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Cours 1 : Introduction à Phèdre

Publié le 06/03/2024

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« Cours 1 : Introduction à Phèdre I.

La tragédie au XVIIe siècle 1.

La représentation d'une action violente par la parole 1.1.

La représentation d'une action - - - La tragédie est un genre « noble » aux côtés de l'épopée, dont les grands principes et fonctions ont été définis par Aristote dans sa Poétique au IV siècle avant JC : « La tragédie est la représentation d'une action noble menée jusqu'à son terme [...] au moyen d'un langage relevé d'assaisonnements d'espèces variées [...] ; en représentant la pitié et la frayeur, la tragédie réalise une épuration (catharsis) de ce genre d'émotions.

» On retrouve la même définition dans le Dictionnaire de l'Académie (1694) : « La tragédie est une pièce de théâtre qui représente une action grande et sérieuse entre des personnages illustres, et propres à exciter les grandes passions, comme la terreur et la compassion, et qui finit d'ordinaire par quelque événement funeste.

» Enfin, Racine, dans la préface de Bérénice (1670) écrit ceci, qui pourrait également s'appliquer à Phèdre : « Attacher durant 5 actes les spectateurs par une action simple, soutenu de la violence des passions, de la beauté des sentiments et de l'élégance de l'expression.

» - Plusieurs critères se dégagent de ces définitions :  La tragédie représente la vie de personnes nobles, qui s'expriment dans un langage élevé ;  La tragédie est tout entier tournée vers l'action (à opposer à la narration ou à la poésie) ;  La tragédie vise à susciter la terreur et la pitié/compassion du spectateur, en représentant « la violence des passions » des personnages sur scène. - Dans Phèdre :  Les personnages sont d'ascendance noble car mythologique :  Thésée est le fils du roi Egée et de la reine Ethra (également fécondée par Poséidon, ce qui fait de Thésée un héros au sens propre, un demidieu).

Il est roi d'Athènes.  Phèdre est « [l]a fille de Minos et de Pasiphaé » (v.36) : son père est un juge des Enfers, et sa mère la fille du Soleil.

Elle est reine d'Athènes.  Hippolyte est « le fils de l'Amazone » Antiope (reine des Amazones) et de Thésée.

Il est Prince d'Athènes.  L'action représentée est celle de la passion interdite (et donc violente) de Phèdre pour Hippolyte qui la conduit vers la mort. 1.2.

Violente et passionnelle - Si le but de la tragédie est de susciter la terreur et la pitié chez le spectateur, il faut que l'action qu'elle représente soit à même de provoquer de telles émotions. 1 - - Pour Aristote, comme pour Racine et les théoriciens du théâtre, ce sont des situations de violences au sein d'une même famille qui sont les plus tragiques. Aristote, La Poétique, XIV : « Voyons donc parmi les événements lesquels sont effrayants [terreur] et lesquels sont pitoyables [pitié].

Les actions ainsi qualifiées doivent nécessairement être celles de personnes entre lesquelles existe une relation d’alliance, d’hostilité ou de neutralité.

S’il y a hostilité réciproque, ce que l’un fait ou veut faire à l’autre ne suscite aucune pitié ; pas davantage s’il y a neutralité ; mais le surgissement de violences au cœur des alliances – comme un meurtre ou un autre acte de ce genre accompli ou projeté par le frère contre le frère, par le fils contre le père, par la mère contre le fils, ou le fils contre la mère, voilà ce qu’il faut rechercher.

» Dans Phèdre :  Conflit entre le père (Thésée) et le fils (Hippolyte) : Hippolyte aime Aricie, mais cette dernière est soumise à la sanction que Thésée a donnée à sa famille (les Pallantides, fils de Pallas, neveux d'Egée, cousins de Thésée, qui sont en rivalité avec Thésée pour le trône d'Athènes).

« Mon père la réprouve ; et par des lois sévères / Il défend de donner des neveux à ses frères.

» (v.105-106).

Aricie est une captive de Thésée, qui veut exterminer la race des Pallantides pour éviter tout nouveau conflit de pouvoir.  Conflit entre l'oncle (Thésée) et la nièce (Aricie) : cf.

supra.  Conflit entre la belle-mère (Phèdre) et le fils (Hippolyte) : Phèdre aime Hippolyte qui ne l'aime pas.

Après l'annonce de la mort de Thésée, Phèdre veut épouser Hippolyte pour éviter qu'Aricie n'exerce ses prétentions au trône, mais Hippolyte refuse.  Conflit entre la belle-mère (Phèdre) et le père (Thésée) : Après le retour de Thésée, Phèdre est partagée entre avouer son amour coupable (et sa faute) à son mari, et mentir en accusant Hippolyte.

Le choix qu'elle fait entraîne la mort d'Hippolyte. 1.3.

Au moyen de la parole - Cependant, le terme « action » n'est pas à entendre dans son sens moderne : la tragédie n'est pas un « spectacle » dans lequel les acteurs vont se livrer à des performances physiques. - Toutes les actions (les choses qui se passent) résultent des paroles prononcées par les personnages.

Dans la tragédie, on dit ce que l'on a fait, ce que l'on est en train de faire, et ce que l'on compte faire. - Ainsi, dans la tragédie, la parole est action.  L'abbé d'Aubignac, le plus grand théoricien du théâtre de son temps, écrit ceci dans La Pratique du théâtre (1657) : « Aussi est-il vrai que les discours qui s'y font doivent être comme des actions de ceux qu'on y fait paraître ; car là parler, c'est agir [...].

En un mot, les discours ne sont au théâtre que les accessoires de l'action, quoique toute la tragédie, dans la représentation ne consiste qu'en discours.

»  Corneille dans son Discours (1660) dira la même chose : « Les actions sont l'âme de la tragédie, où l'on ne doit parler qu'en agissant et pour agir.

»  Il faut donc retenir que, lorsque les personnages prennent la parole, ce n'est jamais inutile : tout ce qui est dit a une importance pour faire avancer l'action de la pièce jusqu'à son terme.

C'est ce qu'on appelle la 2 fonction performative du langage : au théâtre, parler = agir/faire une action. - Dans Phèdre :  L'action tragique se déclenche à partir du moment où Phèdre avoue sa passion coupable à Oenone en I-3 ;  Celle-ci progresse lorsqu'elle l'avoue à Hippolyte en II-5 ;  Elle empire lorsqu'Oenone fait croire à Thésée que c'est Hippolyte qui ressent cette passion coupable, en IV-1 ;  Elle s'aggrave lorsqu'Hippolyte reste silencieux devant Thésée, et préfère lui avouer sa passion pure pour Aricie en IV-2 ;  Elle prend fin par l'aveu final de Phèdre à Thésée en V-7.  Comme le dit Roland Barthes, un critique littéraire, « Dire ou ne pas dire ? Telle est la question.

[...] L'enjeu tragique est ici beaucoup moins [...] l'amour de Phèdre que son aveu.

» (Sur Racine) 3 2.

Le personnage tragique : un héros « médiocre » - - Traditionnellement, le titre de la tragédie est le nom du héros de la pièce. Le personnage principal dans une tragédie est celui qui commet une faute contre l'ordre établi, et qui paie les conséquences de cette faute durant la pièce. Le héros est également celui qui suscite théoriquement l'identification du spectateur.

Cette identification doit permettre, comme on l'a vu, de déclencher les émotions tragiques (terreur et pitié). Or, pour ce faire, le héros de tragédie doit être un personnage « médiocre », c'est-à-dire ni tout à fait bon, ni tout à fait mauvais.  Aristote, La Poétique, XIII : « La tragédie doit représenter des faits qui éveillent la terreur et la pitié.

Il est donc évident qu'on ne doit pas voir des hommes justes passer du bonheur au malheur, car cela n'éveille pas la terreur ni la pitié, mais la répulsion ; ni des hommes méchants passer du malheur au bonheur.

[...] Il ne faut pas non plus qu'un homme foncièrement méchant tombe du bonheur dans le malheur [...] : car la pitié s'adresse à l'homme qui n'a pas mérité son malheur, et la terreur au malheur d'un semblable. Reste donc le cas intermédiaire.

C'est celui d'un homme qui, sans atteindre à l'excellence dans l'ordre de la vertu et de la justice, doit, non en raison de son vice et de sa méchanceté, mais en raison de quelque faute commise, tomber dans le malheur.

»  Racine, Préface d'Andromaque (1667) : « Aristote, bien éloigné de nous demander des héros parfaits, veut au contraire que les personnages tragiques, c'est-à-dire ceux dont le malheur fait la catastrophe de la tragédie, ne soient ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants.

Il ne veut pas qu'ils soient extrêmement bons, parce que la punition d'un homme de bien exciterait plus l'indignation que la pitié du spectateur ; ni qu'ils soient méchants avec excès, parce qu'on n'a point pitié d'un scélérat.

Il faut donc qu'ils aient une bonté médiocre, c'est-à-dire une vertu capable de faiblesse, et qu'ils tombent dans le malheur par quelque faute qui les fasse plaindre sans les faire détester.

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