que Louis va mourir, pas Antoine). Compte-tenu de la situation, Antoine aurait-il deviné, avec beaucoup de finesse, que son frère est venu pour une mauvaise nouvelle, à l’approche de la mort ?.

Sinon, simple bienveillance, expression de son affection, de la part d’Antoine (souci protecteur hérité de l’enfance). 2ème mouvement Ce début de deuxième mouvement reprend tout ce qu’Antoine avait jeté, pêle-mêle, dans le mouvement précédent, en le précisant , comme si ce début fonctionnait comme une longue épanorthose: a) Il reprend , grâce à l’anaphore qui rythme sa tirade « Tu es là » en début de tirade, et à nouveau associe cette position à une accusation de Louis.

Il répète par deux fois «Tu m’accables» , qui est encore plus fort que « tu m’accuses » (accabler = écraser par sa seule présence), qu’il élargit là encore en «tu nous accables» (du « je » au « nous ») = comme si toute la famille souffrait depuis longtemps de la manière d’être de Louis avec eux.

Comme s’il parlait ici au nom de sa mère et de sa sœur, s’en faisait le porte-parole.

Il précise donc l’accusation dont la famille se sent victime. Il commente d’ailleurs : « tu m ‘accables, on ne peut plus dire ça », à rapprocher de « la pitié, c’est un vieux mot», mais reprend pourtant ce même verbe, comme s’il ne pouvait s’en empêcher, comme si les mots qu’il utilisait malgré lui avec son frère manifestaient qu’il est toujours, face à lui, dans le passé.

Comme si il ne pouvait sortir des rôles dans lesquels l’enfance les a enfermés, lui et son frère.

Des mots dépassés et obsolètes. b) ensuite il réaffirme et précise sa peur en évoquant une forme de panique et de terreur profonde qu’il ne contrôle pas : «J’ai encore plus peur pour toi que lorsque j’étais enfant».

Antoine encore prisonnier d’un rôle imposé dès l’enfance… Encore une fois, sentirait-il son frère en danger ? c) De même, il reprend son remords.

Il reprend finalement le schéma initial de l’enfance : dévalorisation de ses propres émotions face à son frère, le seul à connaître une vraie souffrance – alors que l’existence d’Antoine est « paisible et douce » - le seul à être intelligent aussi, Antoine se voyant comme un « mauvais imbécile », l’épithète « mauvais » connotant aussi la méchanceté, le mal par opposition au bien, comme si cela s’ajoutait à sa supposée bêtise. On constate encore la complexité des sentiments familiaux : « Je ne suis qu’un mauvais imbécile qui se reproche déjà d’avoir failli se lamenter » : il se reproche sincèrement de se plaindre alors que sa vie est facile et trnaquille, mais il sousentend peut-être qu’il souffre d’être dans le rôle de celui qui va bien, celui qui n’est pas torturé – contrairement à Louis – et donc celui qui devrait « se reprocher d’avoir failli se lamenter », comme si les schémas familiaux lui interdisaient le droit à la souffrance, comme si seule la souffrance de son frère était noble, et donc permise. A l’opposé, Antoine affirme aussi la supériorité de Louis, - toujours qualifié par son silence et sa générosité : l’expression est clairement redondante (« silencieux, ô tellement silencieux » ), Antoine souffrant à la fois du silence de son frère – qui pourrait être interprété comme de l’indifférence – et de sa « générosité » qui fait apparaître Antoine comme encore plus mesquin.

L’expression « bon, plein de bonté », elle aussi redondante, présente Louis comme un modèle moral, représentant le bien absolu. - Il présente finalement Louis comme une sorte de divinité, une sorte de Christ souffrant très supérieur à tous : « alors que toi , silencieux, ô tellement silencieux, tu attends, replié sur ton infinie douleur intérieure dont je ne saurais pas même imaginer le début du début.

» : encore une fois auto-dépréciation : la souffrance de Louis est « infinie », l’hyperbole lui donnant une grandeur évidente, une forme de noblesse dont l ‘ « imbécile », terme, lui, fortement péjoratif, ne « saurai(t) pas même imaginer le début du début » : par cette répétition hyperbolique, Antoine se déprécie complètement.... »

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