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Fin de Partie Quel est le rôle des répliques récurrentes ?

Publié le 02/12/2021

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 Dans Fin de Partie, Beckett n’a pas voulu départager sa pièce en plusieurs actes. Cependant, l’acte unique comporte un certain rythme, qu’on doit surtout au déroulement du dialogue. Celui-ci se rythme notamment de nombreuses répétitions, notables principalement dans le rapport Hamm-Clov. Ainsi se détachent plusieurs répliques récurrentes, dont on peut tirer une utilité générale, et sur lesquelles ont peut se pencher en détail pour en chercher la signification particulière. Peut-on tirer un sens de ce choix d’occurrences répétitives, quel est leur rôle ?

Ces répliques récurrentes ont-elles un rôle comique ou désespérant ?

 

    Les répliques récurrentes constituent de manière générale des leitmotivs structurants du dialogue, elles instaurent un rythme à la pièce et, c’est indéniable, un comique de répétition.

On a l’impression que les personnages sont enfantins, à oublier aussitôt ce qu’ils viennent de déclarer ou de demander pour le répéter dans les même termes peu de temps après. Cette naïveté est caricaturale, ridicule.

    Ces répétitions viennent notamment d’une volonté des personnages de ne rien bousculer, une sécurité prodiguée par la « routine «. Quand Hamm demande, comme Nell auparavant « Pourquoi cette comédie tous les jours ? «, Clov lui répond « La routine. On ne sait jamais «.

C’est l’absurdité, le décalage avec al réalité qui fait qu’au lieu de faire remarquer à son interlocuteur qu’il se répète, on lui donne la même réponse, dans les mêmes termes que les fois précédentes, qui fait qu’un spectateur de Fin de Partie ne peut s’ennuyer –contrairement aux personnages- et ne peut nier que ces répliques récurrentes ajoutent au comique de la pièce.

 

    Toutefois, dans une interprétation plus métaphysique, on peut penser que ces répétitions sont à l’image d’un des problèmes de la pièce qui est de savoir si cette journée vécue par les quatre personnages est ou non répétitive, si elle se déroule « comme les autres « simplement elle s’inscrit dans un cycle de recommencement perpétuel. En effet on a l’impression que, bien qu’il y ait quelques allusions au passé, elles sont lointaines, étrangères : même hier parait éloigné (« Nell (élégiaque): Ah hier ! «).

    Il semble que leur mémoire est déréglée, comme bloquée, qu’ils n’ont plus réellement de conscience ordonnée du temps qui s’écoule donc du passé, et que ne pouvant sentir ce temps, ils ne savent plus situer le déroulement de leur dialogue « tordu «, ils ne se souviennent même pas qu’ils ont dit la même chose quelques instants auparavant.

    Ce n’est pas simplement qu’ils n’ont plus rien à se dire d’avoir trop vécu ensemble, mais qu’il y a une absence d’évolution par ce temps comme emprisonné. Leurs pensées n’évoluant plus, il n’y a par conséquent pas non plus d’évolution du langage : les idées restent telles quelles (même si Clov se dirige plus ou moins progressivement vers l’émancipation et la révolte), les manières de tourner ses propos et surtout de répliquer sont immobiles. Tout comme l’état des personnages, caractérisé par l’immobilité et l’étouffement, à la fois physique, dans le temps et l’espace, et métaphysique, dans leur rapport relationnel.

 

    La réplique « Il n’y a plus de «, s’appliquant surtout à des éléments matériels qui se tarissent peu à peu, est surtout prononcée par Clov, arrive parfois comme un chute ironique (« Il n’y a plus de calmant «, en réponse au soulagement de Hamm dont l’attente était insoutenable « Ah ! Enfin !... «), mais ne fait qu’énoncer méthodiquement et froidement la disparition inexorable des choses, sous entendant qu’avant, il y avait, ce qui ressasse avec insistance un sentiment de fatalité et de nostalgie.

    Clov a ainsi plusieurs répliques construites de la même façon, ses répliques en sont d’une simplicité surprenante (« Alors nous mourrons-Alors nous ne mourrons pas «, « Alors je vous quitterrai-Alors je ne vous quitterai pas. «). Il pourrait dire les mêmes choses d’une manière moins robotique, mais le fait peut être par fatigue d’être « humain «, ce qui impliquerait justement de suivre l’affrontement avec Hamm. Il aspire à de la clarté, à de la simplicité, à de l’ « ordre « : l’ordre vient palier l’incompréhension de ce qui l’entoure, il est rassurant. Ces répliques répétées sur le même schéma simplifié, épuré vient couper les amorces d’élans lyriques ou les tentatives de réflexions lancés par Hamm. Ceci instaure aussi une froideur du personnage, qui ne paraît pas touché, vu sa réaction mesurée et on ne peut plus logique, par les répliques intermédiaires de son « adversaire «.

    Hamm réitère la même demande tout au long de la pièce : « Ce n’est pas l’heure de mon calmant ? « - alors que lorsqu’il demande l’heure ont lui répond qu’elle est nulle- lui aussi cherche alors des repères. Ce n’est pas simplement le besoin pathologique de son médicament, ni le simple besoin de faire quelque chose pour ne pas penser. L’attente de ce moment précis fait penser à une différente échelle à l’attente de Godot : l’attente est un vide actuel qui contient la perspective pleine d’espoir qu’une chose va arriver, elle donne donc un sens (une direction) au temps. De plus les calmants, qu’on doit prendre à un certain moment de la journée, la remplissent en y fixant des repères temporels, qui prévoient les actions à venir.

    « Je te quitte « ou « Je te laisse «, « j’ai à faire « sont les répliques qui constituent le leitmotiv de Clov le plus fréquent. La parole fait ici office d’auto-persuasion. Clov ne peut visiblement pas quitter Hamm, et il annonce continument quelque chose qu’il ne fait pas, mais il le dit comme pour s’encourager lui-même. La parole et la pensée veulent impulser l’action, lui donne l’impression de prendre une décision, mais il n’y arrive pas, bien qu’il « essaie «, « depuis [sa] naissance «. On sent que l’aspiration à quitter Hamm est celle qui habite Clov intensément, mais une force aliénante l’en empêche, à la fois en lui et agissant sur lui. Cette répétition fait ressortir la lutte à la fois relationnelle mais aussi intérieure à Clov. Elle oppose ce que lui dictent son désir, son intuition, son humanité (ou ce qu’il en reste) et une force contraire qui le retiendrait, englué dans cette situation tortionnaire, plus facile à conserver car ancrée dans l’habitude cyclique et précisément la répétition.

    Malgré ce blocage temporel, cette stagnation qui a commencé on ne sait pas vraiment quand, les allusions au temps qui passe se multiplient. (« Hamm : Qu’est-ce qui se passe ? –Clov : Quelque chose suit son cours «, « Ca avance «). Mais cette sensation est plus que passive, il s’agit toujours de quelque chose d’indéfini « ça «, « quelque chose «, « ça ne va pas vite «, « ça va tout seul «. Donc eux-mêmes ne parviennent pas à le capter avec certitude, cette temporalité consciente survient par bribe, mais reste insaisissable. La seule certitude sensible en est la fin imminente, pour laquelle ils s’impatientent tout en reculant son échéance, par peur naturelle et humaine de la non-existence.

    « Cette chose «, ce temps qui passe et tout ce qu’il implique, Hamm et Clov reconnaissent au moins qu’ils n’en peuvent plus : « Tu n’en as pas assez ?(…) De ce…de cette… chose. – Mais depuis toujours. (…) – Alors il n’y a pas de raison pour que ça change «, ce à quoi Clov répond, comme unique solution « Ca peut finir. «. La fin, mot réutilisé et répété à chaque fois d’une façon différente, exprimé avec doute, impatience ou bien certitude, est en tout cas très fréquent dans le discours( onze fois Clov et Hamm y font un rapport direct « C’est fini «, « Ce sera la fin «, « Ca ne va donc jamais finir ? « etc.). La fin apparait donc comme préoccupation essentielle, comme utopie, incertaine ou inévitable selon les moments. Comme le départ de Clov (qui sont en lien), on en parle souvent car elle reste à la fois la crainte et l’aspiration principale par le fait qu’elle semble palpable tout en n’étant pas encore.  Elle approche, comme une échéance angoissante, existentielle. Ce qu’ils subissent, c’est l’état qui la précède juste, situation que Becket a pu décrire l’assimilant à l’insurrection des molécules d’une pierre une fraction de seconde avant qu’elle implose. Ce qui est paradoxal est qu’ils parlent de cette fin tout au long et dès le début de la pièce, comme si leur esprit était déjà projeté dans cet ailleurs, dans cette fin (Hamm : Tiens ! Ni loin ni mort ? Clov- En esprit seulement. «) Ils vivent dedans, en font partie, l’alimentent, la désirent et la subissent. La pièce, son avant, son début et son déroulement seraient tous constituants de cette même fin.

 

    Au final, ces répliques s’inscrivent dans une même trame, elles sont liées en ce qu’elles traduisent les mêmes sentiments et les mêmes domaines métaphysiques. L’impatience, la volonté de se protéger de l’ « immensité « du « vide «, du « silence et de l’inertie «, le besoin névrotique d’habitude sécurisante, la désespérance amère sont autant de sentiments dont témoignent ces répliques récurrentes. Ils sont indéniablement liés au tragique, même si ce tragique n’est parfois pas direct et explicite (au sens où on voudrait le faire correspondre à la tragédie classique). Il est ici sournois, sous-jacent, comme cette fin qui ne vient pas. Si ces répétitions systématiques participent à renforcer le caractère comique de Fin de Partie – ce que pourra très certainement confirmer un spectateur ou un lecteur s’arrêtant au premier degré- mais elles laissent percevoir après réflexion la dimension métaphysique de la pièce, lourde de complexité, de noirceur, de désespoir.

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