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J.-K. Huysmans écrit : « À quoi bon bouger, quand on peut voyager si magnifiquement dans une chaise ? »Qu'en pensez-vous ?

Publié le 15/05/2020

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Ci-dessous un extrait traitant le sujet : J.-K. Huysmans écrit : « À quoi bon bouger, quand on peut voyager si magnifiquement dans une chaise ? »Qu'en pensez-vous ? Ce document contient 2879 mots soit 6 pages. Pour le télécharger en entier, envoyez-nous un de vos documents grâce à notre système gratuit d’échange de ressources numériques. Cette aide totalement rédigée en format pdf sera utile aux lycéens ou étudiants ayant un devoir à réaliser ou une leçon à approfondir en Littérature.

« À notre époque où le voyage s'est généralisé, où l'on bouge plus souvent, car plus facilement ; où les moyens detransport se sont considérablement améliorés, où les prix ont baissé, la phrase écrite par J.-K.

Huysmans peutchoquer : « À quoi bon bouger quand on peut voyager si magnifiquement dans une chaise ? » En effet, voyager faitdésormais partie de notre paysage quotidien ; les agences nous proposent des week-ends dans des villesprestigieuses : Vienne, Venise, à des tarifs relativement abordables.

Les routes européennes sont engorgées àchaque départ et retour de vacances d'hiver ou d'été.

De même, gares et aéroports sont pris d'assaut.

On pourraitdire que nos sociétés sont saisies d'une frénésie de « bougeotte » et de mouvement, qu'elles sont de moins enmoins sédentaires.

Les caravanes des modernes nomades encombrent périodiquement les autoroutes avant decoloniser les bords de mer ou les sites pittoresques de montagne.

Que cherchent-ils ainsi, tous ces nouveauxvoyageurs (car le phénomène est, à cette échelle « démocratique », très récent) ? Le dépaysement ? Le «changement » ? Vont-ils à la découverte des autres lorsque, de plus en plus souvent, ils franchissent les frontières? En somme, pourquoi voyager ? Ne peut-on se contenter de « voyager dans sa chaise » ? La littérature ne peut-elle, à elle seule, nous permettre de nous évader ? Les nécessités du voyage sont connues depuis longtemps.

Ainsi, Montaigne, esprit très ouvert et très curieux,écrivait dans ses Essais qu'il faut « frotter sa cervelle à celle d'autrui ».

Or, quelle plus belle occasion pour cette confrontation, qu'un voyage, fût-il court et rapide, sans à peine « quitter son clocher » ? C'est l'occasion decomparer, regarder, écouter, goûter, comprendre, pour s'apercevoir qu'il n'y a pas une seule manière de vivre maisplusieurs.

Voyager a, au moins, le mérite d'apprendre le sens de la relativité des choses humaines : ce que jecroyais universel, « éternel », je découvre que c'est transitoire, local ; ce qui peut me faire comprendre que je doisêtre tolérant à l'égard des autres idées, des formes de vie différentes.

Voyager, c'est apprendre à supporter lesautres.

C'est dans cet esprit que se déplaceront les grands voyageurs du siècle des Lumières, comme Bougainvillepar exemple, « l'inventeur » du my the de Tahiti, persuadé, en abordant cette île, d'avoir trouvé le Paradis ou, aumoins, la preuve qu'il y a des peuples heureux et que le « bon sauvage » peint par Rousseau existe encore quelquepart.

Ce désir de rencontre, hélas, n'est pas toujours au centre des préoccupations des voyageurs : certainspartent pour conquérir, asservir, détruire, piller.

On connaît les suites désastreuses du voyage de Christophe Colomb: mise à sac d'une civilisation brillante, génocide, dans l'indifférence générale (hormis la réaction indignée de1VIontaigne) et par pur souci de lucre et de profit mercantile. Quoi qu'il en soit et quels qu'en soient les motifs, aller voir ailleurs est, pour les êtres humains, une nécessité vitale ;c'est le désir de franchir d'abord les rivières, puis les lacs, enfin les océans ; de traverser les montagnes, monter auxsommets, escalader les rochers, parcourir banquises et déserts qui est à l'origine du progrès et de la civilisation.C'est cette curiosité qui est le moteur même de l'histoire humaine et de l'essor des cultures.

On ne peut peut pasvraiment vivre en se repliant sur soi : les grandes civilisations furent toujours, sinon conquérantes, au moinsouvertes sur le monde extérieur.

Que ce soit pour accroître leurs territoires, coloniser, découvrir, commercer.

Cen'est pas seulement l'appétit de pouvoir qui meut Alexandre, ni l'avidité qui pousse Marco Polo, c'est un impétueuxdésir d'aller toujours plus loin. Mais voyager, c'est encore autre chose : « Je ne sais pas ce que je cherche, mais je sais ce que je fuis » écrivaitencore Montaigne.

Voyager, c'est aussi et toujours fuir quelque chose.

C'est un aspect fondamental du voyage : cequi compte, ce n'est pas seulement l'espérance d'un autre monde, d'un ailleurs plus souriant, la quête d'un trèshypothétique paradis, c'est, d'abord et avant tout, le désir de fuite.

Ainsi, les grands poètes du )(De siècleinsistent-ils sur cet aspect du voyage (peut-être cela est-il également lié au développement des moyens detransport ?).

« Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate » écrit Baudelaire dans Moesta et errabunda, « Loin, loin,ici la boue est faite de nos pleurs.

» Ici, c'est le monde tel qu'il est, soumis au spleen et au mal ; là-bas, c'est lemonde de l'exotisme, certes, mais aussi d'un idéal rêvé.

Raison pour laquelle il faut fuir : « Fuir, fuir là-bas, je sensque les oiseaux sont ivresD'être parmi l'écume inconnue et les cieux...

»Ainsi s'exprime Mallarmé dans Brise marine.

Tout récit de voyage est plus ou moins, pour reprendre le titre d'uneoeuvre de Le Clézio, un Livre des Fuites, où le voyageur s'éloigne d'une civilisation qu'il abhorre, ou d'une image delui-même qu'il rejette avec force, pour trouver, par exemple, une raison de vivre.

Mais voyager, est-ce si utile ?Baudelaire, dans l'ultime poème des Fleurs du Mal, justement intitulé le Voyage, en tire un « amer savoir ».

Ceux quifuient leur patrie « infâme », leur compagne, leur mal de vivre, ceux qui « partent pour partir », les seuls voyageursauthentiques (car ils y sont poussés par une impérieuse nécessité intérieure) sont condamnés à retrouver partoutles mêmes images : « Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui.

» Car c'est soi-même, en fait, que l'on veut fuir.Or, c'est, hélas, toujours avec soi-même que l'on voyage.

Et l'ailleurs se dérobe toujours.

À quoi bon alors ? Commepour le bateau ivre de Rimbaud, le grand déferlement des tempêtes s'avère inutile ; les aubes sont toujours atrocesou navrantes.

Pourtant, cela n'empêche nullement le jeune poète de tout abandonner et de continuer, seul, sonpériple, jusqu'en Éthiopie, à la recherche de quelque chose, de soi-même peut-être, avant de revenir mourir àMarseille amputé d'une jambe.

Quel triste sort pour un marcheur impénitent ! Tout voyage se terminerait-il ainsi, parun constat d'échec ? Serait-il plus raisonnable de suivre les propos de J.-K.

Huysmans et de « voyagermagnifiquement dans une chaise » ?Naturellement, la chaise dont il s'agit n'est pas le siège d'un avion long courrier (ni non plus une vénérable chaise àporteur qui, elle au moins, vous fait bouger...

dans tous les sens du terme).

Ce n'est qu'une modeste (on l'espèrenéanmoins confortable) chaise d'appartement ou de bureau qui nous permet de voyager par procuration, en lisant,par exemple, des récits de voyages.

Là, aucun danger : le voyageur ne court pas le risque de tomber sur des tribusbarbares désireuses de le scalper,de réduire sa tête ou de le dévorer.

Aucun risque de contamination, non plus, pour les nations visitées : le lecteurvoyageur ne portera atteinte à la vie de qui que ce soit, ni ne détruira aucune culture.

Calé dans sa chaise (on. »

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