Béatricevers 1265-vers 1290L'histoire est trop connue pour être vraie.
Publié le 22/05/2020
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«
Béatrice
vers 1265-vers 1290
L’histoire est trop connue pour être vraie.
Un petit garçon de neuf ans rencontre à Florence
une fillette de son âge.
Jeune homme, il la croise de nouveau, dans la rue ; elle sourit.
C'est
tout.
Elle en a épousé un autre ; bientôt, elle sera morte.
Lui l'aime depuis l'enfance,
l'aimera toujours.
Comme il est poète, très grand poète, le plus grand, le seul grand poète
selon ses dévots qui l'appellent l'Altissime, il fera de l'Aimée le centre, le soleil de son
œ uvre, la reine du Paradis où un jour, à force de mérites, il la retrouvera et où il la
retrouve déjà dans sa prodigieuse Comédie que sa gloire fit Divine .
Et d'abord, les réalistes chicanent sur ces amours enfantines.
Justement : le chiffre 9 n'est
pas sûr du tout : il date trop de ces faits contés par Dante dans cette Vita Nova , où il sait
être l'homme qui vécut un amour malheureux, le poète qui transfigure ses souvenirs et le
professeur de rhétorique expliquant les intentions et même le plan de chaque poème.
Tout
se passe à l'âge de neuf ans, ou neuf ans après, ou le neuvième jour, ou à la neuvième
heure du jour : ce 9 perpétuel est symbolique, dans le plan de la Trinité.
Béatrice, s'appela-t-elle même Béatrice ? Et fut-elle la fille, morte en 1290, de cet ami du
père de Dante, le riche Folco Portinari ? On le croit depuis que Boccace l'a dit.
D'ingénieux
critiques ont proposé d'autres jeunes Florentines, car il y en eut d'autres autour du jeune
poète, comme il y eut bien d'autres femmes que la sienne dans la vie ardente du grand
proscrit, qualifié — par Boccace encore, qui s'y connaissait — de “ luxurieux ”.
Que nous
importe l'identité, la réalité charnelle de cette “ …Glorieuse Dame de ma pensée, à laquelle
beaucoup de personnes, ne sachant comment la désigner, ont donné le nom de
Béatrice… ” ?
Elle l'est si peu, charnelle, dans ces œ uvres du poète où ne sont passés, de la femme qu'elle
fut, que son regard et son sourire ! Nous pouvons, sans regret, ignorer le nom et
l'apparence de celle que, vivante, Dante plaçait au-dessus des simples mortels, cette petite
bourgeoise mariée, riche et moqueuse, que l'adolescent pauvre, nourri de romans courtois,
révère, comme un pur chevalier sa Dame ; cette jeune morte qu'il élève, par le pouvoir de
son génie, bien au-dessus des Élus, bien au-dessus des Saints, au-dessus des Anges, tout
auprès de Dieu, médiatrice, à l'égal de la Vierge, pure comme elle, aussi puissante qu'elle,
son hypostase enfin.
Devant elle, Dante n'est plus le soupirant pâli des premiers poèmes, mais, pèlerin de
l'Enfer, du Purgatoire et du Paradis, le voici tremblant et faible ; petit, comme un enfant
devant sa mère (n'oublions pas qu'il avait perdu la sienne à cinq ans).
Et Béatrice le
rassure, ou le morigène durement ; surtout, elle l'instruit : elle n'est plus une femme : elle
est la Théologie.
Si Dante parle encore de son ineffable sourire, de ses yeux dont il ne peut
supporter l'éclat, c'est qu'elle est aussi la Beauté, la Beauté idéale de Platon, la Divine
Beauté.
Inspiratrice, celle que Dante nomme Béatrice, nostra beatitudo ? À peine, et infiniment
plus en même temps.
Ce qu'elle ne fut pas : le grand amour, même platonique, de sa vie.
Béatrice, par elle-même, n'existe pas ; sans être pour autant une créature du poète.
Mais.
»
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