Art décoratif

« [Art deco LA BANALISATION DU BEAU Imagine peu avant la Premiere Guerre mondiale, inseparable du tango et du jazz qui scandent les Annees folles, I'esthetique de l'Art deco place l'entre-deux-guerres sous le signe du design et de la banalisation du beau.

Revolution des matieres, des couleurs, des lignes, l'Art deco ne se concoit pas comme une ecole, et ('expression date en realite des annees 1960.

Mais ses principaux representants, peintres, sculpteurs, architectes, createurs de mode et decorateurs, ont en commun ('ambition dinventer un style a la mesure de rhomme nouveau : un homme surgi des ruines de la guerre, appartenant pleinement au monde industriel.

La ou la civilisation victorienne finissante pensait encore en termes de bon gout, les annees 1920 et 1930 mettent en avant Ia creation, la modernite, la technique. Ce mouvement trouve naturellement dans la publicite l'un de ses terrains d'election.

[artiste doit partager le terrain avec de nouvelles figures, anonymes quelquefois mais promises a un bel avenir : le designer et le createur. UNE REDEFINITION DE L'ART Le paleis de Ocilla a Paris, et la gare de Milan, en Italie, illustrent bien l'un des paradoxes de l'Art deco : connus comme une ode a la modernite, ces monuments manifestent aussi un retour au classicisme, dans ('attention extreme port& aux masses et aux volumes, le goat de la ligne droite et, plus generalement une certaine rigueur. EN REACTION AU ((STYLE NOU11.11* De fait, l'Art deco se definit d'abord comme une reaction aux formes contoumees et effeminees de I'esthetique bourgeoise d'avant 1914, tout en raffinement et en fioritures, que les artistes des annees 1920 qualifient de «style nouille D, pour denoncer sa mollesse.

Aux courbes vegetales du metropolitan de Gutman" symbole de !Art nouveau et de I'esthetique 1900, s'opposent ainsi ('aspect mineral, marmoreen des immeubles Art deco, aux lignes plus dures, a ('allure plus massive.

Des formes orthogonales simposent, inspirees par la peinture cubiste mais aussi par les contraintes du beton arme. La reference itl'industrie, a ses objets utiles, produits en serie et donc reproductibles, est tres forte dans l'Art deco, par opposition a un Art nouveau qui cultive lui aussi le gout des metaux, cedes, mais valorise I'artisanal, ('unique, le singulier.

C'est rid& meme de style qui change de dimension : avant 1914, on considere encore avec Buffon que «le style, c'est l'homme» et que l'ceuvre exprime, voire exalte la personnalite de ('artiste - un artiste fidele it la definition qu'en a donne Baudelaire, dressant son genie contre I'uniformisation du monde moderne. LES INGENIEURS SONT DES HEROS Apres la guerre, dans le contexte desormais assume de la civilisation industrielle et d'ideologies de masse - communisme, fascisme, mais aussi productivisme et taylorisme dans les dernocraties liberales -, qui valorisent beaucoup mains l'individu, le style a quelque chose de plus impersonnel.

II se distingue du «bon gait » cher aux bourgeois victoriens, et qui avail comme fonction principale, sans que cela soil dit, de manifester la richesse.

II se &lathe aussi des &marches individualistes de nombreux artistes, manifestant plus modestement la contribution des «createurs» a ('esprit de repoque, une epoque &rise de vitesse et de nouveaute, revolutionnee par le cinema, reclairage electrique et ('automobile.

Une epoque dont les LA SIXTINE DE L'ART MODERNE A cote du café de la Coupole sur le boulevard Montparnasse de Paris, l'immeuble de l'Aubette Strasbourg est sans doute le lieu le plus emblematique de l'Art deco. C'est en 1922 que les freres Horn decident de transformer cet ancien batiment militaire en bar-cinema- dancing et en confient la decoration au Neerlandais Theo Van Doesburg, l'une des figures du groupe De Stijl. Aide de Hans Arp et de Sophie Taueber-Arp, it se lance dans un projet fou : etendre les frontieres de ('art abstrait au-dela de la toile, en structurant les decors comme un tableau de Mondrian, avec des a-plats de couleur primaires decoupes par des lignes droites. Achevee en 1928, la decoration est consider& comme un chef - d'oeuvre, mais la crise de 1929 et la mauvaise qualite des couleurs en auront raison.

Restaure recemment, le batiment est desormais classe monument historique.

hems sont des ingenieurs : Henry Ford, Louis Renault ou Andre Citroen. Le poke Blaise Cendrars célèbre la beaute des automobiles Bugatt ; le peintre Amedee Ozenfant redessine 'Hispano-Suiza. L'un des monuments les plus connus de 'Art deco est le Chrysler Building de New York. Chacun connalt la forme de son sommet, inspiree du bouchon de radiateur d'une voiture de repoque.

Mais qui en connait rauteur? POUR L'HOMME NOUVEAUL'Exposition internationek des arts decoratifs et industriek modems quise tient a Paris en 1925 est sans doute le moment de de l'Art deco, l'evenement fondateur qui EXPOSITION donne toute sa visibilite au mouvement et dont it tirera son nom.

Mais c'est dans le bouleversement de la Premiere Guerre mondiale que se mettent en place les principaux elements qui vont constituer l'Art deco.

En architecture, certain d'entre eux apparaissent meme des avant 1910. Hone SOVIETICUS Sur In plan ideologique, In fondement de l'Art deco est I imaginaire de rhomme nouveau, apparu peu avant 1914 et qui lie des movements aussi divers que In futurisme italien, le communisme bolchevique, In dadaisme de Zurich et la boheme de Montparnasse, autour de Blaise Cendrars et de Guillaume Apollinaire. Cet homme nouveau pourra sincarner dans ('Homo sovieticus ou dans I'imaginaire fasciste, mais it trouve sa premiere figure dans ('immigrant des Ameriques : it s'est emancipe de l'Ancien Monde, de son afienation et de ses chaines, et, par la vertu de son travail, avec ('aide du progres et dans une solidarite fratemelle avec ses semblables, it va creer un monde nouveau. LA GARONNE La place de la femme est conside- rablement reevaluee, et l'une des figures des de repoque est cette «garconne» (titre d'un roman de Victor Margueritte publie en 1922) qui dance In tango, fume la cigarette et conduit des automobiles...

ou des LE CONSTRUCTIVISME L'Union sovietique, avant la fermeture progressive de ses frontieres et le controle de I'esthetique, apporte un souffle neuf dans ('ad occidental avec le constructivisme, un mouvement que Ion peut considerer comme l'Art deco sovietique.

L'imagerie industrielle est bien silr plus marquee en URSS, mais les fondamentaux sont proches : gout de la geometrie, corps athletiques, refus des nuances, stylisation extreme, utilisation des supports et des themes du monde moderne. Surgi des premieres annees de la revolution, le constructivisme est vice interdit, mais it marque toute I'esthetique russe d'avant-guerre, jusqu'a ravenement du realisme socialiste.

Des artistes comme Malevitch y sont associes, mais ce sont surtout les architectes-peintres Rodtchenko et Lissitzky qui en sont les figures de proue, s'illustrant notamment dans les arts de I'affiche et les collages photo. locomotives, en Union sovietique. Partout, la vogue du sport dessine des corps nouveaux, plus fermes : I'humanite future sera athletique ou ne sera pas! rune des icons de repoque, itcote de la danseuse noire- americaine Josephine Baker et de I'actrice Louise Brooks, est la championne de tennis Suzanne Lenglen.

Cette force nouvelle de la femme fascine et inquiete h la fois, comme I'atteste le film L'lnhumaine de Marcel L'Herbier (aux decors Art deco signes Mallet-Stevens). Dans la simplicite inedite des tenues feminines comme dans la sobriete des appartements, c'est une elegance nouvelle qui s'invente, dont les creations de Paul Poiret ou Coco Chanel donnent une bonne image : sabre, active, fluide. C'est la fin des raffinements bourgeois, plus ou mains assimiles a une degenerescence (les nazis inventeront d'ailleurs la notion d'art degenere) : place a un monde, itune societe et a une esthetique modeles par les masses et pour les masses.

Le metro de Moscou (inaugure en 1935) est lui aussi inspire des principes de l'Art deco... LES GRANDS MAGASINS Dans la pratique, les realisations les plus belles de l'Art deco restent reservees a une elite fortunee; mais [dee, en Amerique et en Europe comme dans la jeune URSS, est de fabriquer en serie, d'utiliser des materiaux nouveaux (les uplastiques») et de s'adresser as plus grand nombre.

Les grands magasins parisiens comme la Samaritaine (dont la fameuse facade cote Seine date de 1926) en sont 'illustration exemplaire, meme si sur ce point les veritables precurseurs sont chercher dans le Bazar de ('Hotel de Ville, In Bon Marche ou In magasin Felix Potin de la rue de Rennes (Paul Auscher, 1904), transition de l'Art nouveau vers ('Art deco.

Mais lorsque ces trois immeubles sont construits, nul ne songerait a y voir des realisations artistiques, alors que ('ambition esthetique du bAtiment de la Samaritaine se dessine de plus en plus nettement au fil des agrandissements successifs.

La Grande Epicene du Bon Marche (Boileau fils, 1923) temoigne elle aussi de cette evolution des batiments commerciaux, du bazar geant d'un gok eclectique vers In palais style de la modernite. L'INVENTION D'UN STYLE C'est donc sous la forme ambigue d'une architecture commerciale d'abord meprisee des esthetes fin-de siecle que s'esquisse l'Art deco. LA WIENER WERKSTATTE On peut cependant reperer d'autres lignes de filiation : dans l'Autriche des annees 1900-1910, les artistes-artisans de Ia Wiener Werkstatte («Atelier viennois A) tentent de &passer les limites du tres elitiste style Secession, pour lui faire investir les interieurs de la dasse moyenne.

Josef Hoffmann. »