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argumentations

Publié le 08/12/2021

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5

L'argumentation :
convaincre, persuader
et délibérer

1 es rouages de l'argumentation
L
séries L ES S

A À quoi sert l'argumentation ?


? 1. Vouloir convaincre, persuader ou délibérer
n Argumenter, c'est le fait de soutenir, réfuter ou discuter une opinion, une thèse.

L'argumentation

? 2. Défendre une thèse à partir d'un thème
n L'argumentation sert à défendre une thèse, sur un thème donné, directement ou

indirectement. Le thème d'une argumentation est son sujet général, la question posée. La thèse soutenue par l'auteur est l'opinion qu'il défend, à l'aide d'arguments.
Par exemple, le thème du Dernier jour d'un condamné de Victor Hugo est la peine de
mort, tandis que la thèse qu'il défend est la nécessité d'abolir la peine de mort, et la
dénonciation de sa barbarie.
n Dans les essais, les lettres ouvertes ou les articles, les auteurs défendent explicitement un
point de vue : ils ont recours à l'argumentation directe. Dans un conte philosophique,
une fable, ou même un roman, les auteurs se servent d'un récit pour appuyer leurs idées
et l'argumentation est en partie implicite : ils utilisent l'argumentation indirecte.

Convaincre, persuader et délibérer sont trois stratégies argumentatives différentes.
stratégie
argumentative

Convaincre

Persuader

Délibérer

156

But

amener une
personne
à penser
profondément
la même chose
que soi

entraîner
l'adhésion d'un
interlocuteur à
une thèse

effectuer un
choix face à
une question
problématique,
un dilemme

Moyen
- arguments rationnels :
preuves logiques, nombre
d'idées limité en vue d'une
bonne compréhension
- exemples clairs illustrant
les arguments : références
historiques, littéraires,
anecdotes, faits d'actualité...
- registre didactique ou
polémique
composition soignée: plan
simple et clair, progressif,
emploi de connecteurs
logiques, conclusion.

sollicitation du
lecteur

25

B Savoir identifier les arguments et les exemples


Cours

C hapitre

? 1. Les arguments

n L'argument est une idée qui permet d'appuyer ou de réfuter une thèse. C'est une
le locuteur
s'adresse à
la raison du
destinataire

bonne combinaison d'arguments qui permet de défendre une thèse. Un argument
qui sert à critiquer une thèse est appelé contre-argument. Celui-ci est utilisé dans
les réfutations. Il existe plusieurs types d'arguments. Parvenir à les identifier permet
d'enrichir l'analyse de la littérature d'idée :
Type
d'argument

Construction

Argument
logique

Argument
d'autorité

- travail de l'éloquence :
figures de rhétorique
destinées à émouvoir, à
impressionner, apitoyer ou
effrayer le lecteur, rythme
étudié, effets d'insistance...
- prise en compte de la
personnalité du destinataire
- expression de la sensibilité
personnelle de l'auteur
- registre pathétique, lyrique,
ironique, polémique...

le locuteur
s'adresse aux
sentiments du
destinataire, à
son imagination

- peser le pour et le contre et
parvenir à une conclusion
- faire des hypothèses,
marquer des hésitations, des
contradictions, se poser des
questions...

la raison et les
sentiments
peuvent être
sollicités

Il est issu du raisonnement de l'auteur : il
se fonde sur la logique du discours.
Il s'impose car il s'appuie sur des
références connues de tous, qui
apparaissent comme des vérités
d'évidence.

Argument de
valeur

Il se réfère à un système de valeurs
(morales, religieuses, sociales...) bien
installées.

Argument
d'expérience

Il se fonde sur le recours à des faits, à
des témoignages : il est directement issu
d'exemples, il est concret.

Argument ad
hominem

Il est choisi en fonction de la personnalité
du destinataire : il est particulièrement
adapté à sa sensibilité, à ses goûts, à sa
culture, à son vécu.

Exemples
« Je pense, donc je suis »
est un argument logique :
c'est le raisonnement très
rigoureux de Descartes.
Sganarelle, dans le Médecin
malgré lui (Molière, 1666)
invoque l'autorité d'Aristote
pour justifier le fait qu'il
garde son chapeau
Quand les pères de Molière
affirment que le choix d'un
mari pour leur fille dépend
de leur volonté, ils disent ce
que pensent généralement
les pères de cette époque.
L'Agneau rappelle qu'il
n'était pas né à l'époque
des faits que le loup lui
reproche dans la fable de la
Fontaine.
Pour disqualifier l'Émile
(1762), qui décrit
l'éducation idéale, on a
reproché à Rousseau d'avoir
abandonné ses enfants. Au
lieu de contester ses thèses,
on le discrédite.

157

L'argumentation

n Le type de plan peut être parfois identifié : il en existe trois modèles majeurs :

n Les exemples viennent appuyer les arguments en les illustrant. Ils permettent de

concrétiser les arguments qui, seuls, restent abstraits : les exemples viennent vérifier une
idée. Un bon exemple peut être une référence historique, littéraire, un fait d'actualité,
une anecdote, une citation, une expérience...
Fonction

C ours

Exemple illustratif
(le plus courant)

Cas particulier qui vérifie l'idée
générale de l'argument.

Les Fables de La Fontaine sont
illustratives : le corbeau et le
renard montrent de façon imagée
qu'il faut être méfiant face aux
f latteries.

Exemple
démonstratif ou
argumentatif

On se sert du cas particulier
pour en induire une idée
générale. À la base du
raisonnement, ce type
d'exemple peut être considéré
comme un argument à lui seul.

Dans les Essais, Montaigne part
souvent de son propre cas pour lui
donner une valeur universelle. Il
condamne l'éducation collective
des collèges à partir de sa propre
expérience.

C L'analyse d'un texte argumentatif


?

1. Comment repérer la structure
de l'argumentation?

Les premières questions à se poser face à un texte argumentatif concernent son organisation. Construit logiquement, il présente une « charpente » souvent très visible.
La mettre en évidence facilite la compréhension du texte.
n Les connecteurs logiques (ou mots de liaison) établissent des liens entre les différents arguments.
rapport logique

Exemples de connecteurs

Addition, succession

Et, en outre, de plus, par ailleurs...

Cause/conséquence

Car, parce que, puisque, de sorte que, si bien que...

opposition

Toutefois, cependant, quoique, bien que, mais...

n Les paragraphes sont souvent révélateurs de la construction du texte. Mais un au-

teur peut avoir choisi d'exposer plusieurs arguments dans un seul paragraphe. Il faut
savoir s'en méfier.
n La progression des arguments est intéressante à analyser: l'auteur peut choisir de
commencer par le plus évident, et finir par le plus original ou le plus complexe. Les
procédés de persuasion peuvent se faire de plus en plus insistants...
158

- le plan logique confronte ou compare deux points de vues : avantages/ inconvénients,
thèse/antithèse et éventuellement synthèse.
- le plan analytique tente de résoudre un problème : constat/causes/conséquences
ou/et solutions.
- le plan thématique accumule une série d'arguments qui appuient la même thèse.
Certains textes peuvent toutefois combiner plusieurs types de plans.

? 2. Comment repérer la thèse ou la réfutation
d'une thèse?

n La thèse est fréquemment résumée dans une phrase clé, qui résume le point de vue de

l'auteur, souvent en début ou en fin de texte. Les autres phrases tendent à la démontrer, à
l'aide d'arguments et d'exemples. Un texte peut soutenir tour à tour plusieurs thèses.
n L'énonciateur peut choisir d'opposer point par point ses arguments à ceux de la thèse
adverse. Il s'agit alors d'une réfutation. Le raisonnement par l'absurde feint d'accepter
une hypothèse pour en tirer logiquement des conséquences absurdes, qui discréditent
l'hypothèse de départ. La concession feint d'admettre dans un premier temps la thèse
adverse pour mieux la réfuter par la suite en s'y opposant (cependant, néanmoins...)

Cours

? 2. Les exemples

Types d'exemples

25

? 3. Comment distinguer les différents types
de raisonnements ?

n Le raisonnement par déduction ou déductif tire une conséquence à partir d'une

ou plusieurs idées générales, pour dégager une proposition particulière.
n Le raisonnement par induction ou inductif part d'une ou plusieurs observations
particulières pour aboutir à une conclusion générale.
n Le raisonnement par analogie opère par rapprochement et par contagion. On glisse
d'un domaine à un autre.
n Le syllogisme est une forme particulière de raisonnement déductif. Il consiste à
énoncer deux propositions (les prémisses) et à en tirer une conclusion (possible parce
qu'un terme commun aux deux prémisses permet de relier les autres termes). Si les
prémisses sont acceptées, la conclusion qui en découle doit l'être aussi : « Tous les
hommes sont mortels ; or Socrate est un homme ; donc Socrate est mortel ».
n Le sophisme est un type de raisonnement volontairement faux ou trompeur, qui
aboutit à une conclusion erronée : « Un cheval bon marché est rare ; tout ce qui est rare
est cher ; donc un cheval bon marché est cher ».

? 4. Quelles sont les marques de l'énonciation
dans un texte argumentatif ?

Étudier l'énonciation dans un texte consiste à se poser deux questions : Qui parle ? À
qui ? On peut alors effectuer des repérages qui vont faciliter cette analyse.
159

L'argumentation

Cours
C ours

personne (pronoms personnels, adjectifs possessifs...) ou les verbes d'opinion, de
sentiments, de locution (je pense, j'aime, j'affirme...). Les modalisations du discours
sont aussi révélatrices de la présence du locuteur: peut-être, je crois, vraisemblablement,
sûrement...On peut donc mesurer l'implication de l'énonciateur qui s'affirme plus
ou moins selon ses intentions, sa personnalité... L'absence de marques de la première
personne peut révéler une volonté de neutralité.
n La présence du destinataire se lit dans les marques de la deuxième personne (pronoms
personnels, adjectifs possessifs...), les questions rhétoriques, les apostrophes. L'usage de
l'impératif montre une volonté d'agir directement sur le lecteur. Plus le destinataire est
explicitement présent dans un texte, plus l'intention de persuasion est manifeste.

? 5. Quels sont les registres de l'argumentation ?
Les registres dépendent de l'effet que les textes veulent produire sur les lecteurs.
registre

polémique
(du grec
polemos,
« guerre »)

pathétique
(du grec
pathein :
« souffrir »)

lyrique

Effet voulu

Controverser
vivement ou
agressivement la
thèse adverse

susciter une
émotion poétique,
communiquer
des sentiments
personnels.

- Le champ lexical des sentiments
- Présence des marques de la première personne.
- Recours aux images (métaphores,
comparaisons), appel à l'imagination.

laudatif

160

- La dévalorisation des opinions de l'autre, par
un lexique péjoratif, le recours à la troisième
personne (l'indéfini « on », le pluriel « ils ») .
-Les exclamations, les exagérations, les
apostrophes, qui permettent une agressivité
verbale.
-L'ironie : dire le contraire de ce que l'on pense
ou feindre d'approuver les idées d'autrui pour
mieux mettre en évidence leur inanité. On peut
aller jusqu'à la moquerie et la satire.
- Le champ lexical de la douleur, de la souffrance.
- Choix d'un point de vue subjectif (recours
au « je »), et interpellation du destinataire
(apostrophes). Exclamations.
- Figures d'insistance (répétitions, anaphores,
hyperboles)

comique

Faire l'éloge de
quelqu'un ou d'une
thèse.

? 1. Qu'est-ce que la rhétorique ?
n C'est la technique qui consiste à bien parler. Étymologiquement, le terme rhétorique

renvoie à l'art de l'orateur quand il intervient dans le cadre de la cité (sur l'agora en
Grèce, sur le forum ou à la Curie à Rome). À ses origines, la rhétorique est donc liée à
la vie publique dans l'Antiquité.
n L'enseignement de la rhétorique a traditionnellement été décomposé en plusieurs
parties :
Les cinq étapes de la
rhétorique
(désignées par des termes
latins)
inventio

Procédés privilégiés

- Émouvoir fortement,
provoquer la
pitié, attendrir,
impressionner.
- Procédé de
persuasion.

Amuser, susciter
ainsi l'intérêt d'un
destinataire mieux
disposé à comprendre
une thèse

D La rhétorique


- Recours aux jeux de mots, à l'art du double
sens, du sous-entendu.
- Développement d'une connivence avec le
lecteur, anecdotes, familiarités.
- Usage de caricatures, pastiches, parodies
- Volonté de surprendre : ruptures
- Lexique mélioratif, hyperboles.
- Phrases amples (périodes), répétitions,
exclamations, énumérations, procédés
d'insistance.

dispositio

objectifs
la recherche des idées, des arguments

Cours

n La présence de l'énonciateur se manifeste à travers les marques de la première

25

l'organisation des éléments dans l'ordre le plus efficace,
comprenant quatre parties :
- l'exorde : destiné à capter l'attention
- la narration : qui agit pour et contre
- la récapitulation : qui reprend les éléments principaux
- la péroraison : qui fait appel à l'émotion et prend un
caractère pathétique

memoria

le choix des formes les plus appropriées parmi les
procédés, le travail du style
les moyens pour favoriser la mémorisation du discours

prononciatio

l'usage le plus efficace de la voix, des gestes, du corps.

elocutio

n Traditionnellement, la rhétorique classait les discours selon leur visée, et en distin-

guait ainsi trois grands types :

Shéma
dimension approximative : 
10 cm x 5,5 cm

161

didactique

Délivrer un
enseignement,
donner une leçon,
qui restera dans les
mémoires

- Syntaxe simple, absence de ponctuation
affective, structure claire et apparente.
- Souci de vulgarisation : exemples concrets qui
illustrent le discours abstrait.
- Point de vue apparemment objectif, volonté de
neutralité.

L'argumentation

? 2. Quelles sont les origines de la rhétorique ?

25

2 es genres argumentatifs
L

n OEuvres fondatrices de l'Antiquité grecque :
IV siècle
av. JC
e

C ours

IVe siècle av.
J.-C.

Auteurs

Titres

Contenu

Platon

Gorgias
Phèdre

Analyse les objets, les instruments et les
buts de la rhétorique

Rhétorique

Traité à l'usage des étudiants, où il affirme
notamment que «la rhétorique est la faculté
de considérer, pour chaque question, ce qui
peut être propre à persuader ».

Aristote

n Deux conceptions de la rhétorique s'affrontent pendant l'Antiquité :

Shéma
dimension approximative : 
10 cm x 3,5 cm

A Le genre de l'essai


? 1. Qu'est-ce qu'un essai ?
n Le terme, issu du latin, désigne au Moyen Âge une tentative, une preuve. Son usage au

XVIe siècle (tester un goût, les effets d'un aliment) introduit la notion d'expérimentation.
Au XVIe siècle, sous l'influence de Montaigne, il prend une acception littéraire : un essai
est alors un ouvrage en prose qui traite d'un sujet, sans viser à l'exhaustivité.
n Les essais sont des oeuvres en prose, à visée argumentative, et ne relevant pas de la
fiction. Leurs sujets sont de toute nature. L'essai restitue la pensée d'un individu (c'est
donc une oeuvre subjective), à un moment donné, sur un thème quelconque. C'est un
genre qui admet une grande souplesse dans sa forme : la définition en reste assez large
pour recouvrir des oeuvres très diverses.

Cours

Époque

? 2. Les Essais de Montaigne, une oeuvre de référence
n C'est à Michel de Montaigne (1533-1592) que nous devons le sens littéraire du

mot. Les Essais constituent un ouvrage unique en son genre et présentent un aspect
autobiographique : Montaigne y parle de lui, de sa vie (cf. sujet type bac p. XX). Les
Essais proposent au lecteur plusieurs états de la pensée de l'écrivain sur des sujets divers,
classés par chapitres. Montaigne n'a jamais cessé de modifier son oeuvre en procédant
à des ajouts : il existe ainsi trois éditions augmentées et complétées des Essais, en 1580,
1588 et 1590.
n Montaigne, très érudit, se nourrit des auteurs qui l'ont précédé (avec une préférence
pour ceux de l'Antiquité) et confronte ses idées, ses opinions aux leurs. En quelque
sorte, il essaie sa pensée en la frottant à celle des autres et invite le lecteur à faire de
même avec la sienne. Il fait l'essai de son jugement mais témoigne des essais de sa vie,
c'est-à-dire de ses expériences personnelles. Il aborde des sujets universels et existentiels (relation de l'homme à la mort), des questions liées à l'actualité de son époque
(conquête du Nouveau Monde).
n C'est une oeuvre originale, difficile à classer et qui témoigne d'une expérience unique
dans la littérature. Montaigne apparaît, à travers les Essais, comme une figure emblématique de l'intellectuel humaniste (voir p. XX) et, plus largement, de l'intellectuel,
dans la mesure où il refuse toute pensée figée.

? 3. Les caractéristiques de l'essai
n La première caractéristique de l'essai, c'est qu'il exprime un avis subjectif ; l'essai est

donc le plus souvent rédigé à la première personne. L'individu qui donne son opinion
se présente comme un amateur, il n'est pas forcément un spécialiste des questions qu'il
162

163

L'argumentation

objectifs

C ours

L'essai analytique

L'essai
démonstratif :
le traité

L'essai
polémique :
le pamphlet

?

Exemples

Démarche proche du constat, qui
donne au lecteur des éléments
pour mieux comprendre tel ou
tel phénomène de société, qu'il
explique et clarifie

Dans son Histoire des origines
de la France contemporaine
(1875-1893), Hippolyte Taine
étudie les causes de la révolution
française.

Démarche rigoureuse, qui aborde
de façon systématique un sujet
unique et délimité.

Le Deuxième sexe (1949)
de Simone de Beauvoir est
consacré à l'étude des formes
d'assujettissement dont les
femmes ont été et sont encore
victimes à l'époque de l'écriture
de l'ouvrage.

Démarche volontairement
provocatrice, qui exprime une
indignation devant un fait ou un
phénomène de société

Dans La défaite de la pensée
(1987), Alain Finkielkraut
conteste la tendance moderne
à galvauder le mot culture en
l'utilisant pour désigner tout et,
selon lui, n'importe quoi.

4. Les thèmes de l'essai

n L'essai aborde des questions à valeur générale, dites universelles, qui sont d'ordre

existentiel, comme la liberté, la justice, la place de l'homme dans l'univers (ex. : Patience
dans l'azur, de l'astrophysicien Hubert Reeves, 1981).
n Il peut aussi nous offrir une réflexion sur des problèmes d'actualité et réagir à ceux-ci
(ex. : La Société de consommation, ses mythes, ses structures, Jean Baudrillard, 1970)
n Les ouvrages spécialisés dans les sciences humaines, comme l'histoire, l'économie
ou l'ethnologie sont aussi appelés essais (ex. : Moeurs et sexualité en Océanie, Margaret
Mead, 1963)

B La Fable


? 1. Qu'est-ce qu'une fable ?
n Le mot vient du latin fabula (du verbe fari « parler »), qui signifie récit, propos. Dès

le XIIe siècle, le terme est utilisé pour désigner un récit imaginaire : une fable est une
histoire. Le fabliau, quant à lui, est un petit récit satirique ou moral en octosyllabes,
genre pratiqué au Moyen Âge. Il était destiné à être lu publiquement et à faire rire.
164

n La fable combine un contenu (une histoire d'animaux) et une intention : la fable à

l'origine, vise à se moquer. En tant que texte littéraire, c'est une variante de l'apologue.
La fable est un petit texte en vers composé d'un récit et d'une morale. La morale peut
être exprimée au début (prologue) ou à la fin (épilogue).
n Les grands recueils de fables de l'Antiquité ont inspiré directement les auteurs français.
Auteurs

Titres

Époque

origine

Ésope

Fables

- VIIe / VIe siècle av. JC
- reconstituées en recueil
par le moine Planude au
XIVe siècle.
- publiées au XVIIe siècle

Phèdre

Fables

- 50 apr. J.-C.
- redécouvert à la fin du
XVIe siècle

Antiquité romaine

Pilpaï

Le livre des
Lumières

- IIIe siècle apr. J.-C.
- traduit en France en 1644

Inde

Fabliaux

vers 1300

France

rutebeuf, Jean
Bodel d'Arras et
anonymes
Marot

Antiquité grecque

Epîtres

1526

France

La Fontaine

Fables

1668-1693

France

Fénelon

Fables

vers 1690

France

Florian

Fables

1792

Cours

traite. Il cherche à convaincre le lecteur de la validité de sa vision des choses. On y
trouve trace d'un ton personnel.
n Toutefois, les démarches des auteurs sont très variées. On peut tenter d'en distinguer
trois :

25

France

n La Fontaine va adapter la fable au goût de son époque et donner au genre la forme que

nous lui connaissons. Au fil des recueils qu'il publie (1668 pour le premier, 1678-1679
pour le second, 1693 pour le dernier), il s'écarte de ses modèles. Il affine sa poétique
en travaillant le mimétisme qui lui permet d'accorder sons et sens ; il fait entendre son
opinion personnelle et finit par se montrer pessimiste et misanthrope.

? 2. Un récit fait pour plaire
n La fable se compose de deux parties, que La Fontaine nomme le corps (récit) et l'âme

(morale). Le récit se doit d'être distrayant et agréable à lire. Le fabuliste met en scène des
personnages variés : animaux bien sûr (« Les Animaux malades de la peste »), humains
(« Le Curé et le Mort »), mais aussi des végétaux (« Le Chêne et le Roseau »). Ceux-ci
sont présentés avec un certain pittoresque ; en effet, l'animal est souvent évoqué dans
son environnement naturel, son mode de vie et ses traits dominants sont reconstitués.
Il y a un aspect quasi scientifique dans le bestiaire des Fables de La Fontaine : la description des Grenouilles dans « Les grenouilles qui demandent un roi » et de leur prédateur,
la Grue, est l'oeuvre d'un observateur attentif du monde animal.
165

L'argumentation

et fait alterner alexandrins et octosyllabes pour varier le rythme. Il donne la parole à ses
personnages et recourt à toutes les formes de discours (direct, indirect, indirect libre).
Il utilise des éléments dramatiques, et définit la fable comme « une ample comédie à
cent actes divers ». Mais on y trouve aussi des éléments romanesques et épiques.
n Si le « corps » de la fable est l'objet d'un travail stylistique précis, il n'en reste pas
moins que c'est son âme qui lui donne un sens.

C ours

?

3. Un récit fait pour instruire

n La Fontaine a toujours affirmé la fonction didactique de ses textes :

« Je me sers d'animaux pour instruire les hommes », Épître au dauphin
Les sujets abordés sont donc généraux (tout ce qui concerne les défauts humains,
comme la gourmandise, la cupidité, la vanité...) et traités de façon satirique (pour
montrer le ridicule par l'excès), ou abordés sous un angle plus philosophique (l'homme
face à la peur de la mort).
n Le contexte politique marque également les fables : les textes consacrés à la dénonciation du pouvoir tyrannique et de ses excès sont nombreux (le lion est sans conteste
une projection de Louis XIV). En outre, La Fontaine nous livre ses goûts personnels
dans quelques fables où il prône un mode de vie inspiré par l'épicurisme. On peut
même parler de lyrisme et d'une tendance à l'autobiographie, comme dans « Les deux
Pigeons » (« J'ai quelquefois aimé... »).
n Le caractère universel des fables laisse cependant affleurer les préoccupations d'un
homme du XVIIe siècle qui vivait dans le monde de la Cour. La Fontaine n'est pas un
révolutionnaire et ne semblant pas croire aux vertus de l'homme, il préfère lui proposer
des morales pragmatiques. Les fables ressemblent parfois à un manuel de la vie en
société à l'époque classique.
n À l'époque moderne, le terme fable peut qualifier un roman, un film, s'ils nous
délivrent un message moral.

A Le conte philosophique


? 1. Qu'est-ce qu'un conte philosophique ?
n Le conte philosophique, comme son nom l'indique, emprunte au conte et à la phi-

fées de Perrault). La traduction des contes des Mille et Une Nuits va apporter le goût
de l'exotisme.
n Le conte philosophique combine ces différents aspects. Il peut être défini comme un
récit invraisemblable et merveilleux, qui intègre une quête de la vérité par l'exercice
de la raison. Voltaire est le maître du conte philosophique et Candide (1759) l'oeuvre
emblématique du genre.

? 2. Les aspects traditionnels du conte
Éléments
traditionnels

Caractéristiques

Exemples

La structure

un héros doit quitter un univers
protégé pour se lancer dans une
quête. Au cours de celle-ci, il
sera soumis à des épreuves et
rencontrera des adjuvants et des
opposants. Le dénouement permet
au héros de trouver le bonheur.

Candide doit quitter le château
du baron Thunder-ten-tronck. Il
parcourt le monde. Cacambo et
Martin seront des compagnons
f idèles. Ils courront maints
dangers (notamment d'être les
prisonniers des Oreillons, une
tribu anthropophage). Mais enfin,
Candide pourra vivre heureux
dans une métairie, entouré de
ses amis.

Les
personnages

Ils n'ont pas de véritable identité
et leurs noms sont souvent
symboliques.

Les noms de Candide, de
l'Ingénu et de Micromégas sont
lourds de sens et très évocateurs.

Les lieux

Ils sont imaginaires.

Les pays d'Eldorado (Candide) ou
des Gangarides (la Princesse de
Babylone)

Le merveilleux

De nombreux faits sont
extraordinaires.

Candide ne vieillit pas, Pangloss
ressuscite, on rencontre des
Phénix, des moutons rouges...

Le voyage

Les déplacements ont un rôle
initiatique et le héros apprend
bien des choses au fil de son
périple : le conte philosophique est
un récit d'apprentissage.

Après bien des mésaventures qui
prouvent à Candide l'existence
du mal, celui-ci forge sa propre
philosophie : « Cultivons notre
jardin ».

Cours

n Pour distraire, le récit se doit d'être vivant. La Fontaine utilise différents types de vers

25

losophie. Il relève donc de la fiction mais sa visée philosophique fait qu'il recèle une
signification dépassant le récit. C'est un genre qui apparaît au XVIIIe siècle avec le
mouvement des Lumières.
n Il existe des contes moraux et satiriques au Moyen Âge mais ils appartiennent à
la tradition orale. Le VIIe siècle va apprécier cette forme et lui donner des contenus
variés : vocation licencieuse (contes libertins de La Fontaine) ou morale (conte de
166

167

L'argumentation

n Voltaire précise clairement la fonction qu'il assigne au conte philosophique : « Je

C ours

voudrais surtout que, sous le voile de la fable [fable est ici synonyme de récit inventé],
il laissât entrevoir aux yeux exercés quelque vérité fine qui échappe au vulgaire. », Le
taureau blanc. Ce type d'oeuvre suppose un lecteur averti et capable de reconnaître les
codes du récit qui lui est proposé.
n Le choix du conte philosophique permet d'éviter la censure puisque le récit se donne
comme fiction destinée à distraire ; la fantaisie ou le caractère exotique servent de
masques à la critique. Le conte philosophique est une véritable « arme » littéraire au service des idées : il a des sujets de prédilection et une approche particulière de ceux-ci.
sujets essentiels

Approche philosophique

Le pouvoir, les
institutions

Le relativisme

La violence et
l'injustice

Le discours

Le dialogue

- Condamnation de l'arbitraire de la justice.
- Condamnation de la guerre

Le bonheur

Genre

- Critique des formes politiques existantes (en situant l'action
dans un autre pays, lointain ou imaginaire)
- Invention d'un monde meilleur (à l'intérieur d'utopies)
- Confrontation du héros à des situations et à des événements
nombreux, en parcourant le monde (Candide) ou venant
d'ailleurs (Micromégas)
- Face à la diversité des croyances et des pratiques, ils
montrent que la tolérance est préférable au fanatisme.

D Les autres genres argumentatifs majeurs


Quête du héros, à la recherche d'un idéal.

Caractéristique
C'est d'abord une forme orale à caractère
public. Il peut avoir été réellement prononcé :
dans ce cas, il est vrai ; il peut aussi être placé
dans la bouche d'un personnage imaginaire :
il est alors fictif. Le discours est un acte
de communication qui met en relation un
locuteur et un interlocuteur.
Le terme vient du grec dialogos et a été utilisé
pour parler d'un entretien philosophique à
la manière de Platon (philosophe du Ve/IVe
siècle av. J.-C.). À partir de ce modèle antique,
le dialogue a été défini comme un genre
littéraire se caractérisant par l'emploi du style
direct dans une forme dialoguée mettant en
scène un affrontement d'idées.

Exemple
Oraisons funèbres
(1670), Bossuet

Le neveu de
Rameau (17601777), Jacques
le fataliste et son
maître (1773)
Denis Diderot

et philosophie. La démonstration passe par l'anecdote. L'ironie est le procédé par
excellence du conte philosophique. Elle instaure une connivence avec le lecteur qui
apprécie que l'on se moque avec esprit, même si le sujet est sérieux. Le conte philosophique réalise la synthèse, comme la fable, de la littérature de distraction et de
la littérature d'idées.

168

Le mythe de
la caverne, IVe
siècle av. J.-C.,
Platon
La parabole du
bon Samaritain,
Ier siècle apr. J.C., Luc, 10, 30,

Le conte de fées

- Forme liée à la petite enfance, derrière
laquelle se cache un message à portée morale.
- Le conte procède donc de la fiction (c'est
un récit imaginaire) et de l'argumentation,
car il vise à agir sur un public, à le convaincre
d'opter pour telle conduite plutôt que pour
telle autre.

Contes de ma
mère l'Oye,
(1697), Charles
Perrault

L'utopie

n L'originalité de cette forme réside dans le dosage subtil qui s'opère entre narration

L'apologue et la
parabole

- Les apologues sont de courts récits à
vocation pédagogique. L'origine de l'apologue
est attribuée à Platon. Il a été pratiqué dès
l'Antiquité, en Grèce par Esope (VIe siècle
av.J.-C.) et à rome par Phèdre (1er siècle apr.
J.-C.)
- Les paraboles sont liées aux évangiles, qui
relatent la vie du Christ.

- Notion apparue au XVIe siècle dans un
contexte de bouleversement des idées,
l'utopie s'épanouit au XVIIIe siècle avec le
culte de la raison et l'espoir d'une société
meilleure.
- Utopie est un terme issu du grec « topos »
qui désigne le lieu, et « u-» qui pourrait être
un préfixe privatif (l'utopie serait donc « nulle
part »), ou venir du préfixe « eu- » qui renvoie
à l'idée de bonheur (l'utopie serait donc aussi
un lieu idéal).
- À la fin du XIXe, et au XXe siècle, la foi dans
le progrès laisse place au doute et conduit à la
contre-utopie.

Cours

? 3. Les aspects philosophiques

25

- dans Utopia
(1516), Thomas
More décrit une
cité située sur
l'île de nulle part
et régie par un
gouvernement
idéal.
- dans Le Meilleur
des mondes
(1932), Aldous
Huxley décrit
un univers
totalitaire
imaginaire

169

L'argumentation

25

BIOGRAPHIES

BIoGrAPHIEs

n Michel de Montaigne (1533-1592)
humaniste imprégné de culture antique, maire de Bordeaux, ami
d'Étienne de la Boétie, Montaigne est l'inventeur du genre de l'essai.
Écrits dans sa bibliothèque, où il vivait retiré, les trois tomes des Essais
sont restés ouverts aux innombrables ajouts de leur auteur, jusqu'à sa
mort. ils forment une oeuvre monumentale de 107 chapitres.
Montaigne cultive l'art de la digression, passant des confidences autobiographiques aux remarques érudites pour en tirer une philosophie pleine
de sagesse sur tous les sujets de la vie. il y fait preuve de sens critique et
de tolérance. On ne peut pas cantonner Montaigne dans une école philosophique ; seul son penchant au doute le rapproche du scepticisme.
« Je suis moi-même la matière de mon livre : ce n'est pas raison que tu
emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain »
« Parce que c'était lui, parce que c'était moi »

n Blaise Pascal (1623-1662)
Génie précoce, inventeur de la machine à calculer, pascal se convertit à 23
ans au jansénisme. très pieux, il n'abandonne cependant pas ses recherches scientifiques. Ses Pensées sont des notes dispersées, fragmentaires,
qui ont été rassemblées, pascal travaillant à l'écriture d'une Apologie de
la religion chrétienne qui ne fut jamais achevée. il y lutte contre les « puissances trompeuses », telles que l'imagination, la coutume ou l'amour
propre. pascal veut démontrer scientifiquement que l'homme a tout
intérêt à parier pour l'existence de Dieu.
« Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ? »
« L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est
un roseau pensant ».

n Jean de La Fontaine (1621-1695)
Maître des eaux et forêts comme son père, protégé du surintendant Fouquet, La Fontaine s'est plu à décrire ses Fables comme une « ample co médie à cent actes divers ». Directement inspiré du Grec Ésope (Vie siècle
av.J.-C.) et du latin phèdre (ier siècle apr. J.-C.), il renouvelle cependant
le genre de la fable. La Fontaine a créé une poésie qui lui est propre :
la nature y est omniprésente, suggérée plus que longuement décrite.
Le fabuliste, malgré la fantaisie de son univers, est aussi un moraliste
pragmatique : il tire des leçons de l'expérience. La Fontaine veut enseigner à l'homme l'art de saisir son bonheur, dans un monde parsemé
d'obstacles.

170

Doté d'un esprit brillant et d'une plume acerbe, Voltaire s'est déjà fait
connaître par des tragédies. pourtant, ce sont ses oeuvres philosophiques
qui sont restés plus célèbres (contes, dictionnaire, traité...) Voltaire est
très influencé par l'angleterre, qu'il connaît en exil : il y réalise le combat qu'il doit mener en France pour la liberté, contre l'intolérance et
l'immobilisme. en inventant le conte philosophique, Voltaire détourne
le conte de sa vocation d'origine : le divertissement. Le conte devient une
arme critique. L'ironie qui le caractérise tire les intrigues vers le burlesque
et la parodie : il fait ainsi apparaître un second degré de lecture plus pro fond. Micromégas est un conte sur la relativité universelle, Zadig pose le
problème de la destinée...
« Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes » (Candide)
« Il faut cultiver notre jardin » (Candide)

BIoGrAPHIEs

n François Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778)

« Zadig disait : « Je suis donc enfin heureux ! » Mais il se trompait. »
(Zadig)

n Montesquieu (1689-1755)
issu d'une famille noble de Bordeaux, avocat de formation, Montesquieu
s'est intéressé dès sa jeunesse à différents domaines : histoire, sciences
naturelles ou physiologie, dans lesquels ses recherches expérimentales
ont montré très tôt combien il privilégiait l'observation des faits. Ses
Lettres persanes sont une satire des institutions et des moeurs de son
époque : il a dû les publier anonymement à amsterdam pour échap per à la censure. après un grand voyage d'étude dans toute l'europe,
Montesquieu analyse, dans L'Esprit des lois, l'évolution des sociétés, leurs
lois, leurs gouvernements. Sa vision rationaliste de l'histoire provoque la
réaction hostile de l'Église et la mise à l'index de l'ouvrage. Mais, s'il a
inspiré les penseurs révolutionnaires, Montesquieu n'est pas républicain.
il considère que le régime idéal reste la monarchie.
« Ah ! ah ! Monsieur est persan ? C'est une chose bien extraordinaire !
Comment peut-on être persan ? » (Lettres persanes, XXX)
« Point de monarque, point de noblesse, point de noblesse, point de
monarque ; mais on a un despote. » (L'Esprit des lois, II, 4)

Denis Diderot (1713-1784)
responsable, avec d'alembert, de l'Encyclopédie, dont la publication va
s'étendre de 1751 à 1777, Diderot écrit parallèlement à cette tâche im mense des oeuvres personnelles très diverses. il approfondit ses théo ries athées et sa vision matérialiste du monde dans plusieurs ouvrages,

171

« Mon imitation n'est point un esclavage.» (Epistre à Huet)
« Une morale nue apporte l'ennui.» (Fables, VI, I)
« Je tâche d'y tourner le vice en ridicule.» (Fables, V, 1)

comme la Lettre sur les Aveugles à l'usage de ceux qui voient, le Rêve de d'Alembert, ou les Pensées
sur l'interprétation de la nature. Dans ses romans, La Religieuse, Le Neveu de Rameau et Jacques le
Fataliste, il aborde des thèmes philosophiques tels que la liberté, la morale. Ses pièces de théâtre
appliquent sa théorie du drame bourgeois. Diderot est par ailleurs un critique d'art très fin,
cherchant à retrouver dans la peinture les qualités du drame bourgeois.
« L'homme est le terme unique d'où il faut partir et auquel il faut tout ramener »,
(l'Encyclopédie)
« Il faut souvent donner à la sagesse l'air de la folie afin de lui procurer ses entrées » (Le Rêve
de d'Alembert)
« Il est bien évident que je ne fais pas un roman, puisque je néglige ce qu'un romancier ne
manquerait pas d'employer ». (Jacques le Fataliste)

L'argumentation

L'essentiel à retenir

n

Les cinq types d'arguments : logique, de valeur, d'expérience, d'autorité, ad hominem.

n

Les différents genres de fictions argumentatives :

La parabole

L'EssENTIEL

On agit sur la raison

- texte en vers comportant un récit et une morale, mettant souvent en
scène des animaux.
- Genre issu de l'antiquité, remis à la mode au XViie siècle.
histoire qui comporte des éléments empruntés au merveilleux, repose
sur un schéma narratif précis et possède une fonction pédagogique.

Le conte
philosophique

Genre apparu au XViiie siècle, lié au mouvement des Lumières. récit qui
unit fantaisie et dénonciation.

L'utopie

convaincre

récit court qui délivre un enseignement moral, issu de l'antiquité.

Le conte

L'argumentation vise à :

récit court et imagé, souvent religieux .

L'apologue
La fable

n

apparue au XVie siècle : évocation d'un lieu imaginaire et idéal

délibérer

persuader

On agit sur les
sentiments

On pèse le pour
et le contre

n L'argumentation peut appartenir au réel (discours effectivement prononcé, lettre
ouverte publiée) ou à la fiction (monologue théâtral).
n L'analyse des procédés argumentatifs nécessite la prise en compte de la situation
d'énonciation (qui est l'émetteur ? qui est le destinataire ?), du contexte (intimité, vie
publique, politique...), du sujet traité, du registre (polémique, satirique, didactique, iro nique, pathétique).

n

L'EssENTIEL

?

5

Les genres argumentatifs ne relevant pas de la fiction :

L'essai

OEuvre en prose, à visée argumentative.

Le dialogue

Forme dialoguée nécessitant l'emploi du style direct, mettant en scène
un affrontement d'idées.

Le dicours

Forme orale à caractère public

n Les cinq types d'arguments : logique, de valeur, d'expérience, d'autorité, ad hominem.
n Définitions à connaître
Thème

Le sujet sur lequel porte l'argumentation

thèse

Opinion dont on est convaincu et que l'on veut faire partager en argumentant :
on défend, on soutient une thèse, et on réfute une thèse adverse.

argument

raison convaincante au service d'une thèse

exemple

elément concret emprunté à la réalité ou à la culture et qui vient illustrer un
argument.

n

Les types de raisonnement :

Le raisonnement
par déduction

172

Le raisonnement
par induction

Le raisonnement
par analogie

173

L'argumentation

s uJET BAC

L'argumentation :
convaincre, persuader, délibérer

Corpus

Texte A Montaigne, « De l'amitié », Essais I, XXVII, 1580-1595

Montaigne a rencontré Étienne de La Boétie, écrivain et poète, en 1558. Il avait alors
25 ans et son ami 28. Leur amitié sans faille fut brutalement interrompue par la mort
prématurée de La Boétie 5 ans plus tard.
1

5

Texte A Montaigne, « De l'amitié », Essais I, XXVII, 1580-1595
Texte B La Fontaine, « Les deux amis », Fables, livre VIII, 1678-1679
Texte C saint-Exupéry, Le petit Prince, chap. XXI, 1946

QuEstion

10

15

Identifiez les genres littéraires auxquels appartiennent les textes du corpus :
quels éléments caractéristiques vous permettent de les déterminer ?

trAvAiL D'éCriturE

20

1 Commentaire
Vous commenterez le texte de Montaigne (texte A).

2

Dissertation

25

Pourquoi les différents genres argumentatifs de l'essai, de la fable et du conte
philosophique mettent-ils en relation des idées générales et des cas particuliers ? Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant
appui sur les textes du corpus et sur ceux que vous avez lus ou étudiés.

3

Ecriture d'invention

L'auteur d'un essai sur le thème de l'amitié, madame A., propose à son éditeur,
monsieur B., d'y ajouter un des trois textes ci-dessus, qu'elle considère comme
essentiel. Imaginez la lettre dans laquelle elle en fait l'éloge, afin de persuader
l'éditeur de la nécessité de cet ajout.
174








8


[...] Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne
sont qu'accointances1 et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité2,
par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent3 . En l'amitié de quoi je parle, elles
se mêlent et confondent l'une en l'autre d'un mélange si universel qu'elles effacent
et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi
je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant: « Parce que c'était
lui; parce que c'était moi. »
Il y a, au-delà de tout mon discours et de ce que j'en puis dire particulièrement,
ne sais quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union. Nous nous
cherchions avant que de nous être vus, et par des rapports que nous entendions l'un
de l'autre, qui faisaient en notre affection plus d'effort que ne porte la raison des
rapports, je crois par quelque ordonnance du ciel : nous nous embrassions par nos
noms. Et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et réunion
de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si liés entre nous, que rien dès lors
ne nous fut si proche que l'un à l'autre. Il écrivit une satire5 latine excellente, qui est
publiée, par laquelle il excuse et explique la précipitation de notre intelligence6, si
promptement parvenue à sa perfection. Ayant si peu à durer, et ayant si tard commencé, car nous étions tous deux hommes faits, et lui plus de quelques années7, elle
n'avait point à perdre temps, et à se régler au patron des amitiés molles et régulières,
auxquelles il faut tant de précautions de longue et préalable conversation. Celle-ci
n'a point d'autre idée que d'elle-même, et ne se peut rapporter qu'à soi; ce n'est pas
une spéciale considération8, ni deux, ni trois, ni quatre, ni mille : c'est je ne sais quelle
quintessence de tout ce mélange, qui, ayant saisi toute ma volonté, l'amena se plonger
et se perdre dans la sienne qui, ayant saisi toute sa volonté, l'amena se plonger et
se perdre en la mienne, d'une faim, d'une concurrence9 pareille. Je dis perdre, à la
vérité, ne nous réservant rien qui nous fût propre, ni qui fût ou sien ou mien.

suJET BAC

suJET DE BAC 1
ÉtuDe D'un enSeMBLe DOCuMentaire

25

accointances : relations
commodité : avantage, profit
s'entretiennent : se maintiennent ensemble
fatale : voulue par le destin
satire : pièce de vers dans laquelle La Boétie célèbre son amitié avec Montaigne.
intelligence : entente
quelques années : Montaigne avait  ans, La Boétie 8. Leur amitié dura de  à .
considération : estime
Concurrence : identité de désirs, convergence d'humeurs

175

L'argumentation

1

suJETs BAC

5

10

15

20

25

30

Deux vrais amis vivaient au Monomotapa
L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre.
Les amis de ce pays-là
Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.
Une nuit que chacun s'occupait au sommeil,
Et mettait à profit l'absence du soleil,
Un de nos deux amis sort du lit en alarme;
II court chez son intime, éveille les valets
Morphée10 avait touché le seuil de ce palais.
L'ami couché s'étonne, il prend sa bourse, il s'arme;
Vient trouver l'autre, et dit: Il vous arrive peu
De courir quand on dort; vous me paraissez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme.
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu,
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle
Etait à mes côtés: voulez-vous qu'on l'appelle ?
- Non; dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point
Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu;
J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru.
Ce maudit songe en est la cause. «
Qui d'eux aimait le mieux ? Que t'en semble, lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose!
II cherche vos besoins au fond de votre coeur ;
II vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.

Texte C Saint-Exupéry, Le petit Prince, chap. XXI, 

Dans le chapitre XXI, le petit prince, qui a quitté sa planète pour la terre, fait la rencontre
d'un renard. Entre eux naît un dialogue.
1

5

10

15

20

25

30

35

0 Morphée : divinité qui dispense aux mortels le sommeil

176

- Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie « apprivoiser » ?
- C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens... »
- Créer des liens?
- Bien sûr, dit le renard. Tu n'es pas encore pour moi qu'un petit garçon tout
semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas
besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille
renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour
moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde...
- Je commence à comprendre, dit le petit prince. Il y a une fleur... je crois qu'elle
m'a apprivoisé...
- C'est possible, dit le renard. On voit sur terre toutes sortes de choses...
- Oh ! Ce n'est pas sur terre, dit le petit prince.
Le renard parut très intrigué :
- Sur une autre planète ?
- Oui.
- Il y a des chasseurs, sur cette planète-là ?
Non.
- Ça, c'est intéressant ! Et des poules?
-Non.
- Rien n'est parfait, soupira le renard.
Mais le renard revint à son idée :
- Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes
les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m'ennuie donc
un peu. Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un
bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous
terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde! Tu
vois là-bas, les champs de blé? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile.
Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste! Mais tu as des cheveux
couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé! Le blé qui est
doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé...
Le renard se tut et regard longtemps le petit prince :
- S'il te plait... apprivoise-moi, dit-il.
- Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps.
J'ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
- On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard. Les hommes
n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les
marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont

suJETs BAC

Texte B La Fontaine, « Les deux amis », Fables, livre VIII, 1678-1679

25

177

L'argumentation

40

plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi!
- Que faut-il faire ? dit le petit prince.
- Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin
de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'oeil et tu ne diras rien.
Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un
peu plus près...

25

suJET DE BAC 2

L'argumentation : convaincre, persuader, délibérer
Les réécritures



© Éditions, 196

Corpus
Texte A Ésope, « Le lion et le rat reconnaissant », Fables, VIIe / VIe siècle avant J.-C.
Texte B Clément Marot, « À son ami lion », Épistres, L'Adolescence Clémentine, 1534
Texte C Jean de La Fontaine, « Le lion et le rat », Fables, 1678-1679

suJET BAC

suJETs BAC

Antoine de Saint-Exupéry, Le petit Prince, chapitre XXI,

QuEstion
Comparez la place du récit par rapport à celle de la morale dans les trois versions
de cette fable.

trAvAiL D'éCriturE
1 Commentaire
Vous ferez un commentaire comparé du texte de La Fontaine (texte C) et de
celui de Marot (texte B) en vous limitant pour ce dernier aux vers  à .

2 Dissertation
Pourquoi, dans les fables ou les contes, les personnages principaux sont-ils parfois des animaux plutôt que des humains ? Quel intérêt y trouvent les auteurs ?

3 Ecriture d'invention
À votre tour, inventez un récit original en prose, dont la morale sera semblable
à l'une de celles que propose La Fontaine dans « Le lion et le rat », mais dont le
contexte et les personnages seront très différents.
178

179

Texte A Ésope, « Le lion et le rat reconnaissant »,
Fables, VIIe / VIe siècle avant J.-C., traducteur anonyme
1

suJETs BAC

5

Tandis qu'un lion dormait, un rat s'en approcha, fit cent tours autour de lui, enfin
s'émancipa jusqu'à sauter sur sa coupe. Le lion s'en éveilla, le prit, et fut sur le point
de l'écraser ; mais le jugeant indigne de sa colère, il le lâcha. Celui-ci, qui lui devait
la vie, trouva bientôt l'occasion de s'en revancher ; car quelques jours après, le lion
tomba dans les filets des chasseurs. La forêt retentit de ses rugissements; à ce bruit
le rat accourut, rongea les mailles des réseaux qui enveloppaient son bienfaiteur, et
fit si bien qu'il le délivra.

30

Ésope, Fables, VII /VI siècle avant J.-C., traducteur anonyme
e

e

Texte B Clément Marot, « À son ami lion », Épistres, L'Adolescence Clémentine, 1534

À son ami lion
1

5

10

15

20

Cettui2 lion, plus fort qu'un vieux verrat3,
Vit une fois que le rat ne savait
Sortir d'un lieu, pour autant qu'il avait
Mangé le lard et la chair toute crue ;
Mais ce lion (qui jamais ne fut grue)
Trouva moyen et manière et matière,
D'ongles et dents, de rompre la ratière,
Dont maître rat échappe vitement,
Puis met à terre un genou gentement,
Et en ôtant son bonnet de la tête,
A mercié mille fois la grand'bête,
Jurant le Dieu des souris et des rats
Qu'il lui rendrait. Maintenant tu verras
Le bon du compte. Il advint d'aventure
Que le lion, pour chercher sa pâture,
Saillit dehors sa caverne et son siège,
Dont (par malheur) se trouva pris au piège,
Et fut lié contre un ferme poteau.
Adonc le rat, sans serpe ni couteau,
Y arriva joyeux et esbaudi5,
Et du lion (pour vrai) ne s'est gaudi6,

 Son ami lion : le poème est adressé à Léon Jamet, un ami de Marot. Le poète joue sur la ressemblance entre « Léon »
et « lion ».
 Cettui : ce
 Verrat : cochon
 Mangé le lard : allusion de Marot à sa propre vie : il a été emprisonné pour avoir mangé du lard en carême
 esbaudi : réjoui
 gaudi : moqué

180

25

35

40

45

50

55

Mais dépita chats, chattes, et chatons
Et prisa fort rats, rates et ratons,
Dont il avait trouvé temps favorable
Pour secourir le lion secourable,
Auquel a dit : « Tais-toi, lion lié,
Par moi seras maintenant délié :
Tu le vaux bien, car le coeur joli as ;
Bien y parut quand tu me délias.
Secouru m'as fort lionneusement ;
Or secouru seras rateusement. »
Lors le lion ses deux grands yeux vertit7,
Et vers le rat les tourna un petit
En lui disant : « Ô pauvre verminière8
Tu n'as sur toi instrument ni manière,
Tu n'as couteau, serpe ni serpillon,
Qui sût couper corde ni cordillon,
Pour me jeter de cette étroite voie.
Va te cacher, que le chat ne te voie.
- Sire lion, dit le fils de souris,
De ton propos, certes, je me souris :
J'ai des couteaux assez, ne te soucie,
De bel os blanc, plus tranchants qu'une scie ;
Leur gaine, c'est ma gencive et ma bouche ;
Bien couperont la corde qui te touche.
De si très près, car j'y mettrai bon ordre. »

25

suJETs BAC

L'argumentation

Lors sire rat va commencer à mordre
Ce gros lien : vrai est qu'il y songea
Assez longtemps ; mais il le vous rongea
Souvent, et tant, qu'à la parfin9 tout rompt,
Et le lion de s'en aller fut prompt,
Disant en soi : « Nul plaisir, en effet,
Ne se perd point quelque part où soit fait. »
Voilà le conte en termes rimassés 10
Il est bien long, mais il est vieil assez,
Témoin Ésope, et plus d'un million.

 vertit : bougea
8 verminière : vermine
 Parfin : fin
0 Rimassés : rimés

181

Corrigés

suJETs BAC

Texte C Jean de La Fontaine, « Le lion et le rat », Fables, 1678-1679

Le Lion et le Rat
1

5

10

15

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux Fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un Lion
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un Lion d'un Rat eût affaire ?
Cependant il advint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets11,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

suJET DE BAC 1
QuEstion
AnALySER LE SUJEt

Chacun des genres argumentatifs au programme est représenté dans le corpus. Malgré leur thème commun, les textes ont des caractéristiques formelles très différentes.
Repérez les détails qui permettent de distinguer chaque genre.
Les trois textes appartiennent chacun à un genre différent.
Le premier, écrit par Montaigne, est caractéristique du genre de l'essai. Son argumentation est justifiée par le recours à une allusion autobiographique. Montaigne réfute
la thèse commune sur l'amitié « ordinaire », et étaye sa conception de l'amitié fusionnelle
et inconditionnelle par un exemple personnel qui a valeur d'argument. Sa réflexion claire
repose entièrement sur le développement de cet exemple.
Le deuxième texte est une fable de La Fontaine : il s'agit d'un court récit, ici en vers,
destiné à illustrer la thèse « qu'un ami véritable est une douce chose ». On remarque que
la morale se détache du récit : elle est située à la fin de la fable, elle est au présent de vérité
générale. Le ton du récit est vif et plaisant.
Le dernier texte est extrait d'un conte philosophique de Saint-Exupéry. Les personnages sont caractéristiques de l'univers du conte (un renard qui parle, un prince). Le récit
n'est pas réaliste : le petit prince vient d'une autre planète. Mais l'histoire a une portée
didactique générale: le renard enseigne au petit prince la valeur de l'amitié. Le conte
philosophique est en général plus long qu'une fable : ici, les personnages font allusion
à des événements passés (l'histoire entre le petit prince et sa rose) et à des événements
futurs (le projet d'apprivoiser le renard).

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60

Or viens me voir pour faire le lion,
Et je mettrai peine, sens et étude
D'être le rat, exempt d'ingratitude,
J'entends, si Dieu te donne autant d'affaire
Qu'au grand lion, ce qu'il ne veuille faire.

LE CommEntAirE
AnALySER LE SUJEt

Les Essais constitue une référence culturelle fondamentale pour un élève de première.
Situez Montaigne dans le courant humaniste (voir cours p. XX). Trois thèmes intéressants peuvent être développés. Comment différencie-t-il son amitié pour La Boétie
des amitiés ordinaires ? Comment l'intensité de leur relation est-elle mise en valeur ?
Quelles difficultés rencontre Montaigne pour définir leur lien ?
 rets : filets

182

Attention : les titres en couleur sont là pour vous guider dans la lecture des corrigés : en
aucun cas, on ne doit les trouver dans une copie.

183

Le monde en 1945

Au XVI siècle, Montaigne a créé, avec les Essais un genre nouveau, « ondoyant », car
il suit le cours de ses pensées, sans prétendre épuiser les sujets qu'il aborde tour à tour.
Parce qu'il pense que chaque être humain porte en lui « la forme entière de l'humaine
condition », il puise dans sa propre expérience la matière de sa réflexion. Dans le chapitre
du livre I intitulé « De l'Amitié », il analyse les liens profonds, exceptionnels, qui l'ont uni
à Etienne de La Boétie, depuis leur rencontre en 1558, jusqu'à la mort de son ami, cinq
ans plus tard. Mêlant le récit autobiographique à l'argumentation, Montaigne cherche à
définir les caractéristiques de l'amitié idéale. Mais comment exprimer l'indicible d'une
telle communion des âmes ? Pour décrire cet absolu, d'une part Montaigne oppose ce
sentiment exceptionnel aux amitiés ordinaires ; d'autre part, il rend compte de l'intensité
de cette relation ; enfin, il insiste sur le mystère de cette complicité unique.

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e

Développement
I. L'opposition entre l'amitié véritable et les amitiés ordinaires

La dépréciation des amitiés ordinaires permet à Montaigne de valoriser, par contraste,
la véritable amitié qu'il a éprouvée pour La Boétie. Il tient à faire d'emblée la distinction
entre une acception commune, médiocre, de l'amitié, et le sentiment exceptionnel qui
le liait à son seul grand ami.
. L'opposition entre la singularité de l'amitié vraie et la pluralité des fausses amitiés

Au début du texte, l'auteur oppose la multiplicité des relations courantes au caractère
unique de l'amitié véritable : « accointances », « familiarités », « amitiés », « amis » sont
tous au pluriel, et ils s'opposent à « l'amitié de quoi je parle » dont la singularité est
ainsi renforcée. De même, on observe un changement dans l'utilisation des pronoms,
car Montaigne passe du « nous » (dans la première phrase) au « je », dans la deuxième
phrase. La véritable amitié ne semble pas un sentiment répandu : il s'agit d'une expérience singulière, exceptionnelle.
. L'opposition du vocabulaire péjoratif et du vocabulaire mélioratif De plus, le lexique s'appliquant aux amitiés courantes est parfois péjoratif (« amitiés molles et régulières »). La formule restrictive : « ce ne sont qu'accointances », ou l'adjectif indéfini dans
l'expression « quelque occasion » contribuent à dévaloriser ces relations. De même, la
connotation de « tant de précautions de longue et préalable conversation » est péjorative :
« tant de » sous-entend un excès, et cette formule construite en expansion, volontairement lourde, est à l'image de la lenteur des relations ordinaires. Cela valorise d'autant
plus a contrario la fulgurance de son amitié véritable pour La Boétie et le vocabulaire
mélioratif qui s'y rattache (« perfection », « quintessence »...)
. Opposition entre relations rationnelles et amitié inexplicable Enfin, ces amitiés ordinaires sont explicables, alors que l'amitié véritable est irrationnelle. Les relations courantes
se créent par intérêt : « nouées par quelque occasion ou commodité ». En revanche, la cause
de son amitié pour La Boétie tient de la fatalité. Il parle de « force inexplicable et fatale ».
184

Cette opposition entre les deux conceptions de l'amitié prouve la rigueur intellectuelle de Montaigne : il veut distinguer des notions qu'on pourrait confondre (les amitiés
communes et la véritable amitié, sentiment exceptionnel). On perçoit au passage qu'il
méprise plutôt les relations superficielles et mondaines. Mais cette opposition lui permet
surtout de mieux définir par contraste un sentiment extrêmement intense.
II. L'intensité de la relation entre Montaigne et la Boétie

Pour traduire l'aspect extraordinaire de cette amitié, Montaigne insiste aussi sur son
intensité par divers moyens.
. La récurrence des adverbes d'intensité Tout d'abord, il utilise de nombreux adverbes
d'intensité qui accentuent les mots qui leur sont liés: « si universel », « si promptement »,
« si proche ». L'expression « Si pris, si connus, si liés », grâce au rythme ternaire, se trouve
mise en valeur. De même, on trouve en parallèle « si peu » et « si tard ». Montaigne fait
à cet endroit le lien entre la courte durée de leur relation et son intensité, inversement
proportionnelle. La gradation ascendante : « ce n'est pas un, ni deux, ni trois, ni quatre,
ni mille » culmine ensuite avec le terme mélioratif « quintessence ». On remarque aussi la
récurrence du vocabulaire à valeur d'absolu : « rien dès lors », « rien qui nous fût propre »,
« tout mon discours », « tout ce mélange », « toute ma volonté », « toute sa volonté ».
. La mise en relief de la réciprocité De plus, l'intensité de leur relation est traduite
par la mise en valeur de sa réciprocité. Montaigne joue avec les structures de phrases pour
donner une image parfaite de cette relation. Il utilise des parallélismes de construction.
« Parce que c'était lui ; parce que c'était moi » est une formule brève restée célèbre qui a
fait la preuve de son efficacité, puisque c'est une des meilleures définitions de l'amitié.
On peut observer la virtuosité du jeu sur les pronoms et les adjectifs possessifs dans
la structure parallèle plus ample située à la fin de l'extrait, qui semble abolir l'altérité,
en fusionnant première et troisième personne : « ce mélange qui, ayant saisi toute ma
volonté, l'amena se plonger et se perdre dans la sienne qui, ayant saisi toute sa volonté,
l'amena se plonger et se perdre en la mienne ». Le jeu sur les pronoms se poursuit à la
fin de l'extrait où le « nous » fusionne les deux personnalités : « ne nous réservant rien
qui nous fût propre, ni qui fût ou sien ou mien. ». La réciprocité de leur relation est
même littéraire : comme Montaigne qui décrit leur rencontre dans ses Essais, La Boétie l'a
évoquée dans une satire latine. Le renvoi intertextuel au texte de son ami est une ultime
forme de dialogue entre les deux intellectuels.
. Les points communs entre cette amitié et l'amour Cette relation ne s'apparente
t'elle pas à de l'amour, tout simplement ? C'est ce que tend à prouver le lexique : « je
l'aimais », « nous nous embrassions » et surtout « union », qui est un terme très fort
pour une amitié. De même, le thème de la première rencontre est largement développé,
comme dans tout bon récit romanesque d'une histoire d'amour, et la fulgurance de cette
rencontre a tout d'un coup de foudre.
Cependant, l'intensité de leur amitié semble dépasser toute détermination courante.
Et Montaigne montre bien la difficulté à expliquer la nature de ce lien inédit.

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Introduction

25

185

Le monde en 1945

Cette amitié véritable semble irrationnelle, voilà pourquoi Montaigne utilise des
détours pour la qualifier, et la place sous le signe de la fatalité « inexplicable »
. Des difficultés d'expression contournées Les difficultés de Montaigne à traduire
ce lien si fort sont perceptibles à travers ses approximations : « ne sais quelle force », « je
ne sais quelle quintessence ». L'expression « au-delà de tout mon discours » révèle aussi
que leur relation est de l'ordre de l'indicible, par delà les mots. Quand Montaigne affirme : « nous nous cherchions avant que de nous être vus », c'est à travers un paradoxe
qu'il montre le caractère peu conforme de leur rencontre. L'écrivain a aussi recours à bon
nombre de métaphores, qui sont autant de détours verbaux pour évoquer son amitié :
« la couture », « la faim », « le mélange », « se plonger », « se perdre ». Alors que le champ
lexical ordinaire de l'amitié resterait impuissant à rappeler la force de ses sentiments, les
métaphores en sont une image plus fidèle.
. Le rôle du ciel Enfin, Montaigne, faute d'explication rationnelle, attribue leur
rencontre à « quelque ordonnance du ciel » ou à une « force inexplicable et fatale ». Leur
histoire commune deviendrait une sorte de Mystère, au sens religieux du terme. Elle
semble être née d'une volonté divine, ou du moins être le fruit du destin. Mais l'écrivain
n'est pas mystique, et il n'insiste pas sur cette interprétation religieuse des faits. Montaigne
évoque aussi le « hasard » de la fête. La formule lapidaire : « parce que c'était lui ; parce
que c'était moi » reste d'ailleurs la meilleure définition de ce lien. « Lui », « moi » : les
causes de l'amitié, réduites à de simples pronoms personnels, sont bien humaines avant
tout...
Conclusion

C'est en opposant son amitié pour la Boétie aux amitiés ordinaires, c'est en insistant
sur son intensité, et sur son aspect indicible, que Montaigne parvient à donner une
idée du caractère exceptionnel de leur relation. Celle-ci est devenue emblématique, et
cette expérience personnelle a acquis une valeur universelle, puisqu'elle est devenue le
symbole de l'amitié parfaite. Le lien singulier entre Montaigne et La Boétie s'est imposé
comme modèle idéal. Depuis, chacun ne cherche t'il pas à connaître pareil sentiment de
complicité avec son meilleur ami ? Cet extrait est d'ailleurs resté l'un des plus célèbres
des Essais. Il serait intéressant de connaître la satire latine écrite par la Boétie sur le thème
de leur rencontre pour savoir combien leurs textes se répondent.

DissErtAtion
AnALySER LE SUJEt

Les mots-clés du sujet
- Idées générales : elles renvoient aux thèses développées par les auteurs mais aussi
aux arguments. Elles sont plutôt abstraites.
- Cas particuliers : ce sont les exemples (illustratifs ou démonstratifs).
- Relation : étudiez le lien logique entre ces deux notions : comment s'articulent
exemples et arguments ?
- Différents genres argumentatifs : sachez bien définir essai, fable et conte
philosophique. Les cas particuliers n'y ont pas forcément le même rôle dans
l'argumentation. Didactique dans la fable et le conte philosophique, l'exemple est
plus souvent démonstratif dans l'essai.
Le plan
La question posée ne demande pas une réponse par oui ou par non, il ne s'agit pas
de discuter une thèse, on n'attend donc pas un plan de type « thèse/antithèse ».
Choisissez pourtant un plan dialectique : les exemples illustrent-ils l'idée générale
ou bien servent-ils à la concevoir ?

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C orrIGÉs
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III. Une relation indicible

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Les titres entre crochets sont là pour vous guider dans la lecture des corrigés : en aucun
cas, on ne devrait les trouver dans une copie.

Introduction

Les genres argumentatifs sont nombreux. Parmi eux, l'essai, inventé par Montaigne,
est le plus flou, le plus libre dans sa forme, puisqu'il suit les pensées de son auteur. La fable
et le conte philosophique sont des variantes de l'apologue : ce sont des récits qui ont une
visée didactique. L'auteur raconte une histoire pour convaincre son lecteur : elle contient
une leçon explicite ou implicite. Le point commun de tous les genres argumentatifs est de
mettre en rapport des idées générales et des cas particuliers. Pourquoi associer concepts
et exemples, abstrait et concret ? Nous considérerons tout d'abord la nécessité pour les
auteurs de plaire aux lecteurs. Ensuite, nous nous demanderons si les exemples ne sont pas
nécessaires pour valider les idées générales. Enfin, nous envisagerons le fait que certains
types d'exemples peuvent parfois faire naître une idée générale.
I. La concrétisation du discours abstrait : un élément de séduction

Les oeuvres littéraires argumentatives ont aussi une valeur esthétique : pour attirer
le lecteur, et le convaincre, l'écrivain a intérêt à lui plaire. Le fait de développer des cas
particuliers (exemples piquants, anecdotes, expériences autobiographiques, récits symboliques) est un élément de séduction, qui est en soi didactique.

186

187

. Une lecture plaisante Le but affirmé de la Fontaine à travers ses Fables était bien
de plaire. Ses récits peuplés d'animaux, qui évoquent « le temps où les bêtes parlaient »
renvoient à un monde merveilleux, plein de charme. Dans « Le pouvoir des fables », La
Fontaine montre la peine d'un orateur à captiver son public sur un sujet grave, menaçant
sa patrie, avec un discours éloquent et alarmiste. Voyant le peu d'impact de ses propos,
l'orateur décide d'avoir recours à une fable où il est question d'une anguille et d'une
hirondelle. Aussitôt, son public, jusque là indifférent, se passionne, réagit. La Fontaine
conclut ce récit par ces vers :
« Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encore comme un enfant. »
Montaigne lui-même lisait avec délectation des recueils d'anecdotes extraordinaires,
qu'il reprenait ensuite dans ses Essais, comme l'histoire de cet homme, mort parce qu'une
tortue, lâchée par un oiseau en plein vol, lui tombe sur la tête. L'être humain raffole des
histoires croustillantes, en cela il conserve une âme d'enfant. Les anecdotes farfelues dont
Montaigne farcit ses Essais s'intègrent dans sa réflexion philosophique : l'homme tué par
une tortue participe de sa réflexion plus générale sur la mort. Tous ces cas particuliers
étranges en rendent sa lecture beaucoup plus plaisante.
. La fonction didactique de l'apologue D'autre part, les exemples ont une fonction
didactique : ils permettent de simplifier les aspects d'une thèse, en la faisant passer de
l'abstrait au concret. Dans les Fables de La Fontaine, les animaux offrent des traits psychologiques schématisés, qui permettent de rendre les leçons plus claires : la cigale est
insouciante, la fourmi est économe, le renard est rusé, le loup ne pense qu'à manger,
etc.... Cette simplicité contribue à styliser certains traits humains, et les leçons de la fable
sont plus faciles à saisir. C'est aussi le cas dans le petit Prince de Saint Exupéry : chaque
personnage rencontré par le héros est symbolique. Ici, le renard est plutôt un exemple
de solitude et de sagesse. La Fontaine affirmait qu'il utilisait « les animaux pour instruire
les hommes ».
Bilan-transition Ainsi, le fait de développer des cas particuliers dans les textes argumentatifs est une sorte de « captatio benevolentiae » : piqué par la curiosité, attiré par les
récits et les anecdotes, le lecteur sera plus perméable aux thèses de l'auteur. En cela, les
exemples ont un pouvoir didactique. Cependant, ce n'est pas leur valeur essentielle. Allons plus loin : pourquoi est-il indispensable qu'un argument soit illustré par un exemple
dans un bon texte argumentatif ?

II. La validation de l'argument par l'exemple

On peut estimer que les exemples sont essentiels à la thèse qu'ils accompagnent parce
qu'ils la valident. Sans cas particulier pour l'appuyer, l'idée générale n'a pas de valeur.
. Les risques de l'argumentation sans référence concrète L'argumentation qui se
fonderait uniquement sur une logique interne, sans se référer à des cas pratiques, serait
risquée. Le syllogisme qui est un raisonnement déductif en trois parties peut aboutir ainsi
188

à des absurdités bien connues, s'il ne prend pas en compte la réalité. « Un cheval rare est
cher. Un cheval à trois pattes est rare. Donc : un cheval à trois pattes est cher. » Les trois
parties de ce syllogisme s'enchaînent logiquement, mais elles ne prennent pas en compte
la réalité, et aboutissent donc à une absurdité. Cependant, il existe des textes argumentatifs
de valeur fondés entièrement sur des idées générales, sans qu'elles soient validées par des
exemples : c'est le cas des Maximes de la Rochefoucauld, au XVIIe siècle qui constituent
un recueil d'aphorismes. Ce genre est une exception qui confirme la règle...
. La preuve par l'exemple Les exemples peuvent servir à vérifier une intuition. On
va chercher des cas pratiques qui concrétisent l'abstraction pour la valider. « Le lion et
le rat » de La Fontaine illustre le fait qu' « on a souvent besoin d'un plus petit que soi ».
D'ailleurs, le fabuliste énonce cette morale au début de la poésie, et le récit qui suit semble
être construit comme sa démonstration. Il s'agit certes d'un exemple animalier, fictif, qui
n'a rien d'une preuve au sens scientifique, réel, mais c'est bien le récit qui valide la thèse.
L'histoire est transposable dans le monde des humains, elle a une portée générale qui fait
sa valeur. Ainsi, dans la Fable « les deux amis », on constate que le pays fantaisiste où La
Fontaine place son histoire, le « Monomotapa », est à la fois ailleurs et ici. L'auteur insiste
sur l'aspect transposable de sa fiction par ces vers, au début du poème : « Les amis de ce
pays-là/ Valent bien, dit-on, ceux du nôtre ». La morale finale «Qu'un ami véritable est
une douce chose ! » est bien validée par le récit qui précède.
. La preuve ironique par le contre-exemple Parfois, dans les textes ironiques des
Lumières, l'exemple constitue une preuve du contraire de ce que l'auteur affirme vouloir
démontrer : ce qui montre aussi le rôle décisif de l'exemple. Ainsi, Montesquieu, dans
un passage de L'Esprit des lois, intitulé « de l'esclavage des nègres » utilise une argumentation par l'absurde destinée à rendre odieux le principe même de l'esclavage aux yeux
du lecteur. Il utilise les exemples à contresens pour réfuter la thèse qu'il fait semblant
de défendre. « Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence de
l'humanité, que les peuples d'Asie, qui font les eunuques, privent toujours les noirs du
rapport qu'ils ont avec nous d'une façon plus marquée ». Ici, l'exemple asiatique, qui
évoque une pratique cruelle, barbare, démontre bien l'absurdité de l'argument. Ce cas
particulier (la façon de faire les eunuques en Asie) invalide l'idée générale qu'il est sensé
défendre : le lecteur occidental ne peut que se révolter devant une telle justification de
l'infériorité supposée de la couleur noire. L'exemple pris par Montesquieu est une preuve
du contraire de ce qu'il prétend prouver : on voit bien ici le rôle décisif de l'exemple par
rapport à l'argument.
Bilan-transition On a donc pu constater que l'exemple a une fonction essentielle par
rapport à l'idée abstraite: en l'appuyant, en l'illustrant, il constitue une sorte de preuve.
Mais parfois, c'est en partant d'un cas particulier qu'un auteur parvient à construire une
réflexion générale. Alors, l'exemple ne vient pas seulement appuyer la démonstration,
mais il l'engendre.

25

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C orrIGÉs
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Le monde en 1945

189

Le monde en 1945

Tandis que le genre de l'apologue, qui englobe fable et conte philosophique, utilise
les récits pour illustrer une thèse, il semble que l'essai, plus fréquemment, part d'observations particulières pour établir des lois générales. Parfois, l'exemple a même valeur
d'argument.
. De l'intime à l'universel Ainsi, dans le passage des Essais où Montaigne évoque
son amitié avec la Boétie, on voit bien que la matière première de sa réflexion est de
nature autobiographique. Il évoque même le contexte de leur rencontre, dans une fête
publique. Pourtant, il en tire une définition universelle de l'amitié : « parce que c'était
lui ; parce que c'était moi ». D'ailleurs, on trouve l'adjectif « universel » dans cet extrait.
Montaigne, philosophe humaniste, affirme que chaque homme porte en lui « la forme
entière de l'humaine condition » : c'est ainsi qu'en partant de son propre exemple, de
ses expériences vécues, il pense pouvoir offrir au lecteur un bon reflet de lui-même, et
aboutir à des réflexions valables pour tous.
. La méthode empirique Cette méthode empirique de réflexion va être adoptée
dans toutes les sciences humaines : qu'on lise un essai d'économie ou de sociologie, les
auteurs partent toujours d'observations concrètes, (statistiques, faits d'actualités, etc...)
pour en induire une réflexion d'ordre général. Dans Moeurs et sexualité en Océanie, Margaret Mead, brillante anthropologue, observe différentes tribus isolées de la civilisation
moderne, près de l'océan indien. Elle constate que dans certaines peuplades, ce sont les
femmes qui vont à la chasse, prennent les armes, tandis que les hommes s'occupent des
enfants, font la cuisine : ces observations remettent complètement en cause ce qu'on avait
toujours pensé de la nature humaine, en opposant un caractère typiquement féminin,
qui serait doux, plus faible, et un caractère masculin, plus violent, tourné vers l'extérieur.
Margaret Mead prouve par ces cas particuliers combien c'est la culture qui fabrique nos
rôles sociaux. Mais ce qui vaut pour les sciences humaines, vaut aussi pour la philosophie.
Dans la définition qu'il donne du philosophe dans l'Encyclopédie des Lumières, Dumarsais
y précise une chose essentielle : « Le philosophe forme ses principes sur une multitude
d'observations particulières ». Pour lui, le penseur du XVIIIe siècle a donc une approche
expérimentale du monde : ses connaissances ne peuvent se fonder que sur l'observation.
Montesquieu, lorsqu'il écrit De l'Esprit des lois, se conforme bien à cette démarche : il a
observé les lois et les régimes de tous les pays pour les comparer et réfléchir au meilleur
système législatif et politique possible.
Il nous semble donc que dans les essais, les exemples aient moins souvent un rôle
purement illustratif. Ce sont les observations concrètes qui engendrent la réflexion. Le
mot « essai » lui-même peut être un synonyme d'expérience, d'expérimentation.
Conclusion

Nous avons trouvé plusieurs explications au fait que dans les fables, les contes philosophiques et les essais, on trouve à la fois des idées générales et des cas particuliers.
D'une part, les exemples ont un pouvoir à la fois attractif et didactique. D'autre part,
190

en illustrant une thèse, ils la valident ou l'invalident (si la démonstration est ironique).
Enfin, l'étude des cas particuliers peut engendrer une réflexion à valeur universelle : c'est
une démarche empirique qu'affectionnent les essayistes, depuis Montaigne, revendiquée
par les philosophes des Lumières. Il convient cependant de se méfier des exemples : tout
cas particulier ne suffit pas à constituer une loi universelle...

invEntion
AnALySER LE SUJEt

L'énoncé implique plusieurs contraintes. Respectez à la fois le genre de la lettre
(présentation, formules de politesse, énonciation) et celui de l'éloge (vocabulaire
mélioratif, figures de style...) Vous devez également utiliser des procédés persuasifs :
questions rhétoriques, arguments... Défendez votre choix par une analyse précise
du texte. Ce sujet est aussi une forme de commentaire déguisé.
Madame A
18, Rue X
99000 Y.

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III. Le rôle de l'expérience particulière dans la recherche des idées générales

25

Paris, le ...
À l'attention de monsieur B.
Responsable d'édition,
Cher monsieur B,

C'est avec plaisir que j'ai reçu hier les premières épreuves de mon nouvel essai, L'Amitié
véritable. Je dois avouer être assez fière de ce travail qui m'a demandé deux années entières
de recherches, de réflexion et d'écriture : mon livre propose une approche psychologique
originale d'un sentiment universel trop souvent sous-évalué. Néanmoins, j'ai une requête à
formuler : je voudrais y joindre une fable sur l'amitié qui me paraît absolument essentielle.
Lisez-la, je suis sûre que vous la connaissez déjà - c'est en effet un classique - et je suis certaine que vous la jugerez aussi indispensable que moi. Mais au cas, peu probable, où vous
ne seriez pas convaincu de l'absolue nécessité de sa présence dans mon livre, je ne résiste
pas à l'envie de vous confier pourquoi je la trouve si belle et émouvante.
Le texte que je désire ajouter en épigraphe de mon essai est une fable de La Fontaine :
« Les deux amis ». Ce court récit très animé vaut bien des grands discours... Il illustre la
forte solidarité qui peut exister entre deux amis, de manière si plaisante, si humoristique !
La Fontaine nous place d'emblée dans un pays de fantaisie, le Monomotapa, mais c'est un
pays dont les amis « valent bien, dit-on ceux du nôtre » : c'est exactement cela, le monde
de la fable, à la fois ailleurs et ici... Une grande connivence s'établit ainsi immédiatement
entre l'auteur et ses lecteurs : c'est justement ce que j'aimerais instaurer avec les miens.
Et quelle vivacité dans cette histoire ! L'accumulation des verbes d'action au présent,
191

juxtaposés, traduit toute la précipitation des deux amis. L'un d'entre eux « s'étonne,
il prend sa bourse, il s'arme/ Vient trouver l'autre ». La surenchère des services que les
deux amis sont prêts à se rendre est réellement comique : argent à donner, assistance au
duel, femme à prêter...
On voit ici une amitié aussi proche de l'amour que l'était celle de Montaigne
et de la Boétie : les amis s'inquiètent l'un pour l'autre dans leurs songes, jusqu'au point
de se lever pour aller prendre des nouvelles. Le discours tenu à l'ami veut prévenir tous
ses soucis, tous ses désirs : il pose des questions sans attendre les réponses... Or, je veux
justement montrer dans mon livre, que les fondements de l'amitié sont proches de la
passion amoureuse : il n'y en aurait pas meilleure illustration. Nous sommes loin de la
représentation fade et édulcorée de l'amitié qui prévaut de nos jours.
Remarquez également comment La Fontaine dialogue aisément avec son
lecteur : il semble jouer aux devinettes, quand il demande quel ami aimait le mieux :
« que t'en semble, lecteur ? » Nous voici familièrement interpellés, comme si nous étions
nous-mêmes les amis de l'auteur. Nous voici poussés à la réflexion : or la question posée
est difficile à résoudre, car chacun des deux amis a une attitude extrême... La Fontaine
s'amuse : il veut mettre son lecteur en légère difficulté. Embarrassés, nous sommes dans
l'attente d'une morale finale. Celle-ci est remarquablement composée. L'exclamation
« Qu'un ami véritable est une douce chose ! » a une allure proverbiale. Elle est faite pour
rester dans les mémoires. Cette phrase met l'accent sur le plaisir que procure l'amitié :
on peut y voir affleurer une philosophie hédoniste. En tout cas la sobriété de la formule,
sa simplicité, font mouche. La Fontaine la développe ensuite, en continuant de prendre
à partie le lecteur à travers l'usage de la deuxième personne.
« Coeur », « pudeur », « peur » : le vocabulaire des sentiments est mis en valeur
à la rime. Et le fait que la fable se termine par le verbe aimer montre encore toute la valeur
que le fabuliste accorde à l'amitié, qui n'est pas inférieure à l'amour. Pour La Fontaine
comme pour Montaigne, l'amitié est simplement l'une des formes de l'amour. Et cela
coïncide tout à fait avec ce que je veux démontrer dans mon essai !
Si vous n'avez pas été d'emblée convaincu de la nécessité de joindre à mon
modeste ouvrage ce texte à la fois léger et profond, j'espère, cher monsieur B., que cette
lettre aura pu vous aider à redécouvrir sa beauté. Sachez en tout cas que ce fut un réel
plaisir pour moi de m'y replonger. La lecture de la Fontaine est une véritable école de
modestie. Nous autres, les auteurs contemporains, avons parfois l'impression d'inventer
des concepts inédits; nous voulons innover à tout prix...Je suis en tout cas sûre de ne
rien avoir inventé en matière d'amitié, et je veux seulement me faire le relais de ce que
tant de grands auteurs avaient si bien décrit avant moi.
Tout en espérant que vous accéderez à ma demande, je vous prie d'agréer, cher
monsieur B., l'assurance de ma plus fidèle amitié. À très bientôt !

suJET DE BAC 2

QuEstion
AnALysEr LE sujEt

Le corpus est composé de trois fables. Celles de Marot et de la Fontaine sont les
réécritures de celles d'Esope, qui est l'originale. Pour préparer votre réponse, surlignez
de deux couleurs différentes le récit et la moralité des trois textes : leurs proportions
apparaîtront ainsi visuellement. Ne traitez pas chaque texte séparément. Envisagez
d'abord la place du récit dans les trois textes, puis celle de la morale.

CorrIGÉs
CorrIGÉs

C orrIGÉs
CorrIGÉs

Corrigés

Les proportions des récits et des leçons de ces trois fables sont tout à fait différentes,
alors que Marot et la Fontaine ne font qu'adapter Ésope.
Deux récits sur les trois sont brefs : celui d'Ésope et celui de La Fontaine. Ce dernier
consacre seulement neuf vers sur dix-huit au récit proprement dit : quelle concision !
À l'inverse, Marot dilate son récit en mettant l'accent sur le pittoresque ; il insère de
nombreux dialogues, invente des détails (comme le bonnet du rat (v.10), et surtout, joue
beaucoup avec les mots et leurs sonorités : « chats, chattes et chatons », « rats, rates et
ratons » (v.22/23). Il lui faut une bonne cinquantaine de vers pour raconter une histoire
plus ou moins équivalente.
Proportionnellement, Marot consacre peu de place à la morale du récit : elle se trouve
à la fin. À peine deux vers donnent une leçon générale : il s'agit de paroles prononcées
par le lion (« Nul plaisir, en effet/ Ne se perd point quelque part où soit fait ») Dans les
cinq derniers vers, Marot s'approprie la fable pour donner une leçon personnelle à son
ami Léon Jamet, l'invitant à lui rendre service. Dans la fable d'Ésope, la leçon restait
implicite : c'était au lecteur de la déduire du récit. On n'y trouve aucune sentence, aucun
commentaire. En revanche, la Fontaine commence par la morale essentielle, en forme de
préambule au récit : « On a souvent besoin d'un plus petit que soi » . Et il conclut la fable
par une autre maxime, qui est très différente, et n'était pas du tout suggérée dans le texte
original d'Ésope : « Patience et longueur de temps/ Font plus que force ni que rage ». Au
centre de la fable, on trouve aussi trois vers de commentaire, interpellant le lecteur. La
Fontaine est bien celui qui accorde le plus d'importance à la leçon.

Madame A
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Le monde en 1945

C orrIGÉs
CorrIGÉs

AnALysEr LE sujEt

Les deux textes à comparer sont très dissemblables, bien qu'ils soient issus de la
même source (Ésope). Ce paradoxe vous servira de problématique : pourquoi les
deux auteurs traitent-ils ce récit si différemment ?
- Opposez d'une part les deux styles : comment Marot développe-t-il en virtuose
un récit pittoresque, tandis que La Fontaine fait preuve d'une concision très classique ?
- Confrontez d'autre part leurs intentions : alors que Marot personnalise la fable,
La Fontaine l'aborde en moraliste pédagogue.
Nous vous proposons un corrigé sous forme de plan.

I. L'art du récit : le développement pittoresque de Marot s'oppose à la
concision classique de La Fontaine
. L'énonciation

- Le dialogue entre les animaux chez Marot (théâtralisation de la fable, importance
du style direct, familiarités).
- Le dialogue de l'auteur avec le lecteur pour La Fontaine (question rhétorique, v.11).
. Fantaisie verbale (Marot) opposé au minimalisme (La Fontaine)

- Des jeux de mots virtuoses : Marot héritier des « grands rhétoriqueurs ». Gradations sonores parallèles (v.22/23. v.36/37) Néologismes (v.30/31) jeux sur les sonorités
(« lion lié »).
- Sobriété de La Fontaine (esthétique classique). Stylisation de la fable : simplification
de l'action, même par rapport à Ésope. 9 vers pour le récit seulement.
. L'apparence des animaux

- Anthropomorphisme chez Marot : bonnet du rat, allusion à des accessoires (serpe,
couteau) dont se servent les hommes, usage de la parole, sentiments mis en valeur (pitié
du lion : « Ô pauvre verminière »).
- Animaux naturels chez la Fontaine : rugissements, pas de parole, comportements
vraisemblables : « Un rat sortit de terre assez à l'étourdie ».
. Le rythme de la fable

- Vivacité entretenue chez Marot par un rythme binaire (les mots vont par deux),
« sautillant », de nombreux vers comportent majoritairement des mots de une ou deux
syllabes.
- Recherche de l'équilibre (vertu classique) chez la Fontaine, avec l'alternance régulière du récit et des commentaires.
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II. Les intentions opposées des auteurs : un message personnel de Marot,
une leçon générale de la Fontaine
. Des registres opposés

- Volonté de plaire chez Marot, donc développement de l'humour, registre plaisant.
- Volonté didactique chez la Fontaine, donc développement de la moralité (La moitié
de la fable = commentaires).
. L'identification des personnages

- Le lion de Marot = Léon Jamet, son ami, qui peut lui rendre un service. Marot =
le rat. Marot est l'anagramme de « om rat » (« homme-rat » qui aurait été son surnom).
Dans la fable, le rat est très inventif sur le plan verbal : invention de mots (« lionneusement », « rateusement », v.30/31), métaphores (« couteaux », v.2, « gaine », v.),
comme Marot le poète.
- Chez La Fontaine, le lion peut faire penser à Louis XIV (« le Roi des animaux), il
apparaît majestueux et généreux. Mais le procédé d'identification est moins direct.

CorrIGÉs
CorrIGÉs

CommEntAirE CompAré

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. Des genres différents

- La fonction de l'épître = sorte de lettre envoyée par Marot à son ami, sous forme de
poème. La fable d'Ésope est détournée à des fins personnelles. Importance du champ
lexical de l'amitié et de l'entraide dans le poème.
- Fable traditionnelle pour La Fontaine : présent de vérité générale, usage de maximes, faites pour être retenues (elles sont d'ailleurs restées dans la mémoire collective),
généralisation (pronom impersonnel « on », « quelqu'un »).

DissErtAtion
AnALysEr LE sujEt

- Question posée = « Pourquoi » : il s'agit donc de trouver des causes. Le plan sera
donc thématique. Abordez plusieurs causes tour à tour.
- Genres concernés : contes et fables. Pensez à la fois aux contes de fées et aux contes
philosophiques.
- Recherche des idées : faites d'abord une liste d'exemples, la plus large possible, de
contes ou de fables comportant des animaux. Ces exemples vous aideront à trouver
vos idées.
- Problématique : les deux objectifs principaux d'une fable sont « plaire » et « instruire ». En quoi les animaux répondent-ils à cette double intention ?
Attention : les titres en couleur sont là pour vous guider dans la lecture des corrigés : en
aucun cas, on ne doit les trouver dans une copie.

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Le monde en 1945

Les fables, les contes de fées, ou les contes philosophiques sont des formes littéraires
de la même famille : celle des apologues. Ce sont des récits qui visent à donner une leçon à
leurs lecteurs. Parfois, les personnages principaux des apologues sont des animaux plutôt
que des humains. Quel intérêt y trouvent les auteurs ? Il peut a priori paraître étrange de
faire un détour par le genre animal pour donner une leçon au genre humain... En quoi
cette transposition permet-elle d'accroître l'efficacité du message transmis par l'auteur ?
Nous en discernerons d'abord l'intérêt esthétique. Puis, nous nous demanderons quel
en est l'intérêt didactique.
Développement
I. L'intérêt esthétique des apologues animaliers

L'exercice de style que constitue la transposition animalière peut représenter pour
l'auteur comme pour le lecteur un intérêt esthétique certain.
. Un lien avec le monde merveilleux de l'enfance

« Le temps où les bêtes parlaient » renvoie à un monde merveilleux, plein de charme.
Les récits peuplés d'animaux sont souvent lus aux enfants : ils nous évoquent des représentations imaginaires particulièrement fabuleuses. D'ailleurs, les plus grands illustrateurs se sont emparés des Fables de la Fontaine, pour en faire de magnifiques gravures.
Oudry, le grand peintre animalier du XVIIIe siècle, Grandville et Gustave Doré au XIXe
siècle en sont les exemples les plus classiques. Visuellement, les Fables ont un intérêt tel,
qu'elles donnent parfois lieu à de superbes mises en scènes théâtrales, comme c'est le cas
à la Comédie Française, où Bob Wilson a imaginé des costumes extraordinaires pour les
acteurs travestis en animaux.
. L'inscription dans un genre littéraire traditionnel

De plus, en choisissant de prendre des animaux pour héros, les auteurs ne font que
s'inscrire dans un genre littéraire très ancien, puisque cette idée remonte à l'Antiquité.
« Le lion et le rat »de La Fontaine, comme la plupart de ses Fables, ne fait que reprendre
un texte d'Esope, qu'avait déjà brillamment repris au XVIe siècle le poète Clément Marot.
Les auteurs français ont voulu réactualiser un chef d'oeuvre de la culture antique. La
Fontaine n'a presque rien inventé par lui-même : c'était un brillant styliste qui préférait
adapter à sa manière les récits d'Esope ou de Phèdre.
. Un hymne à la nature dans sa diversité

Si les récits animaliers ont tendance à nous émerveiller, c'est parce qu'ils constituent
un hymne à la nature dans sa diversité. On voit que Victor Hugo, dans son poème « le
Crapaud » est assez sensible à la cause animalière, puisqu'il fustige les mauvais traitements
que les animaux font subir aux bêtes. Il renverse l'ordre des choses habituel : les humains
sont méprisables alors que les animaux sont nobles et héroïques. C'est une invitation à
les regarder d'un oeil différent. On est sensible à la façon dont la Fontaine esquisse en
196

quelques vers des croquis très précis des silhouettes animales, du « héron au long bec
emmanché d'un grand cou », à la « dame belette » au « nez pointu ». La diversité des
animaux représentés dans les fables ou les contes est aussi une métaphore de la diversité
des êtres humains.
Le caractère esthétique des apologues animaliers renforce aussi leur efficacité didactique. Parce que la forme en est plaisante, originale, le public sera en effet mieux disposé
pour comprendre la leçon illustrée par l'histoire.
II. L'intérêt didactique des apologues animaliers

Le but premier d'un apologue est bien en effet de transmettre un message moral ou
philosophique. Les animaux en sont de bons vecteurs, pour plusieurs raisons.
. La facilité d'identification des animaux avec les humains

Tout d'abord, paradoxalement, il sera souvent plus facile d'identifier des situations
réelles à un récit mettant en scène des animaux qu'à une autre situation « humaine ». Il
faut signaler que cette identification est facilitée grandement par l'anthropomorphisme des animaux : ceux-ci parlent, sont doués d'intelligence, de sentiments, comme les
humains. Les corbeaux et les renards mangent du fromage, les loups parlent au Petit
Chaperon rouge... Si l'on remplaçait les animaux par des humains dans des situations
comparables, la fable perdrait sa valeur générique : le lecteur pourrait n'y voir qu'une
anecdote arrivée à d'autres personnes. L'histoire appliquée aux animaux a une valeur
d'exemple, car elle n'est pas placée dans un contexte particulier. Dans La Ferme des animaux, Orwell, en 195, s'en prend au régime de dictature prolétarienne, où « tous [les
animaux] sont égaux, mais certains plus égaux que les autres ». La transposition du débat
politique dans une cour de ferme permet de se situer sur un plan général, intemporel, et
non pas dans le contexte d'un pays particulier.

CorrIGÉs
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C orrIGÉs
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Introduction

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. Des traits psychologiques stylisés

De plus, les animaux ont un avantage sur les humains : ils offrent des traits psychologiques simplifiés, qui s'opposent donc à la complexité des caractères humains. Dans
les Fables de la Fontaine, chaque animal a un trait de caractère dominant : le renard est
rusé (tout comme dans les fabliaux du moyen âge), la cigale est insouciante, la fourmi
est économe, le loup ne pense qu'à manger, etc.... Cette simplicité contribue à styliser
certains traits humains, et les leçons de la fable sont plus claires.
. Parler simplement de choses compliquées

Enfin, le fait d'utiliser un détour pour parler de choses graves permet de contourner
certaines difficultés d'écriture. Un conte comme Le petit Chaperon rouge est symbolique et permet notamment d'évoquer le tabou de la pédophilie : le personnage du loup
représente tout agresseur potentiel de l'enfant. Parfois, l'apologue peut servir à déjouer
la censure. On sent bien que, dans « Le Crapaud », Victor Hugo fait certaines allusions
piquantes à Napoléon III, (à travers les mots « Augustules » et « Césars ») et à sa propre
situation d'exilé (quand il emploie le mot « proscrit »). Le crapaud, cet être persécuté
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injustement, qui ressemble à un poète romantique quand il contemple le soleil couchant,
représenterait Victor Hugo lui-même. Encore une fois, le détour par la fable animalière
permet de contourner les difficultés liées aux difficultés d'expression.

C orrIGÉs
CorrIGÉs

La Fontaine l'affirmait lui-même : il utilisait « les animaux pour instruire les hommes ». Les bêtes sont de bons pédagogues. Leur langage semble en effet plus clair que
celui des humains.
Conclusion

Il apparaît au terme de notre réflexion que les animaux ont un double intérêt dans un
apologue. En termes esthétiques, ils vont rendre le récit plaisant. En termes didactiques,
ils seront un meilleur vecteur du message transmis par l'auteur. De nos jours, la tradition
ne s'éteint pas : les animaux qui parlent ou qui pensent peuplent les dessins animés pour
enfants ou pour adultes, et on les rencontre aussi dans des textes beaucoup plus sérieux
comme Les Fourmis de Bernard Werber, qui est un roman d'anticipation très réussi.

invEntion
AnALysEr LE sujEt

Choisissez l'une des leçons proposées par la Fontaine avant de vous lancer dans
l'invention du récit. Deux possibilités : « On a souvent besoin d'un plus petit que
soi », ou « Patience et longueur de temps / Font plus que force ni que rage ».

Approche

- Transposez le récit, par exemple à notre époque, avec des personnages humains...
Il faut surprendre le lecteur (le choix d'un tigre et d'un moineau, par exemple, serait sans
doute trop proche de la fable initiale). L'opposition entre le lion et le rat peut symboliser
un contraste de niveau social, de force physique. (On pourrait imaginer un mendiant
et un PDG.)
- Contraintes de style : le genre de la fable suppose une certaine légèreté séduisante, des pointes d'esprit. Vous pouvez faire preuve d'humour. Les dialogues sont les
bienvenus.
- Structure : choisissez d'insérer la morale à la fin ou au début du récit, de préférence
sous une forme percutante. Conservez les deux étapes de l'histoire.

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Liens utiles