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eux aussi.

Publié le 08/12/2021

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eux aussi. C'est en 1943 que ceux qui étaient lucides ont commencé à faire des plans pour
s'évader.
Alors quand pensait-il que Frydka et Lorka avaient fui pour rejoindre les partisans ? ai-je voulu
savoir.
En 1943, a dit Jack.
Mme Grossbard est intervenue. Mille neuf cent quarante trois, a-t-elle dit, pensive. Pas 1942 ?
Mille neuf cent quarante trois, a répété Jack avec emphase.
Se tournant vers moi, il a continué : Frydka avait l'habitude de venir à notre Lager, notre camp,
presque tous les soirs. Elle était comptable à la Fassfabrik. Le comptable en chef était tombé
malade, il avait des problèmes de rein. Aussi quand ce comptable, Samuels, il s'appelait,
Shymek Samuels, quand il a été malade, il est venu dans notre Lager, qui était considéré
comme un des meilleurs. Elle avait l'habitude de lui rendre visite presque chaque jour. Elle et
Lorka vivaient dans le Lager à côté de la Fassfabrik, là où étaient les Adler, a-t-il fini par
ajouter.
Lorsqu'il a dit cela, j'ai immédiatement pensé à plusieurs choses. Tout d'abord, au fait que,
jusqu'en 1943 au moins, Frydka et Lorka vivaient au même endroit, ce qui (j'imagine) devait
être un réconfort. Ensuite, que Frydka, qui avait vingt et un ans en 1943, devait être une jeune
femme très gentille pour rendre visite à ce comptable malade, Samuels, alors que le simple fait
de circuler dans les rues de Bolechow à ce moment-là, c'était, comme l'avait clairement dit Meg
Grossbard, risquer sa vie (nous étions hors la loi, avait-elle dit, en essayant de me faire
comprendre ce que cela signifiait. N'importe qui pouvait nous tuer). Et enfin, le fait que c'était
ce que lui avait procuré cette éducation au lycée commercial de Stryj, à cette fille à la démarche
déterminée, à cette jeune femme élancée qui, avait laissé entendre Meg, avait l'habitude de
prendre le train jusqu'à une station thermale locale appelée Morszyn avec Pepci Diamant et
elle, lorsqu'elles étaient adolescentes, pour se glisser dans les après-midi dansants qui y étaient
organisés et pour lesquels elles n'étaient pas en âge d'entrer, à cette fille vive qui avait séduit,
avec ses traits sombres, un garçon polonais, catholique et blond, les condamnant tous les deux
(il me faudrait encore des mois pour apprendre les détails de cette histoire). C'était ce que
cette coûteuse éducation au lycée commercial avait procuré à Frydka : quelques mois
supplémentaires de survie comme comptable dans un camp de travaux forcés.
 
 

À ce moment-là, bien avancés dans notre conversation chez Jack et Sarah Greene, bien après
que les tintements des assiettes et le gargouillement du café versé ont cessé, seules Frydka et
Lorka sont encore vivantes. Leur départ dans les forêts épaisses à la périphérie de Bolechow est
le dernier événement dont quelqu'un puisse encore témoigner.
Alors qu'est-ce qui a poussé les gens à décider de s'échapper dans la forêt ? ai-je demandé.
Après novembre 1942, nous sommes entrés au Lager, a répété Jack. Chacun portait une lettre,
soit un R, pour Rüstung, munitions, ou un W, pour Wirtschaft, économie.
A cet instant précis, Meg et Bob commencent à se disputer sur la signification du W : elle
pense que ça signifiait Wehrmacht, mais il insiste pour dire que ça devait être Wirtschaft

puisqu'il n'y a pas de différence substantielle entre Rüstung et Wehrmacht.
En ce qui me concernait, la question de savoir ce que représentait le W était hors de propos. Le
propos étant qu'en mars 1943 tous les ouvriers marqués d'un W, trois cents personnes
environ, ont été emmenés au cimetière et abattus dans une fosse commune. C'était une des
« petites » Aktionen dont Jack avait parlé auparavant ; c'était l'Aktion que la vieille Olga que
nous avions rencontrée en Ukraine avait pu voir depuis la fenêtre de sa salle de séjour. À ce
Moment-là, a dit Jack, il est devenu évident que même les travailleurs « utiles » n'avaient pas
une importance cruciale, après tout.
Oui, a dit Meg d'une voix lente. Il y a soixante ans exactement, toutes mes amies avaient
disparu.
Bob a dit, Tous les W ont été exterminés.
Je me suis dit que, de toute évidence, ce que représentait le W était, en fin de compte, hors de
propos pour les Allemands aussi.
Et les R, a poursuivi Bob, ont été gardés jusqu'en août 1943.
Soudain, Jack a dit, Ça me rappelle qu'il y a eu une autre Aktion. Ils avaient emmené à Stryj les
Juifs qui n'allaient pas dans les camps. Mais en mars 1943, pour une raison bizarre, ils ont
ramené à Bolechow des gens du ghetto de Stryj, quatre-vingt-dix ou cent anciens habitants de
Bolechow. Parmi eux, il y avait notre oncle Dovcie Ehrmann. Et vingt-quatre heures, peut-être
quarante-huit heures après, ils les ont emmenés au cimetière et les ont tués.
Désolé, Jack, je ne me souviens pas du tout de ça, a dit Bob.
Je n'y peux rien, a répliqué Jack, ça a eu lieu.
Je sais, je sais. Je sais que les W étaient dans le camp là-bas, chez les Adler, ils ont été
emmenés en mars 1943...
Alors c'était peut-être en avril, a concédé Jack. Mais ils ont été emmenés, quatre-vingt-dix ou
cent personnes.
Mars, avril : peu importe, à ce moment-là, Frydka et Lorka n'étaient plus, pour autant que
pouvaient s'en souvenir ces gens, à Bolechow. Ensemble ou séparément, avec l'aide d'un
garçon polonais probablement, les deux soeurs avaient réussi à s'échapper de Bolechow. Elles
ont disparu et plus personne ne les a jamais revues.
Du moins, c'est ce que nous pensions alors.
C'est la dernière chose que quiconque à Sydney ait pu me raconter à propos des Jäger. Il se
trouve que c'est aussi la dernière chose dont nous ayons parlé. Tout à coup, la conversation a
perdu toute énergie. Chacun, et pas seulement les personnes âgées, s'est senti épuisé, anéanti.
 
 

En fait, ce n'est pas tout à fait vrai. La dernière personne à qui j'ai parlé cet après-midi-là a été
Boris Goldsmith, qui était resté silencieux pendant la plus grande partie de la conversation,
puisqu'il n'avait pas été présent pendant la guerre, n'avait pas vu ce que les autres avaient vu

ou entendu dire. C'était cela qu'il voulait rendre parfaitement clair pour moi, quand la
conversation avait pris fin.
Je ne peux rien vous dire, a-t-il dit, en me regardant et en écartant ses grandes mains, parce
que je n'étais pas là, j'étais à l'armée. Dans l'armée russe.
Je sais, ai-je dit sur un ton que j'espérais rassurant. Mais en voulant lui donner l'impression
d'avoir été utile, en voulant l'inclure dans la conversation alors qu'il n'avait pas été inclus dans
les événements dont je venais d'entendre parler, j'ai ajouté, Alors que s'est-il passé après la fin
de la guerre ? Vous êtes revenu ?
Boris a ri et a secoué la tête. Non, a-t-il dit, je ne suis pas revenu parce que j'ai rencontré
quelqu'un quand j'étais à l'hôpital dans le Caucase -- il a prononcé Cow-casse -- et c'est là que
j'ai fait sa connaissance. Quelqu'un en uniforme français, et je me suis approché de lui, et il
avait l'air d'être juif.
L'idée que ce Juif d'une minuscule ville de Pologne ait pu rencontrer quelqu'un qui lui avait
semblé familier et sympathique, à des milliers de kilomètres de chez lui, au fin fond du Caucase,
m'a fait l'effet d'une chose aussi drôle qu'improbable, et j'ai souri. Il y avait en effet quelque
chose d'assez amusant dans la façon dont Boris Goldsmith racontait cette histoire, comme si
c'était le début d'une plaisanterie. En fait, je pouvais même imaginer mon grand-père
commençant une de ses histoires de la même manière. Alors pense un peu à ça : j'étais là, dans
le Caucase, au milieu de nulle part, et qui fait son entrée? Un Juif vêtu d'un uniforme français...
Il ressemblait à quelqu'un de Juif, a poursuivi Boris, et donc je me suis approché de lui et je lui
ai demandé, Alors, qu'est-ce qu'il faut faire, retourner à Bolechow ?
Et qu'est-ce qu'il a répondu ? ai-je demandé immédiatement, exactement comme je l'aurais fait
avec mon grand-père.
Et Boris m'a dit alors ce que le Juif en uniforme français lui avait répondu au cours de cet
improbable échange.
Boris a dit, Il m'a conseillé de laisser tomber, il ne restait plus personne.
 

3Et les sommets des montagnesapparurent de nouveau
 
 
 

Cela avait eu lieu le dimanche 23 mars 2003, date de l'anniversaire de mon grand-père. Après
que Boris a dit, Il m'a conseillé de laisser tomber, il ne restait plus personne, tout le monde
s'est levé, Jack, Bob, Meg et Boris, et, les uns après les autres, les invités ont dit au revoir et
sont rentrés chez eux. Jack a insisté pour nous raccompagner, Matt et moi, à notre hôtel. Au
moment où je suis descendu de la voiture, il s'est brusquement penché vers la portière ouverte
et a dit, de manière inopinée, Bien sûr que je me souviens de Shmiel Jäger - ce n'était pas le
genre de personne qu'on peut oublier !

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