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Explication linéaire Ma bohême Rimbaud

Publié le 15/01/2024

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« EXPLICATION DE TEXTE (Fantaisie) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 Ma Bohême Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal : J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ; Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées ! Mon unique culotte avait un large trou. - Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course Des rimes.

Mon auberge était à la Grande-Ourse. - Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ; Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur ! Introduction : Dernier poème des Cahiers de Douai, “ Ma Bohême ” peut être rapproché d’autres pièces de l’errance telles “ Sensation ”, où apparaît déjà l’image du bohémien.

Mais ici, l’évocation de la bohème prend un tour plus personnel, Rimbaud commençant à construire sa propre légende, celle du poète vagabond, de “ l’homme aux semelles de vent ” pour citer Verlaine.

Et si “ Ma Bohême ” est considéré comme un poème de la première manière rimbaldienne et prend la forme, en apparence traditionnelle, du sonnet, il porte déjà la trace de la volonté de subversion du jeune poète.

En effet, si le terme subversion désigne aujourd’hui l’action de renverser l'ordre établi, il retrouve également pour Rimbaud, dans ce poème, son sens étymologique : le fait de mettre sens dessus dessous, de renverser par le bas (et le préfixe sub- en particulier prend ici toute sa signification), et Rimbaud y expérimente déjà le “ raisonné dérèglement de tous les sens ” qu’il érigera en principe dans les lettres dites du voyant. Problématique : Comment Rimbaud s’y prend-il dans “ Ma Bohême ” pour déconstruire, pour démythifier, en la subvertissant, l’image traditionnelle du poète au profit d’un nouveau mythe, le mythe Rimbaud ? 1 Mouvement du texte : Le poème peut se décomposer en deux mouvements qui correspondent à deux moments de l’errance du poète : les vers 1 à 7 le moment de la marche et les vers 7 à 14 le moment de la halte, elle-même divisée en deux instants : celui de la réception sensuelle des dons de la Nature puis celui de la création poétique. On constate dès l’abord un jeu avec la forme traditionnelle du sonnet : une rupture habituelle entre quatrains et tercets apparaît d’une certaine manière par le développement de thèmes dominants différents voire opposés de part et d’autre (marche/halte).

Mais dans le même temps, Rimbaud gomme la frontière en créant une sorte de contre-rejet thématique, le thème de la halte apparaissant dès le vers 7 (et non au vers 9), avec la mention de l’auberge.

Cet effet de continuité entre quatrains et sizain est renforcé par les thèmes de l’errance et de la création poétique qui traversent tout le poème ainsi que par l’absence de ponctuation au vers 8 (dans le cahier Demeny). A propos du titre et du sous-titre : “ Ma Bohême ”.

Par ce titre, Rimbaud rappelle Murger et ses “ scènes de la vie de Bohème ”, mais il s’en démarque avec la présence du possessif de 1 e personne, qui deviendra omniprésence dans le poème avec 19 occurrences dont une au début de chaque quatrain et du sizain et en clôture dans le vers 14, places stratégiques.

Rimbaud ne va pas se contenter d’évoquer une scène de vie de bohème mais bien SA bohème, son univers intérieur, son pays imaginaire et idéal, où il possède jusqu’aux étoiles… Le sous-titre, “ Fantaisie ”, peut se lire quant à lui comme un hommage à Nerval mais surtout comme la mise en évidence de l’insouciance et de la liberté joyeuses de la vie évoquée, qui se retrouvent dans une écriture qui joue avec les codes poétiques.

Un dictionnaire du XIX° siècle la définit en effet comme suit : "Fantaisie, se dit aussi, surtout en termes de Peinture et de Musique, des ouvrages où l'on suit plutôt les caprices de son imagination que les règles de l'art, mais sans abandonner tout à fait ces dernières" (8° sens, dans le Dictionnaire de l'Académie, édition de 1879).

Baudelaire notamment utilise la notion dans ses Salons pour caractériser une catégorie d'œuvres d'art où dominent la recherche de la singularité, le recours au merveilleux, voire au fantastique, au risque de négliger la fidélité à la nature et la régularité de la forme.

Le sous-titre crée un contraste avec les sonnets précédents (“ Au Cabaret-Vert ”, “ La Maline ”) qui étaient des “ choses vues ” ; celui-ci nous entraîne dans un monde imaginaire : l’adjectif “ fantastiques ” apparaît d’ailleurs au vers 11. 1er mouvement : “ Je m’en allais […] des rimes.

”, v.1-7 2 On constate dans un premier temps que Rimbaud s’appuie sur la tradition et fait référence aux poètes de son temps pour dresser son propre portrait, celui du poète vagabond : Il utilise la forme traditionnelle du sonnet et respecte scrupuleusement l’alternance des rimes masculines et féminines.

Quelques alexandrins réguliers témoignent de la maîtrise technique du jeune poète (v.3, 6 et plus loin v.9).

Les enjambements même appartiennent désormais à la tradition, tant ils sont largement utilisés par les romantiques (depuis “ l’escalier dérobé ” d’Hernani) et par les parnassiens. Rimbaud joue également avec les topoï des poètes parnassiens en empruntant leur vocabulaire : l’idéal (v.2), la muse (v.3), puis plus loin dans le texte, les étoiles (v.8), la rosée (v.11), la blessure (v.14), autant de motifs chers à la poésie parnassienne.

Et l’utilisation de l’imparfait (alors que “ Sensation ” était au futur) donne au poème une tonalité élégiaque, nostalgique. Cette base traditionnelle crée chez le lecteur un horizon d’attente bien vite déjoué.

Outre le rythme de l’alexandrin qui dès le premier vers tend vers la prose puisque Rimbaud supprime la césure à l’hémistiche au profit d’une césure en 4+8, l’ironie rimbaldienne et l’autodérision font très rapidement leur apparition dans le poème, dès le vers 3 qui associe l’invocation de la muse à un terme médiéval, “ féal ”, créant ainsi un anachronisme qui marque de la part du poète un net refus de l’emphase.

C’est ce que confirme l’utilisation au vers 4 de l’expression familière appartenant à la langue parlée “ Oh ! Là là ! ” qui vient remplacer le Ô lyrique attendu dans le cadre d’une invocation.

S’installe alors une tension entre l’unité sonore (allitération en [l] qui parcourt les v.

3 et 4 : “ J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ; / Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées ! ”) et la rupture au niveau lexical. Autre source de surprise pour le lecteur, le mélange du vocabulaire trivial et du vocabulaire poétique : on note en particulier, au vers 2, la dissonance entre les mots “ paletot ” et “ idéal ” qui le qualifie, dissonance renforcée par l’allitération en [t] provoquée par les liaisons (“ Mon paletot aussi devenait idéal ”) et qui invite à tourner en dérision le terme cher aux parnassiens. Rimbaud joue manifestement ici des multiples sens que peut prendre le mot “ idéal ” : le sens courant de “ merveilleux, inégalable ” et le sens philosophique renvoyant à la conformité entre une chose particulière et son principe général abstrait, son idée.

La situation du poète vagabond est idéale, merveilleuse, à cause de la liberté et du plaisir de la marche associé au plaisir poétique.

Mais le “ paletot aussi dev[ient] idéal ” au sens où il se réduit de plus en plus à une idée de paletot, tant il est usé, comme le reste de la tenue du promeneur (cf.

“ poches crevées ”, v.1 et v.5, “ Mon unique culotte avait un large trou ”).

Un troisième sens possible vient s’ajouter aux deux premiers si l’on considère comme Steve Murphy que ces vers sont une évocation poétique des plaisirs solitaires auxquels s’adonne le poète.

Dans ce cas, le paletot devient trivialement idéal, c’est-à-dire bien pratique pour dissimuler les activités érotiques.

La “ muse ” n’est plus alors la déesse qui inspire le poète mais une simple figure féminine objet des fantasmes du jeune homme : “ Que d’amours splendides j’ai rêvées ! ” s’exclame-t-il en 3 effet… Il ne s’agit pas de choisir une interprétation qui serait la seule exacte : la subversion réside ici dans la coexistence, la concurrence des différents.... »

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