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Du poème en vers au poème en prose XIX-XX e

Publié le 16/04/2024

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« Du poème en vers au poème en prose XIX-XX e Introduction Vers vient du latin versus, de vertere : retour à la ligne.

Il s’oppose à la prose, « ce qui va droit ». Le vers apparaît comme un moyen de sophistication de la langue, propre aux genres de la performance (théâtre, poème) nécessitant une mémorisation. Le vers ne peut alors de contenter d’être « retour à la ligne » ; d’autres règles se surimposent : - Pour qu’un retour à la ligne soit un vers, il faut qu’il soit placé dans un ensemble de vers. Il contient un nombre déterminé de syllabes et rime avec un second vers. Les vers français contiennent de 1 à 14 syllabes mais dès le XVIe siècle, les vers les plus fréquents sont peu nombreux : l’heptasyllabe (7 syllabes), l’octosyllabe (8 syllabes), le décasyllabe (10 syllabes) et l’alexandrin (12 syllabes). Pour les vers longs, de plus de 8 syllabes, que l’oreille ne peut saisir d’emblée, les poètes ménagent une coupe (césure) à moitié de vers (hémistiche) : 4/6 pour le décasyllabe ; 6/6 pour l’alexandrin. Dans la littérature en vers classiques, la syntaxe correspond à la métrique ; les accents de fin de mots correspondent aux accents métriques selon le schéma : Xxxx’ / xxxxxx’ Xxxxxx ‘ / xxxxxx ‘ Au XIXe siècles, les Romantiques introduisent des dissonances.

La tension entre le mètre et la syntaxe a permis de libérer le vers et deux nouvelles dormes se sont imposées : le poème en prose et le vers libre. I- Le retour à la ligne en danger aux alentours de 1830 Victor Hugo a d’abord cherché à affaiblir le mètre ; les expériences poétiques menées à sa suite ont conduit à l’avènement du poème en prose que Baudelaire a conceptualisé. 1) Une redéfinition du retour à la ligne Dans « La querelle des Anciens et des Modernes », les poètes réévaluent le plus long et le plus prestigieux vers français : l’alexandrin. Dans le premier livre des Contemplations, automne 1854, Hugo revient sur son passé de poète et s’applique à montrer l’unité de son œuvre littéraire et de son action poétique. « Réponse à un acte d’accusation » constitue un art poétique vindicatif contre la structure trop rigide du vers et de sa représentation : « J’ai foulé le bon goût et l’ancien vers français ». Hugo revendique : Avoir un peu touché les questions obscures Avoir sondé les maux, avoir cherché les cures, De la vieille ânerie insulté les vieux bâts, Secoué le passé du haut jusques en bas, Et saccagé le fond tout autant que la forme, Nous pouvons nous interroger sur cette mise à sac de forme, alors que ces vers de Hugo paraissent parfaitement réguliers : majuscules, vers de douze syllabes césurés à l’hémistiche, les rimes au moins suffisantes. La revendication première d’Hugo est certes d’ordre lexical « j’ai mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire », « je nommais le cochon par son nom ; pourquoi pas ? » Hugo pose aussi la question de la syntaxe : « guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe ! » ; c’est-à-dire du rapport entre le mètre 6/6 et la syntaxe, le mouvement de la phrase.

Or la correspondance entre le vers et la syntaxe assurait la fluidité du vers dans l’esthétique classique, que ce soit dans celle de Racine ou de Corneille. Hugo écrit alors dans une lecture qui libère la syntaxe : « J’ai dit aux mots : Soyez république ! Soyez la fourmilière immense, et travaillez ! Croyez, Aimez, Vivez ! J’ai mis tout en branle, et morose, j’ai jeté le vers noble aux chiens noirs de la prose ». Dans ces quelques vers, on retient la force de la dernière image qui compare la prose à des chiens alors que le vers se parait de noblesse. Le discours d’Hugo cherche à « populariser », « démocratiser » le vers et donc le rapprocher de la fluidité de la prose. Si la plupart des alexandrins de ce long poème sont réguliers, ceux-ci ne le sont pas et le choix d’une « syntaxe affranchie de la métrique » crée des effets de rupture visuels et sémantiques caractéristiques.

Les accents sont ainsi redistribués et renouvellent l’énergie du vers. Les poètes de la génération suivante vont s’engouffrer dans la brèche du vers : c’est le cas de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud qui vont moderniser le vers. 2) L’abolition du retour à la ligne Le poème en prose apparait dans les années 1820-1840. En effet, le poème en prose est héritier d’une nouvelle forme d’expression du XVIIIe siècle, la prose poétique.

Avec Les Aventures de Télémaque (1699), Fénelon avait montré que le roman pouvait avoir des visées poétiques.

De nombreuses traductions furent composées en prose, avant d’être transposées en vers et elles eurent beaucoup d’influence sur Chateaubriand, Mérimée ou Eugène Hugo. Aussi se dessinent à la fin du XVIII siècle, trois types de prose : - - La prose oratoire ou « nombreuse », héritée du XVIIe siècle, qui prétend devenir poétique en s’enrichissant d’épithètes, de périphrases ou de tournures harmonieuses La prose concise et ironique de Voltaire et Montesquieu, Et une troisième voie, ouverte par Diderot et Rousseau, considérée comme « le langage de la passion », c’est une sorte d’intermédiaire entre les deux autres proses. Le poème en prose va naître sur ce terreau de prose poétique, et va prendre des formes très différentes. Ainsi, les poèmes en prose de Maurice Guérin restent-ils très proches de la prose oratoire nombreuse.

La prose y est vraiment le lieu d’une expression personnelle et on relève peu de vers blancs, ou peu de répétitions de « cadences métriques ».

Néanmoins, ceux qui sont présents sont fortement chargées poétiquement : « mes pieds, voyez, ô Mélampe ! comme ils sont usés ! ». Ce qui fera écrire à Barbey d’Aurevilly : « C’est sa prose qui est sa poésie achevée.

Sa prose, voilà son marbre travaillé, fouillé, éthéré, diaphane, rougissant, comme les nuées dont il a la légèreté dans les airs où il se dresse mais ses vers … ce n’est qu’une glaise indécise, qui commence à vivre sous l’impression qu’elle a gardée d’un pouce divin ! ». Différemment, Aloysius Bertrand va chercher une forme originale et sa prose cherche un espace poétique.

Ainsi les éditions de Gaspard de la nuit s’accompagnent-elles d’« instructions à M.

le metteur en page » : « Blanchir le texte comme si le texte était de la poésie », et un peu plus loin « M. le metteur en page remarquera que chaque pièce est divisée en quatre, cinq, six et même sept alinéas ou couplets comme si c’étaient des strophes en vers ». Ces pièces sont nettement circonscrites par leur titre, par leur épigraphe, par des sauts de lignes, des séparations marquées typographiquement. Aloysius Bertrand invente en 1829 le moule de son poème en prose : il impose une forme fixe, la ballade, et abuse des symétries, répétitions et autres procédés formels. 3) A la limite du poème : un point de non-retour ? Dans le cadre de cette réflexion sur le retour, l’œuvre de Baudelaire est intéressante à deux titres.

D’abord parce qu’il pratique le retour à la ligne dans les vers de Les Fleurs du Mal, dans laquelle il poursuit le travail de Victor Hugo, dont il était un grand admirateur.

Mais sa réflexion sur le poème, le poétique, à une époque de révolution intellectuelle due à l’émergence de la presse de masse, le conduit à écrire un « pendant aux Fleurs Du Mal », prolongement du titre Le Spleen de Paris, Petits poèmes en prose. Dans Les Fleurs du Mal, on peut relever la grande proportion de sonnets, et le souhait affiché de Baudelaire de renouer avec le modèle de la Pléiade, alors que la mode en reste frileuse.

Mais Benoit de Cornulier souligne « qu’en leur temps, les mètres de Fleurs du Mal ont peut-être surtout étonné par les discordances que l’auteur osait produire à la césure en s’appuyant sur la métrique encore incontournable du vers composé ». Voir à ce propos Benoit de Cornulier, La versification des Fleurs du Mal. Il existe deux types d’accent : l’accent métrique qui correspond à un schéma qui se réplique et l’accent prosodique. Les discordances proviennent donc d’une accentuation sur les prépositions ou des déterminants qui intensifient l’horreur de la scène mais qui apparaissent fortement provocatrices dans le style lyrique de ce sonnet.

Le lecteur contemporain, habitué à ce type de vers n’a plus de lecture métrique.

Sa lecture suit la syntaxe mais l’inscription de ces retours typographiques nous rappellent l’évolution du mètre, du vers et de sa lecture parce qu’il inscrit une représentation de ce qu’ils ont été à une époque.

Ensuite, Baudelaire, soucieux de se faire le chantre de la vie moderne, invente la formule d’un nouveau genre, le poème en prose.

Cette dénomination oxymorique apparait dans le titre de son recueil.

Mais il revendique aussi la filiation de Gaspard de la Nuit.

Henri.... »

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