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Baudelaire, Les Fleurs du Mal « Spleen IV » Commentaire linéaire

Publié le 16/04/2024

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« CONTENUDOCUMENTS Baudelaire, Les Fleurs du Mal « Spleen IV » Commentaire linéaire Introduction Baudelaire critique d’art est un grand admirateur de Delacroix, qui est pour lui le digne héritier d’un Rubens ou d’un Goya.

On retrouve dans la poésie de Baudelaire cet héritage pictural au goût baroque : allégorique, avec des clair-obscurs spectaculaires et mouvementés. Baudelaire est aussi un génial traducteur d’Edgar Allan Poe.

Et cela se ressent aussi dans ces images cauchemardesques, à la fois concrètes et fantastiques qui sont caractéristiques de l’écrivain américain. Toutes ces influences se retrouvent dans sa représentation du spleen : Baudelaire utilise ce mot anglais pour désigner une conscience de la mort qui confine au désespoir.

Il aurait pu reprendre le mot de vanité, ou celui de mélancolie.

En important ce mot dans la langue française, Baudelaire se pose à la fois en traducteur, en héritier, et en créateur. La première partie des Fleurs du Mal, « Spleen et Idéal » est plutôt une descente progressive de l’idéal vers le spleen.

À la fin de cette section, notre poème est le 4e « spleen ».

La cloche fêlée a sonné le glas de l’idéal, on s’achemine irrémédiablement vers le goût du néant et l’horloge finale... Problématique Comment Baudelaire raconte-t-il cette emprise implacable du Spleen, à travers un univers symbolique qui récupère et transforme un héritage culturel très riche ? Axes de lecture pour un commentaire composé : > Le Spleen radicalise la mélancolie de la plainte élégiaque et du sentiment de vanité. > Des images étranges et originales qui détournent des motifs traditionnels de l’Histoire des Arts. > Une représentation symbolique d’une émotion métaphysique et universelle. > La dimension narrative du récit d’une crise existentielle qui s’achemine toujours vers le pire. > Des jeux d’opposition qui miment un combat perdu d’avance. > Un sentiment tragique, qui écrase le poète de façon implacable. > Une sensation d’enfermement absolu, non pas dans l’espace, mais dans le temps, voire dans la folie. Premier mouvement : Entre élégie et tragédie Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ; Contrairement à de nombreux poèmes des Fleurs du Mal, ce n’est pas un sonnet.

5 quatrains, avec des rimes croisées : c’est une forme bien adaptée à un récit qui progresse pas à pas. Les trois premiers quatrains sont des compléments circonstanciels de temps qui forment une anaphore rhétorique (la répétition d’un même terme en début de proposition).

L’élégie, c’est une complainte musicale qui insiste sur le deuil et la mélancolie : ici, la méditation sur le temps devient une véritable obsession : le retour des heures est implacable. « Le cercle » évoque les neufs cercles des Enfers où sont réparties les âmes des damnés, dans la Divine Comédie de Dante.

Ce poète italien du 14e siècle imagine un voyage aux enfers, guidé par Virgile lui-même.

La catabase, c’est le mot savant pour désigner la descente aux enfers.

Dans le Spleen, la réalité est devenue un enfer, où le poète est enfermé. « Le Ciel … l’horizon … les nuits » c’est la description d’un paysage.

Le ciel est le sujet des verbes « peser … embrasser ...

verser » : il orchestre l’enfermement du poète.

On est loin du paysage état-d’âme romantique où Nature est empathique avec le poète, comme dans les Méditations Poétiques de Lamartine. Le verbe embrasser au participe présent insiste sur cet enfermement dans la durée.

Les verbes peser et verser semblent au présent de narration (pour actualiser un récit passé). Mais on peut aussi y trouver une dimension de vérité générale (une action vraie en tout temps) ce récit a surtout une valeur symbolique universelle. « De l’horizon » est le complément du nom « cercle » : on devrait normalement avoir « le cercle de l’horizon ».

Cette antéposition crée un effet d’attente inconfortable pour le lecteur.

Dans le spleen, le passage du temps est une véritable souffrance.

Le cercle, l’horizon : ce sont des formes circulaires qui ne laissent aucune échappatoire.

On voit déjà se dessiner la fin tragique du poème. Baudelaire ne dit pas « mon esprit » mais « l’esprit » avec un article défini générique (qui désigne une notion abstraite).

Le pronom personnel « nous » a aussi cette valeur universelle presque philosophique, incluant tous les êtres humains. Dans ce paysage infernal, « l’esprit gémissant » devient comme ces figures mythologiques condamnées aux Enfers.

Une proie persécutée par les longs ennuis : c’est une véritable allégorie : la personnification d’une idée abstraite.

Cela correspond parfaitement aux Érynies, les divinités persécutrices de la mythologie grecque. Ces images sont détournées et dégradées : le ciel est comparé à un ustensile de cuisine.

Un ciel lourd, c’est une expression toute faite, mais le verbe peser rend l’image plus concrète. C’est ce qu’on appelle une catachrèse : on remotive une métaphore entrée dans le langage courant. Les sensations sont variées : le toucher, la vue, l’ouïe, et même le goût.

On entend le couvercle avec les allitérations (retour de sons consonnes) en C ou encore le versement du jour avec les L et les S .

Tout cela construit une métaphore filée étrangement concrète : le monde est un réceptacle où nous sommes enfermés, le jour est un poison dans lequel nous sommes progressivement noyés. Le jour est pire que la nuit : c’est une opposition paradoxale (qui choque le sens commun). La tristesse est plutôt du côté de la nuit habituellement.

Mais en plus le singulier est opposé au pluriel : le jour équivaut à plusieurs nuits...

le temps se répète et s’allonge, le spleen rejoint la mélancolie de l’élégie. On peut aussi trouver un deuxième effet de contraste : le mouvement vertical du versement s’oppose au cercle de l’horizon.

le poète est donc cerné de toutes parts. L’enjambement (qui prolonge la phrase d’un vers à l’autre) renforce le poids de la préposition « sur l’esprit ».

À travers ce ciel lourd, le poète est écrasé par quelque chose qui le dépasse, comme le héros tragique. Deuxième mouvement : Une noirceur originale Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris ; Le ciel, puis la terre : c’est une progression du haut vers le bas qui nous est racontée étape par étape.

On devine déjà que rien ne pourra arrêter ce mouvement descendant.

La terre et le ciel, ce sont aussi les deux éléments opposés et complémentaires d’un tableau déprimant. En fait, ici la terre comprend certainement aussi le ciel par métonymie (c’est à dire par glissement de proximité) : la terre, c’est le monde entier.

La métaphore est filée : l’univers devient un cachot, il ne reste aucun espace de liberté. Chauve-souris rime avec pourris, comme si elle était déjà morte, ou comme si les plafonds pourris étaient déjà l’intérieur d’un cadavre.

On peut penser au poème Une Charogne : la méditation sur la mort est alimentée par ces images concrètes. Dans l’imaginaire romantique, l’Espérance est souvent une colombe, du côté du sublime.

La chauve-souris qui se cogne la tête se trouve du côté du grotesque.

On peut parler de registre burlesque : des termes comiques et familiers sont utilisés pour désigner quelque chose d’élevé et de sérieux. La chauve-souris n’est même plus un oiseau, mais un animal aveugle aux ailes atrophiées. Contrairement aux ailes de géant de l’albatros, les ailes de la chauve-souris sont qualifiées de timides, du latin timeo : craindre.

C’est peut-être une marque d’ironie tragique (le malheur final est annoncé à l’avance). L’image est en même temps un petit récit avec des verbes qui présentent des actions en mouvement : battant et se cognant sont des participes présent qui s’inscrivent dans la durée.

Le verbe s’en aller est séparé de son sujet par un enjambement, ce qui prolonge encore l’attente du lecteur. Le passage du temps est long et pénible, les murs au pluriel démultiplient l’action. L’allitération en P, occlusive et sourde imite les battements de l’aile et illustre cette idée d’enfermement et de répétition.

Les assonances nasales sont traditionnellement considérées comme étouffantes. Les murs verticaux complètent les plafonds pourris horizontaux, qui enferment le poète et rendent toute élévation impossible.

On peut mettre ce poème Spleen en opposition avec le poème “Élévation” qui est du côté de l’idéal.

Le recueil des Fleurs du Mal fonctionne bien comme un réseau de symboles. Les plafonds pourris constituent ce qu’on appelle une métaphore in absentia : nous avons le comparant, du côté de l’enfermement, mais pas le comparé.

Le spleen est une émotion abstraite que ces images étranges tentent de représenter de manière très concrète. Quand la pluie étalant ses immenses traînées D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, Après le ciel.... »

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