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ARTICLE DE PRESSE: La guerre et la paix dans la société soviétique

Publié le 10/12/2021

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Mémoire 1985 - Toute l'année 1985 est placée, en URSS, sous le signe du quarantième anniversaire de la victoire sur l'Allemagne nazie. Cérémonies, pèlerinages, activités scolaires, édition et réédition de livres, de films et de disques, expositions de peintures et de sculptures, spectacles de théâtre et concerts : tout est mis à contribution. Le culte des morts et des gloires de 1941-1945 n'a cessé, en réalité, de s'amplifier depuis plusieurs années. Le pays se couvre de monuments. Gigantesques et solennels, comme à Volgograd (Stalingrad) et dans le monument à la victoire en projet à Moscou. Sobres et émouvants, comme sur les lieux du massacre de Baby-Yar, près de Kiev, et des villages martyrisés de Pirciupis, en Lituanie, ou de Katyn, en Biélorussie. Comment expliquer une telle mobilisation ? L'observateur occidental est tenté de répondre : par l'insistance du pouvoir et les fruits politiques qu'il en escompte. Sans toute. Mais alors, pour quoi cette émotion populaire dans laquelle baigne l'événement ? Il y a tout de même quarante ans : deux générations déjà, ou presque ! La réponse tiendrait-elle dans les quelques chiffres, terriblement éloquents, en effet, que les discours officiels ne manquent pas de rappeler, inlassablement ? Vingt millions de morts-davantage selon certaines estimations (1),-dont treize millions de soldats de l'Armée rouge, cela fait 40 % au moins des victimes de la deuxième guerre mondiale. Destructions massives On peut y ajouter, toujours selon les sources soviétiques, les mille sept cent dix villes et les soixante-dix mille villages détruits, les vingt-cinq millions de sans-abri, les dizaines de milliers d'usines détruites ou démontées par les nazis, les soixante et onze millions de têtes de bétail tuées ou confisquées... A ce niveau de généralité, les statistiques de l'horreur permettent d'imaginer l'ampleur de l'effort de reconstruction qui a dû suivre. Mais suffisent-elles à expliquer l'étonnante résonance actuelle de la tragédie ? Peut-être faudrait-il encore parler des dix millions de mutilés et d'estropiés ? Peut-être faudrait-il interroger les " anciens enfants ", non moins nombreux, qui furent placés en orphelinat ? Les derniers témoins des exodes et des transferts forcés, les familles dispersées ou disloquées, au point que, aujourd'hui encore, des " petites annonces " signalent la recherche d'un parent, voire d'heureuses retrouvailles ? Ou encore, questionner les vieilles femmes seules, celles qu'on retrouve parfois, par exemple, comme " préposées " (dejourny) à chaque étage des hôtels-ce qui amuse bien les étrangers ? Peut-être faut-il se souvenir, alors, de cet autre bouleversement de la dernière guerre que fut l'expansion de l'emploi des femmes et de leur " émancipation " forcée ? N'avaient-elles pas, massivement, pris en charge les travaux lourds et l'industrie d'armement, on encore l'agriculture ravagée dans les villages innombrables où pas un homme ne revint du front ? D'une façon ou d'une autre, la majorité des soviétiques vivants ne seraient-ils pas des enfants de la guerre ou de ses séquelles immédiates les plus graves ? Retourner le fer dans la plaie ? Chronologiquement, la mémoire et l'imaginaire de la " grande guerre patriotique " se sont constituées en trois grandes vagues successives. La première naît au front. Elle affirme d'emblée la force de l'écrit, des mots, dans la transformation du réel. Le moral, si gravement ébranlé par les défaites de 1941, au point le provoquer des scènes dantesques de panique à Moscou (2), est redressé par les discours de Staline, oui, mais peut-être davantage encore par les écrivains et les poètes. Ce sont les articles et les pamphlets avec les signatures prestigieuses d'Ilya Ehrenbourg, Constantin Simonov, Vassili Grossman (3). Ce sont, dans Leningrad assiégée, les voix d'Olga Bergholz et d'Anna Akhmatova, grande dame de la poésie livrée une fois encore au " festin pendant la peste ", le festin de " sons de mots et de sang vivant des sentiments ". De ces années de feu, le morceau de bravoure littéraire le plus populaire fut sans conteste le feuilleton en vers d'Alexandre Tvardovski, Vassili Tiorkine : le petit soldat russe, goguenard et pathétique, plongé dans l'aventure vraie des tranchées. Ses lecteurs s'était à ce point identifiés au héros qu'ils " lui " écrivaient un abondant courrier (4). La prose de la première vague fut volontiers édifiante (la Jeune Garde, de Fadeev, et Un homme véritable, de Polevoi), parfois d'une impressionnante sobriété (les Tranchées de Stalingrad, de Viktor Nekrassov, et la Chaussée de Volokolansk, d'Alexandre Bek). Plus tard, on notera les contributions de Cholokhov (Ils ont combattu pour la patrie et le Destin d'un homme) et de Simonov, qui aborde la question des fautes de Staline dans sa trilogie : les Vivants et les Morts. Mais il faudra attendre la deuxième vague, celle des années 1970-1980, pour que l'objectif se resserre sur la guerre au quotidien, la psychologie du combattant, la souffrance des gens simples. C'est dans cette foulée que s'inscrivent les Grigori Baklanov, Viktor Astafiev et, surtout, le Biélorusse Vasil Bykov. " Que l'on donne à lire Bykov aux gens du monde entier, dit l'un de ses admirateurs, et ils seront à jamais immunisés contre l'idée de la guerre (5). " Le compliment n'est pas excessif. L'auteur de les morts n'ont plus mal ne laisse pas d'issue : on ne sort pas indemne de cette lecture éprouvante. C'est que Bykov confronte aux lois de la guerre une morale humaine qui lui est radicalement irréductible. Un point de vue qui n'a pas manqué de soulever la controverse. " La guerre antifasciste n'est-elle pas une guerre juste ? ", ont demandé des contradicteurs. " Absolument ", répond l'écrivain, mais la guerre n'est jamais jolie, et il n'y a pas lieu de l'embellir a posteriori. Souvent, Bykov a dit sa méfiance envers les " exploits " vantés dans la littérature patriotique. Dans Sotnikov, il livre sa version de l' " exploit " (podvig), qui se rapproche fort de l'interprétation qu'en donne la tradition ascétique russe : à la fois dépassement de soi et rédemption, qui renvoie à la résurrection chrétienne. On serait tenté de parler d'une " troisième vague ", dans les années 1970-1980, avec la prose documentaire. Outre les exemples biélorusses déjà cités, on y retrouve Ales Adamovitch et Danil Granine, auteurs d'un retentissant Livre du blocus, rassemblant quantité de témoignages inédits sur le siège le Leningrad. Celui-ci a fait, de source officielle, six cent mille victimes, et, selon d'autres, biens d'avantage (6). Tradition orale Le livre du blocus a recueilli des souvenirs que la tradition orale ou celle des journaux intimes transmettent d'une génération à l'autre, au sein des familles. C'est le livre de la faim et du froid, mais aussi des relations de voisinage, des cruautés et des solidarités, " petites ", anonymes, racontant les marches funèbres, mais aussi les écoles musicales entre les salves d'artillerie, l'impensable, pourtant vécu par des morts en sursis dans une ville damnée mais pas désespérée. Jusqu'à présent, les problèmes de la collaboration n'ont été que discrètement évoqués. Pourra-t-on pousser plus loin, et jusque dans les sombres recoins, l'effort de mémoire collective qui prend, en ce domaine ouvert à l'investigation, l'allure d'une catharsis? Il faut attendre la déstalinisation pour que les Soviétiques découvrent dans les salles obscures une part des images et des émotions de " leur " guerre. Ils sont passionnés, bouleversés, violemment interpellés, en 1957, par le chef-d'oeuvre de Kalatozov, en rupture avec les conventions et le puritanisme antérieur : Quand passent les cigognes et l'une des rares transpositions réussies à l'écran du " climat " poétique russe, dans l'évocation d'un amour brisé, de la vie des " évacués " vers l'Est, des attentes auxquelles même la victoire ne pourra donner d'heureux aboutissements. Dans la même veine du néoréalisme lyrique G. Tchoukhraï braque les projecteurs sur les petitesses et les grandeurs, les joies et les peines de la Ballade du soldat, et Sergueï Bondartchouk sur le Destin d'un homme (d'après Cholokhov), en l'occurrence le prisonnier en Allemagne sur lequel avait pesé la suspicion stalinienne. Fascisme ordinaire Autres regards, troublants et troubles ceux de l'Enfance d'Ivan du cinéaste symboliste Andreï Tarkovski, dont c'est la " première " d'une grande carrière. Et, en marge : le surprenant Fascisme ordinaire, où Mikhaïl Romm, puisant aux archives de Goebbels, décrypte et déborde le cas nazi, en démontant les mécanismes de l'idolâtrie moderne et de l'aveuglement des masses. Le cinéaste et son public n'ont pas négligé les rapprochements possibles avec le " communisme de caserne ". Après cette floraison des années post staliniennes, le cinéma " de guerre " soviétique sera de plus en plus prétexte à films d'aventures et grands spectacles, où se mêlent l'apologétique et les règles hollywoodiennes du genre. Il y aura quelques exceptions. Dans les Orphelins (en russe : Podranki, un terme de chasse pour désigner le gibier blessé), Nikolaï Gubenko montre l'enfance abandonnée et dénonce le dressage militariste dans les orphelinats. C'est l'occasion d'apprendre que, pour les Russes, le mot " fasciste ", dans la bouche d'un enfant révolté, par exemple, peut aussi désigner un éducateur autoritaire et brutal. JEAN-MARIE CHAUVIER Le Monde diplomatique, Août 1985

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