Aux mânes de Julie de Lespinasse(extrait)D'Alembert25 juillet 1776O vous qui
Publié le 23/05/2020
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«
Aux mânes de Julie de Lespinasse
(extrait)
D'Alembert
25 juillet 1776
O vous qui ne pouvez plus m'entendre, vous
que j'ai si tendrement et si constamment aimée,
vous dont j'ai cru être aimé quelques moments,
vous que j'ai préférée à tout, vous qui m'auriez
tenu lieu de tout si vous l'aviez voulu ; hélas !
s'il peut vous rester encore quelque sentiment
dans ce séjour de la mort après lequel vous
avez tant soupiré et qui, bientôt, sera le mien,
voyez mon malheur et mes larmes, la solitude
de mon âme, le vide affreux que vous y avez
fait et l'abandon cruel où vous me laissez ! Mais
pourquoi vous parler de la solitude où je me
vois depuis que vous n'êtes plus là ! Ah ! mon
injuste et cruelle amie, il n'a pas tenu à vous
que cette solitude accablante n'ait commencé
pour moi dans le temps où vous existiez encore.
Pourquoi me répétiez-vous, dix mois avant
votre mort, que j'étais toujours ce que vous
chérissiez le plus, l'objet le plus nécessaire à
votre bonheur, le seul qui vous attachât à la vie
lorsque vous étiez à la veille de me prouver si
cruellement le contraire ? Par quel motif que je
ne puis ni comprendre ni soupçonner, ce
sentiment si doux pour moi que vous éprouviez
peut-être encore dans le dernier moment où
vous m'en avez assuré s'est-il tout à coup
changé en éloignement et en aversion ?
Qu'avais-je fait pour vous déplaire ? Que ne
vous plaigniez-vous à moi, si vous aviez à vous
en plaindre ? Vous auriez vu le fond de ce c œ ur
qui n'a jamais cessé d'être à vous, lors même
que vous en doutiez et que vous le rebutiez
avec tant de dureté et de sécheresse.
Ou plutôt,
ma chère Julie (car je ne pouvais avoir de tort
avec vous) aviez-vous avec moi quelque tort
que j'ignorais et que j'aurais eu tant de douceur
à vous pardonner, si je l'avais su ? Vous avez
dit à un de mes amis qui vous reprochait la
manière dont vous me traitiez et dont vous.
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