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Étude linéaire scène d’exposition « Juste la fin du monde » Jean Luc Lagarce

Publié le 10/02/2024

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« Séquence 3 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, 1990. Œuvre intégrale : Jean-Luc LAGARCE, Juste la fin du monde, Flammarion, coll.

« Étonnants classiques » 1990. Parcours associé : « Crise personnelle, crise familiale » Problématique : Comment dire l’indicible ? Explication linéaire n°11 Le Prologue de Juste la fin du monde Éléments d’introduction : Juste la fin du monde se construit comme une tragédie antique : la fin est annoncée dès le début de la pièce.

Le prologue prend en charge le rôle du chœur : personnage composé d’une ou plusieurs personnes venant annoncer au public la fin de la pièce avant même que celle-ci ne commence. Ici, c’est Louis, le personnage principal, qui dans un monologue tragique d’une seule et très longue phrase présente la crise personnelle qu’il traverse tout en faisant part de la raison de son retour auprès de sa famille : l’annonce de sa mort prochaine et irrémédiable. Problématique : Comment ce prologue, qui oscille entre modernité et tradition, fait-il du personnage de Louis un héros tragique ? Mouvements : Verset 1 à 17 : Louis annonce sa mort prochaine comme une fatalité Verset 18 à 27 : la décision de Louis de retourner voir sa famille Verset 28 à 36 : Louis, maître de son destin 1 LOUIS.

— Plus tard, l’année d’après La parole de Louis début par deux compléments circonstanciels de temps, « Plus tard, l’année d’après » : ces deux repères temporels semblent introduire un prologue traditionnel (= situer l’action dans une temporalité) mais nous pouvons remarquer que ces CCT sont particulièrement confus et ne permettent pas de situer la pièce dans une chronologie précise.

La pièce refuse d’inscrire l’action dans une temporalité réaliste. Remarque : dans le film Juste la fin du monde de Xavier Dolan, le premier plan est précédé de la mention « Quelque part, il y a quelque temps déjà ».

On retrouve bien l’idée d’une action impossible à situer (ni dans le temps, ni dans l’espace). – j’allais mourir à mon tour – Le verset suivant est visuellement marqué par la présence de deux tirets, marquant une rupture.

L’information importante, c’est-à-dire la mort du protagoniste, figure donc dans une parenthèse, comme s’il s’agissait d’une information secondaire. L’utilisation de l’imparfait « allais » permet d’envisager le futur à partir d’un repère passé, entraînant encore un brouillage au niveau des temporalités. j’ai près de trente-quatre ans Avec « j’ai près de trente-quatre ans », Louis nous donne une information sur son âge (revenant ainsi à la fonction maintenant et c’est à cet âge que je traditionnelle du prologue et/ou de la scène d’exposition).

Le protagoniste nous livre donc une information mourrai, nécessaire à la compréhension de la pièce (adresse au spectateur / fonction de la double énonciation). Le présent d’énonciation « ai », le complément circonstanciel de temps « maintenant » et le verbe mourir conjugué au futur (« mourrai ») permettent d’inscrire l’action à partir d’un repère présent, et donnent la mort comme un événement non advenu.

L’utilisation du futur indique ici une certitude, mettant en avant la notion de fatalité. l’année d’après, Le complément circonstanciel de temps « l’année d’après » est répété : Louis revient donc au point de départ de sa prise de parole. Ce CCT va constituer un leitmotiv (= Idée, formule qui revient de façon constante – dans une œuvre littéraire, un discours de propagande ou de politique – avec une valeur symbolique et pour exprimer une préoccupation dominante) dans l’ensemble du monologue, dans la mesure où il sera répété de manière régulière (5 fois).

Cela montre une prise de parole difficile. 2 de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire, à tricher, à ne plus savoir, de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini, L’épanalepse (= un segment complet de la phrase est repris au verset suivant) « de nombreux mois » et la tournure elliptique (il manque « cela faisait »), qui mettent l’accent sur une nouvelle donnée temporelle, montrent une fois encore la difficulté à s’exprimer. La répétition de l’imparfait « j’attendais » exprime une attente (l’imparfait permet d’inscrire l’action dans la durée). Louis propose une rétrospective de sa propre existence en revenant sur des événements passés.

Les « nombreux mois » ne permettent pas de définir une temporalité précise. L’euphémisme « d’en avoir fini » montre cette attente de la mort et rejoint le titre de la pièce (la « fin » du monde est en fait la fin de son monde, le monde de Louis). L’emploi absolu du verbe « savoir » (puisqu’il n’a pas de complément d’objet) est renforcé par la négation « ne rien faire », qui traduisent tous deux la perte de repères du protagoniste.

Avec « à tricher » Louis affirme par ailleurs qu’il joue un rôle, il est donc conscient de jouer la comédie (dimension métatextuelle, qui permet un retour critique sur son propre rôle en tant que comédien). l’année d’après, Retour du leitmotiv « l’année d’après » (prise de parole difficile, retour au point de départ). comme on ose bouger parfois, à peine, devant un danger extrême, imperceptiblement, sans vouloir faire de bruit ou commettre un geste trop violent qui réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt, Les compléments circonstanciels de manière « à peine », « imperceptiblement », « sans vouloir » qui suggèrent la circonspection, (une attitude prudente, de retenue), le verbe oser et le conditionnel présent « détruirait » et « réveillerait » montrent encore la précaution dans le langage. Le texte se teinte ici d’une légère couleur épique à travers la métaphore filée de la chasse, du combat : Louis adopte ici les gestes que ferait un soldat qui se déplacerait en face de la ligne ennemie – devant « un danger extrême » – en temps de guerre. L’ « ennemi » est ici la mort (remarque : ce thème de l’attente et la mention de « l’ennemi » rappellent la poésie baudelairienne, et la notion de temps qui passe, nous rapprochant toujours plus de la mort). Le pronom personnel « vous » présent ici permet d’impliquer le destinataire : la situation d’énonciation implique certes Louis, puisqu’il extériorise ses pensées, mais aussi les spectateurs (ou lecteurs). l’année d’après, Retour du leitmotiv « l’année d’après » (prise de parole difficile, retour au point de départ). 3 malgré tout, la peur, prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre, malgré tout, Répétition de « malgré tout » qui marque encore la difficulté à s’exprimer. l’année d’après, Dernière apparition du leitmotiv « l’année d’après », qui clôt notre premier mouvement (prise de parole difficile, retour au point de départ). « la peur » évoque ici un sentiment lié au fait de se déplacer face à la mort imminente (« l’ennemi »).

Cela est accentué par la négation « sans espoir jamais » (la négation est double ici : préposition « sans » - évoquant la privation – renforcée par l’adverbe de négation « jamais ») qui marque cette absence d’espoir face à la mort, donnant au personnage une dimension tragique (fatalité du personnage tragique qui est destiné à mourir). je décidai de retourner les voir, revenir Après l’attente, on retrouve dans ce deuxième mouvement une prise de décision de la part de Louis.

L’utilisation du sur mes pas, aller sur mes traces et passé simple « je décidai » marque une rupture avec l’imparfait et le participe présent (« j’attendais », « prenant »…). faire le voyage, Ce verset met en place la thématique du retour de Louis dans sa famille : celle-ci est répétée de quatre façons différentes, avec quatre verbes de mouvement à l’infinitif (« retourner les voir, revenir sur mes pas, aller sur mes traces et faire le voyage »).

Le retour de Louis constitue l’un des sujets principaux de la pièce, sa mention inscrit donc le prologue dans la tradition. Le pronom personnel « les » n’a pas de référent clairement identifié dans cet extrait, mais nous pouvons aisément comprendre qu’il s’agit des membres de la famille de Louis. pour annoncer, lentement, avec soin, Le complément circonstanciel de but « pour annoncer » et les compléments circonstanciels de manière avec soin et précision « lentement », « avec soin », « avec soin et précision » permettent de préciser la façon dont Louis va annoncer sa mort à sa famille.

On retrouve ici la même précaution, les mêmes gestes circonspects qu’au verset 10. A noter que le complément d’objet direct du verbe « annoncer » n’arrivera qu’au verset 27 « ma mort… », montrant ainsi toute la difficulté à parler, et la difficulté à dire.... »

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