dom juan
Publié le 18/05/2020
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«
DOM JUAN Acte3 scène1
Comment les maladresses du valet mettentelles en
valeur les id
ées du ma ître ?
SGANARELLE.
- Je veux savoir un peu vos pensées à fond.
Est-il possible que vous ne croyiez point du tout au Ciel ?
DOM JUAN.
- Laissons cela.
SGANARELLE.
- C'est-à-dire que non.
Et à l'Enfer ?
DOM JUAN.
- Eh!
SGANARELLE.
- Tout de même.
Et au diable, s'il vous plaît ?
DOM JUAN.
- Oui, Oui.
SGANARELLE.
- Aussi peu.
Ne croyez-vous point l'autre vie ?
DOM JUAN.
- Ah! ah! ah!
SGANARELLE.
- Voilà un homme que j'aurai bien de la peine à convertir.
Et dites-moi un peu, le Moine bourru, qu'en croyez-vous, eh!
DOM JUAN.
- La peste soit du fat!
SGANARELLE.
- Et voilà ce que je ne puis souffrir, car il n'y a rien de plus vrai que le Moine bourru, et je me ferais pendre pour celui-là.
Mais encore
faut-il croire quelque chose dans le monde : qu'est-ce donc que vous croyez ?
DOM JUAN.
- Ce que je crois ?
SGANARELLE.
- Oui.
DOM JUAN.
- Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit.
SGANARELLE.
- La belle croyance et les beaux articles de foi que voilà! Votre religion, à ce que je vois, est donc l'arithmétique ? Il faut avouer qu'il se
met d'étranges folies dans la tête des hommes, et que pour avoir bien étudié on est bien moins sage le plus souvent.
Pour moi, Monsieur, je n'ai point
étudié comme vous, Dieu merci, et personne ne saurait se vanter de m'avoir jamais rien appris; mais avec mon petit sens, mon petit jugement, je vois les
choses mieux que tous les livres, et je comprends fort bien que ce monde que nous voyons n'est pas un champignon, qui soit venu tout seul en une nuit.
Je
voudrais bien vous demander qui a fait ces arbres-là, ces rochers, cette terre, et ce ciel que voilà là-haut, et si tout cela s'est bâti de lui-même.
Vous voilà
vous, par exemple, vous êtes là : est-ce que vous vous êtes fait tout seul, et n'a-t-il pas fallu que votre père ait engrossé votre mère pour vous faire?
Pouvez-vous voir toutes les inventions dont la machine de l'homme est composée sans admirer de quelle façon cela est agencé l'un dans l'autre : ces nerfs,
ces os, ces veines, ces artères, ces...
ce poumon, ce coeur, ce foie, et tous ces autres ingrédients qui sont là, et qui...
Oh! dame, interrompez-moi donc si
vous voulez : je ne saurais disputer si l'on ne m'interrompt; vous vous taisez exprès et me laissez parler par belle malice.
DOM JUAN.
- J'attends que ton raisonnement soit fini.
SGANARELLE.
- Mon raisonnement est qu'il y a quelque chose d'admirable dans l'homme, quoi que vous puissiez dire, que tous les savants ne sauraient
expliquer.
Cela n'est-il pas merveilleux que me voilà ici, et que j'aie quelque chose dans la tête qui pense cent choses différentes en un moment, et fait de
mon corps tout ce qu'elle veut ? Je veux frapper des mains, hausser le bras, lever les yeux au ciel, baisser la tête, remuer les pieds, aller à droit, à gauche,
en avant, en arrière, tourner...
Il se laisse tomber en tournant.
DOM JUAN.
- Bon! voilà ton raisonnement qui a le nez cassé.
Molière , Dom Juan , III/1, 1664
Situation: .
Fuite de Dom Juan; Sganarelle en habit de médecin : habit qui favorise la conversation, après le
thème de la médecine, le thème de la religion...les deux sont liés puisqu'il s'agit de croyance.
Introduction Enjeu du passage : opposer deux conceptions de la religion, à la foi naïve et populaire de
Sganarelle s'oppose l'athéisme ou plutôt l'impiété de Dom Juan.
C'est Sganarelle, le valet balourd et bavard
qui mène le débat, il aime étaler ses connaissances (cf.
début de la pièce).
Le registre comique est associé au
personnage alors que le thème de la religion est sérieux.
Le passage s'organise autour de la seule véritable
réplique du maître : "Je crois en deux et deux sont quatre..." la 1ère partie apparaît comme un
interrogatoire serré mais stérile, la deuxième, constitué par la tirade de Sganarelle, comme un plaidoyer
maladroit en faveur de la foi.
I l s'agit pour Sganarelle de convertir Dom Juan et pour Molière de mettre en
exergue la vision du monde de son personnage éponyme.
Nous verrons donc comment les maladresses du
valet valorisent les idées du maître.
Développement : Un dialogue impossible C'est Sganarelle qui est demandeur, il cherche une "dispute" (=une
controverse), il veut sonder les pensées de Dom Juan.
Donc il cherche une conversation approfondie mais il
n'obtiendra que des réponses plus ou moins monosyllabiques.
Si la 1ère réplique de Dom Juan ("Eh bien?")
peut laisser soupçonner son impatience ,sa curiosité devant la demande de son valet, les répliques suivantes,
lapidaires et moqueuses, ne laissent aucune équivoque.
Elles sont la marque du désintérêt et de l'ennui que
les notions de bien et de mal génèrent chez lui.
"le ciel...l'Enfer...le Diable...l'autre vie" toutes ces questions
d'ordre métaphysique l'indiffèrent.
Libertin et libéré de toute morale, Don Juan est ainsi affranchi de tout
sentiment de culpabilité, il n'attend ni récompense ni châtiment.
L'aparté de Sganarelle "voilà un homme que j'aurai bien de la peine à convertir." met l'accent sur le degré
d'impiété du personnage, il rappelle aussi l'ambition du valet qui pourtant n'est pas armé pour accomplir
cette mission.
En effet, il fait sombrer le débat dans le ridicule en mélangeant religion et superstition: la
référence au moine bourru souligne la perméabilité de Sganarelle à toute forme de croyance.
D’ailleurs, il
accorde plus de crédit «rien de plus vrai» à ce fantôme qu’à Dieu.
L’interjection «hé!» qui clôt la réplique
du valet montre l’autosatisfaction naïve qui teste le degré d’infidélité de son maître comme s’il l’avait pris.
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