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ESTHETIQUE

Publié le 02/12/2021

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Source: http://www.peiresc.org/DINER/Lexique.pdf

 

Le concept d'esthétique intervient dans des situations variées, et concerne non seulement l'oeuvre d'art mais aussi les créations de la nature ou les comportements humains individuels et sociaux. Traditionnellement on fait commencer l'histoire de l'esthétique comme discipline autonome avec A. Baumgarten (1714-1762) et son ouvrage Aesthetica ( 1750-1758). Mais la notion de beauté ou de perfection a toujours existé, et rien n'empêche, même si l'esthétique n'était pas reconnue comme science, d'en reconstruire une histoire et d'en fournir un tableau pour les époques passées. A preuve des ouvrages fondamentaux comme ceux d'Edgard de Bruyne, Umberto Eco ou Alexei Losev . Mais pour dégager les éléments d'une telle entreprise on doit s'appuyer sur une conception même de l'esthétique constituée seulement à l'époque contemporaine, et adopter une définition précise de ce que l'on considère comme l'esthétique. L'esthétique n'est pas seulement l'étude de la beauté. Pas plus que l'étude philosophique de la beauté et du goût. Nous considérerons l'esthétique comme la science générale de l'expression et de l'expressivité, dans son lien avec le déclenchement d'une émotion ou d'un sentiment. Suivant en cela l'attitude de A.F. Losev dans sa monumentale « Histoire de l'esthétique antique ». Au risque de voir l'esthétique flirter avec la « Sémiotique visuelle » ou la Sémiotique en général. Mais pourquoi pas ? L'esthétique comme doctrine de l'expressivité, occupe par rapport à la sémiotique, doctrine de l'expression (du sens), la même position que les principes optimaux de la mécanique ou le contrôle optimal par rapport à la mécanique. C'est le rôle central de l'optimalité qui distingue le domaine esthétique à l'intérieur de la sémiotique. Il ne faudra pas s'étonner alors de voir l'optimalité jouer un rôle décisif dans la formulation mathématique de critères esthétiques. Historiquement, la formulation de l'esthétique comme science de l'expression et de l'expressivité, s'impose lorsque l'on cherche à formuler une esthétique pour des oeuvres largement situées hors de notre cadre culturel habituel. Nous avons affaire à un terme dont l'usage s'est répandu à partir du moment où le lien qui associait l'art à la « représentation » a commencé à se relâcher. L'intérêt pour les « arts primitifs » n'a pas peu contribué à ce repli stratégique. On peut même se demander si ce n'est pas un mouvement idéologique de fond, lié à une certaine révolte contre la société industrielle ainsi qu'à un besoin de réévaluer les manifestations de cette société, qui est à l'origine des mutations esthétiques successives de l'art moderne depuis le Symbolisme jusqu'au Minimalisme. L'esthétique c'est l'expression ou l'expressivité. C'est la science de l'expression en général et pas seulement l'étude de la beauté. C'est l'étude de tous les types possibles de l'expression de l'intérieur par l'extérieur, la science générale de l'expressivité. L'esthétique ne s'intéresse pas à n'importe quelle expressivité, mais à celle qui s'impose à notre regard, nous fait s'immerger en elle, nous libère de toute autre représentation et déclenche un sentiment, nous la faisant considérer comme un sujet en soi. L'expression esthétique est le sujet d'une expression indépendante, d'un attachement désintéressé. Cette indépendance et ce désintéressement du sentiment esthétique ne contrarie en rien l'aspect utilitaire ou fonctionnel des objets et bien au contraire le renforce. L'aspect esthétique désintéressé est toujours le résultat et la concentration de relations socio-historiques, en particulier socio-politiques et économiques. Tout objet en général se présente à nous essentiellement comme un condensat de relations sociales, ce qui ne l'empêche pas d'exister et de se développer objectivement indépendamment de la conscience humaine et des conditions sociales. Adoptant une démarche marxiste, qui se complait dans le constructivisme social, Losev va au fil des pages de son ouvrage considérer l'esthétique antique comme la doctrine des formes expressives d'une totalité cosmique unique. L'expressivité de ces formes constitue l'esthétique antique. Il faut évoquer la question centrale de l'ontologie de l'oeuvre d'art et de l'objectivité des qualités esthétiques. Qu'est ce qu'une oeuvre d'art dont on pourra chercher à évaluer la nature esthétique ? Est ce la question esthétique qui définit l'oeuvre d'art ? Le sentiment esthétique est il la conséquence d'une réalité physique objective ou une pure construction mentale ? Ou peut être ni l'un ni l'autre ? Ce dernier débat était déjà ouvert au XVIII ème siècle entre les philosophes anglais de l'art (philosophes empiristes comme Shaftesbury, Hutcheson, Hume, Burke) et l'esthétique rationaliste continentale (Leibniz, Wolff, Baumgarten). Pour Leibniz la beauté représente l'unité dans la variété. C'est à dire qu'il y a beauté chaque fois que le jugement saisit un rapport harmonieux entre des objets. Pour Baumgarten, qui développe en cela des idées de Leibniz et de Wolff, la beauté est une perception de la perfection objective considérée comme la concordance du multiple en une chose, et de ce fait le mode le plus élevé de notre connaissance sensible. Les empiristes affirmaient que la beauté et le plaisir esthétique résident dans l'activité du sentiment et de l'émotion et n'ont aucun caractère cognitif. Baumgarten, suivant en cela Leibniz, prétendait que la perception n'est qu'une connaissance confuse, par le biais des images sensibles. Si bien que quoique la beauté soit révélée par nos sens, cela ne démontre pas qu'elle ne soit pas d'origine cognitive. La beauté à plus affaire avec l'idée rationnelle d'harmonie qu'avec la physiologie des sensations. Kant lui même sera d'abord proche des rationalistes (de 1755 à 1763), puis subira l'influence croissantes des philosophes anglais, pour finir par élaborer sa propre doctrine du rapport entre le sensible et l'intelligible dans la « Critique de la faculté de juger » (1790). En fait Kant applique à la beauté la même démarche transcendantale qu'à l'espace et au temps. La beauté est une forme à priori de la perception sensible, précédant toute connaissance expérimentale. Kant pensait dépasser là aussi l'opposition générale entre rationalistes et empiristes. Une opposition qui se perpétue dans la philosophie des sciences contemporaine et dans le débat esthétique aujourd'hui, le développement des sciences cognitives apportant de nouveaux éléments au dossier. Dans une analyse détaillée de la problématique de l'ontologie de l'oeuvre d'art, Roger Pouivet, finit par accepter qu'une oeuvre d'art est un artefact dont le fonctionnement esthétique détermine la nature spécifique. Ce qui lui permet de rejeter à la fois la conception platoniste de l'oeuvre d'art, comme n'existant pas concrètement mais uniquement déterminée par une essence, et la conception nominaliste qui nie toute nature propre à cette même oeuvre. Pour pouvoir espérer formaliser l'esthétique il faut en fait se placer dans un cadre de pensée permettant de formuler le problème. Tout comme pour la linguistique ou la théorie de la couleur on peut chercher à s'insérer dans un cadre cybernétique pour utiliser les outils puissants de la théorie de l'information. De fait la formalisation de l'esthétique relève d'une modélisation cybernétique de la perception et de la connaissance où l'on distingue un système cérébral (plus ou moins à l'état de boîte noire), des informations entrantes liées en général au monde matériel et des informations émergentes au niveau de la conscience. Lorsque ces informations sortantes possèderont des qualités esthétiques on pourra être tenté de dire que les informations entrantes appartiennent à un objet d'art. Mais il faut alors distinguer entre les attributs et les propriétés de l'objet. Une distinction a laquelle nous a habitué la physique, la physique quantique en particulier. L'attribut est une caractérisation ontologique de l'objet. Il appartient à l'objet en propre. Contrairement à ce que semblerait suggérer l'étymologie, la propriété est une caractéristique phénoménale qui ne se manifeste qu'en présence d'un autre objet (un observateur ou un instrument de mesure). De ce point de vue la physique classique munit en général les objets d'attributs, alors que la physique quantique formalise plutôt des propriétés. Le problème de la couleur montre clairement que celle ci est une propriété des objets qu'il n'est pas aisé de rattacher à des attributs, car la perception de la lumière et de la couleur est un phénomène psycho-physiologique complexe. Les signaux objectifs qui entrent dans le cerveau via l'oeil (composition spectrale......) émergent comme des couleurs au niveau de la conscience. Les propriétés esthétiques posent le même problème. On dit à tort qu'un objet est rouge. Rouge n'est pas un attribut mais une propriété. On dit à tort qu'un objet est beau ou est une oeuvre d'art. Beau n'est pas un attribut mais une propriété. A la différence de la lune qui existe lorsque l'on ne la regarde pas, l'oeuvre d'art n'existe que lorsque l'on la regarde, même si un tableau continue d'exister matériellement lorsque le Musée du Louvre est fermé. Les propriétés esthétiques relèvent avant tout du sens commun, c.à.d. constituent une esthétique naturelle ou naïve. Les développements récents de la psychologie (théorie de la Gestalt, psychologie cognitive) et de l'intelligence artificielle (robotique) ont focalisé l'intérêt sur l'étude de la structure du sens commun, c'est à dire du comportement naturel en l'absence de tout appareil théorique. W. Köhler un des fondateurs de la psychologie de la Gestalt déclarait qu'il n'y a qu'un seul point de départ pour la psychologie, tout comme pour les autres sciences : le monde tel que nous le trouvons, de façon naïve et non critique. Cet intérêt pour la perception pure envahit toute la philosophie au XX ème siècle, de Mach et de la Gestalt à la phénoménologie (Husserl, Heiddeger, Merleau-Ponty ). C'est dans ce cadre qu'il faut considérer les propriétés esthétiques. Tout en comprenant bien que c'est là que se trouvent les éléments de toute esthétique formelle, qui se trouvent dans la réalité historique porteurs d'habits de circonstance idéologiques ou philosophiques. Quelle que soit la culture envisagée, n'est pas esthétique n'importe quoi. Il y a sous le vernis historique des grands invariants de l'esthétique . C'est précisément à les mettre en relief que s'attelle toute tentative de formulation mathématique de l'esthétique. La satisfaction esthétique et le sentiment de plaisir à la vision d'une oeuvre recouvrent des expériences diverses qui fusionnent plus ou moins pour sous tendre l'exclamation : « C'est beau ». Cependant la propriété esthétique la plus naturelle est attachée à un sentiment d'intelligibilité explicite ou diffuse. La confusion ou l'incompréhension ne sont pas naturellement la cause d'un plaisir esthétique normal. Ce sont essentiellement différentes conceptions de l'intelligibilité qui sont à l'origine des différentes catégories conceptuelles de l'esthétique. Depuis les Grecs l'intelligibilité est associée à l'ordre et à la symétrie. L'ordre et la symétrie s'incarnent dans le nombre et les proportions, et transcendent la réalité terrestre en manifestant une oeuvre divine. Intelligibilité, esthétique, transcendance et mystique font bon ménage. C'est le cas chez les pythagoriciens, c'est évident chez Platon (Timée). Plotin et le néo-platonisme relayent ce sentiment vers la culture chrétienne occidentale. Le néo-platonisme par ailleurs contribue fortement à assimiler intelligibilité et unité. Tout procède de l'Un, y compris la beauté. L'Un et la Beauté sont synonymes et traduisent l'harmonie divine. Toute beauté peut être considérée comme une théophanie, manifestation divine dans un phénomènes naturel. Au Moyen Age, la beauté réside dans la manifestation de l'intelligibilité du divin. U. Eco écrit : « Le goût médiéval n'avait affaire ni avec l'autonomie de l'art, ni avec l'autonomie de la nature. Il impliquait plutôt une appréhension de toutes les relations, imaginaires et supranaturelles, établies entre l'objet contemplé et un cosmos ouvert sur le transcendant. Il signifiait le discernement dans l'objet concret de la réflexion ontologique et de la participation de l'être et du pouvoir de Dieu ». Le fameux quadrivium médiéval : arithmétique, musique, géométrie et astronomie, assemble quatre disciplines qui sont censées produire une ascension de l'âme. Ascension recherchée avant tout par la musique, qui selon Boethius participe à l'unification de l'univers. La musique permet à l'âme de participer au divin et l'âme s'adapte aux proportions de l'univers par l'exercice de la mimesis, qui est l'intelligibilité des choses de ce monde par leur conformité aux choses divines. Tout comme chez Platon la beauté est l'intelligence du reflet de la forme dans l'objet de ce monde. Les mathématiques sont pour lui un intermédiaire dans l'ascension vers les Formes. Aux Temps Modernes l'intelligibilité prend le visage de la rationalité, sous l'influence du développement des sciences. Rationalité qu'incarnent à nouveau les mathématiques. Une rationalité à l'oeuvre depuis longtemps dans la théorie de la musique, une rationalité source de l'harmonie. La musique baroque manifeste au plus haut point cette esthétique de la rationalité. Une rationalité des passions formulée par Descartes et incarnée par J.S. Bach. Une esthétique à la mesure de l'ordre dans le monde révélé par Galilée et Newton. Une esthétique de l'ordre confortée par la montée en puissance des monarchies européennes. Tous les penseurs et mathématiciens de Descartes à Leibniz, de Gassendi à Euler voient dans la musique l'expression d'une esthétique rationnelle architecturée par les mathématiques. Le rationalisme est à l'oeuvre dans la musique baroque à travers la doctrine des affections, selon laquelle les émotions humaines sont intelligibles par catégorisation en stéréotypes clairs et distincts, comme la joie, la colère, l'amour, la haine....Ces émotions sont traduisibles en motifs musicaux, que le compositeur combine pour traduire ses sentiments. La nature statique et schématique de ce système et le fait que c'était là un produit typique de l'environnement rationnel du XVII ème siècle est justement remarqué par Bukofzer, historien de la musique baroque. Il écrit : « les moyens de la représentation verbale dans la musique baroque n'étaient pas directs, psychologiques ou émotionnels, mais indirects, c'est à dire intellectuels et imagés. ». La composition musicale était un processus intellectuel plutôt qu'une expression intuitive de l'émotion. L'attention était dirigée vers la manipulation de règles et de mots, et par la traduction rationnelle d'idées extra musicales par la notation musicale. Jacop Opper ajoute : « La doctrine des affections constitue la rhétorique musicale du baroque. C'est un vocabulaire systématique qui a son origine d'une part dans l'ancien art oratoire et dans ses figures linguistiques, et d'autre part dans la psychologie mécaniste du 17 éme siècle. » . Une telle rigueur du système des formes s'exprime aussi dans la tragédie classique, genre littéraire pilote de l'âge baroque. « La juste cadence imposait au discours la double symétrie de la césure et de la rime, et le regard du roi placé au point de perspective ordonnait tout le spectacle en suivant l'axe central du théâtre » Michel Baridon. Les deux grands tournants du siècle des lumières. . L'esthétique des raisons est donc une esthétique de l'intelligibilité mécaniste. En écrivant le célèbre article « Beau » de l'Encyclopédie en 1753 Diderot ne se démarque pas de ce rationalisme baroque, tout en tentant de le justifier comme une donnée naturelle. « Voilà donc nos besoins et l'exercice le plus immédiat de nos facultés, qui conspirent aussitôt que nous naissons à nous donner des idées d'ordre, d'arrangement, de symétrie, de mécanisme, de proportion, d'unité.... » Et pourtant l'Esprit du Siècle a déjà changé. Au mécanisme strict succède une conception plastique des phénomènes de la nature et de la pensée. C'est que la mécanique n'est plus la science dominante (avec l'astronomie) et que les sciences de la vie s'avancent sur le devant de la scène. La mécanique elle même se transforme ; la formulation au XVIII ème siècle de principes variationnels (Maupertuis) met l'optimalité au coeur de la mécanique au dépens de l'ordre rigoureux des équations du mouvement. Au principe de simplicité incarné par l'ordre ou la symétrie, succèdent des conceptions faisant part à l'optimalité ou à la perfection. A l'affirmation d'une rigueur succède la mise en place d'une dialectique, d'un compromis. Locke, Buffon, Linné, Boyle, Lavoisier sont les figures marquantes de ce siècle de l'histoire naturelle, de la botanique, de la physiologie et de la chimie. A la rigueur des formes l'esthétique de ce siècle sensible substitue l'intelligibilité du foisonnement et de la richesse des formes, ce qui s'exprime naturellement par un compromis entre variété et mise en ordre. Francis Hutcheson, célèbre philosophe de l'esthétique, formule en 1725 une telle dialectique des tendances contraires. « Les figures qui suscitent en nous les idées de beauté semblent être celles où l'on trouve une uniformité au sein de la variété. Ce que nous appelon beau dans les objets, pour s'exprimer dans un style mathématique, semble résider dans un rapport composé d'uniformité et de variété. » Leibniz, qui en matière d'esthétique s'en tenait à la réalisation de l'unité par l'accord des proportions entre composants, avait pourtant formulé des idées sur l'optimalité sans les appliquer à l'esthétique. Leibniz est au tournant d'une révolution conceptuelle considérable qui va mener jusqu'à la formalisation mathématique de l'esthétique. A l'ordre Leibniz substitue l'intelligibilité par la simplicité. « Pour ce qui est de la simplicité des voyes de Dieu, elle a lieu proprement à l'égard des moyens, comme au contraire la variété, richesse ou abondance y a lieu à l'égard des fins ou effects. Et l'un doit estre en balance avec l'autre, comme les frais destinés pour un bastiment avec la grandeur et la beauté qu'on y demande. Il est vrai que rien ne couste à Dieu, bien moins qu'à un Philosophe qui fait des hypothèses pour la fabrique de son monde imaginaire, puisque Dieu n'a que des décrets à faire, pour faire naistre un monde réel ; mais en matière de sagesse les decrets ou hypothèses tiennent lieu de dépense à mesure qu'elles sont plus indépendantes les unes des autres : car la raison veut qu'on évite la multiplicité dans les hypothèses et principes, à peu près comme le système le plus simple est toujours préféré en Astronomie. » Leibniz en fin connaisseur de la philosophie scholastique se fait là l'écho de Guillaume d'Ockham, qui avec son fameux « rasoir » disait qu'il ne fallait pas faire d'hypothèses complexes là où l'on pouvait en faire de simples. Mais la grande originalité de Leibniz est de mettre en balance dialectique la simplicité des moyens avec la richesse des fins. La simplicité des moyens rentre pour ainsi dire dans le calcul de l'optimum. « ....non seulement rien n'arrive dans le monde, qui soit absolument irregulier, mais on ne sçaurait memes rien feindre de tel. Car supposons par exemple que quelcun fasse quantité de points sur le papier à tout hazard, comme font ceux qui exercent l'art ridicule de la Géomancie, je dis qu'il est possible de trouver une ligne géométrique dont la motion soit constante et uniforme suivant une certaine règle, en sorte que cette ligne passe par tous ces points, et dans le même ordre que la main les avoit marqués. Et si quelcun traçoit tout d'une suite une ligne qui seroit tantost droite, tantost cercle, tantost d'une autre nature, il est possible de trouver une notion ou regle ou equation commune à tous les points de cette ligne en vertu de la quelle ces mêmes changements doivent arriver. Et il n y a par exemple point de visage dont le contour ne fasse partie d'une ligne Geometrique et ne puisse estre tracé tout d'un trait par un certain mouvement reglé. Mais quand une regle est fort composée, ce qui luy est conforme passe pour irrégulier. Ainsi on peut dire que de quelque maniere que Dieu auroit créé le monde, il auroit tousjours esté régulier et dans un certain ordre general. Mais Dieu a choisi celuy qui est le plus parfait, c'est à dire celuy qui est en même temps le plus simple en hypotheses et le plus riche en phenomenes, comme pourroit estre une ligne de geometrie dont la construction seroit aisée et les proprietes et effects seroient fort admirables et d'une grande étendue. » Si c'est là le meilleur des mondes possibles s'étonne Candide, alors à quoi ressemblent les autres. L'horreur n'est elle déjà pas à son comble ! Voltaire n'a pas peu contribué à rendre célèbres les thèses de Leibniz tout en les travestissant. Car l'essentiel n'est pas dans une optimalité absolue mais dans l'optimalité qui s'exprime par la dialectique variété/simplicité. Il semble que la trop grande richesse de la réflexion philosophique de Leibniz ait empêché les commentateurs de donner à ce texte l'importance qu'il mérite, à la lumière en particulier des théories actuelles de la complexité et de la calculabilité, qui ouvrent la voie à une esthétique mathématique.

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