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MUSSET Alfred de

MUSSET Alfred de. Poète français. Né à Paris, au seuil du quartier Latin. Le 11 décembre 1810, Alfred de Musset appartenait, par son père comme par sa mère, à un milieu de solide culture littéraire, où le goût des vers bien faits et de la prose spirituelle demeurait chez les uns comme l’héritage précieux du siècle de Voltaire, tandis que le père même du poète gardait au cœur et communiquait à son fils le culte de Rousseau. Son enfance fut tranquille et régulière, animée d’études sérieuses, éclairée de vacances familiales dans la lumière douce du Vendômois, auprès d’un père respecté et affectueux, d’une mère aimante, dans un foyer uni et gai. Les bouleversements politiques de la France semblent n’avoir pas ébranlé la situation assez aisée de la famille. Musset enfant rima comme tant d’autres; et peut-être ce goût naturel eût-il rapidement avorté si un de ses camarades de lycée, Paul Foucher, le beau-frère de Hugo, n’avait introduit le jeune poète dans le cénacle d’artistes et d’écrivains qui s’était groupé autour de celui-ci. Non certes que Musset fût un admirateur béat du Maître; mais enfin, à dix-huit ans, il est flatteur de fréquenter ces jeunes athlètes qui accueillirent avec faveur la nouvelle recrue. Cependant on presse Alfred de Musset de choisir un métier et de s’y préparer. Il hésite : ses dons sont multiples; il dessine fort joliment; il goûte fort la musique. Il se fait étudiant en droit, puis étudiant en médecine. Décidément la poésie est sa seule vocation : on le laisse libre de s’y consacrer; encore ne fait-il que s’y livrer à ses heures, sans grande volonté de percer, bien décidé, déjà, à ne pas forcer son talent. Nous avons conservé peu de chose de ces premiers essais; ce sont des petits poèmes à la mode de 1826-1828 : de la couleur historique, du mystère, de la couleur locale, du macabre, des rythmes acrobatiques, toutes modes que pouvait emprunter au Hugo des Odes et ballades, puis des Orientales un jeune admirateur de son talent poétique; mais aussi des madrigaux d’un style tout classique, de pures évocations grecques à la manière de Chénier, des couplets humoristiques. Rien de personnel; rien d’intime du moins. Nulle teinte de mélancolie lamartienne, de révolte byronienne; rien qui pose ou suggère une idée philosophique ou morale. Ce qui frappe dans ces essais de débutant, écrits entre seize et dix-huit ans, c’est la maîtrise d’une facture aisée, l’élégance et la souplesse de la forme; rien qui sente l’apprenti; aucune gaucherie. Rare précocité. Si ces essais de jeune poète sentent si peu l’école, c’est que Musset est alors — comme il sera toujours — bien moins un homme de lettres qu’un homme du monde. Non pas un homme de salon; les femmes qu’il fréquente sont moins maîtresses de maison désireuses de parer leur salon de jeune poésie, que les amies de ses amis, jeunes personnes fort légères. Car ses amis ne sont point gens de lettres. Sans doute on le voit souvent aux soirées de l’Arsenal où l’aimable Nodier reçoit toute la jeunesse romantique; mais ce ne sont là qu’excursions d’un jeune dandy en un milieu un peu étran-ger; il trouve cependant le moyen d’y éblouir les dames par sa svelte élégance, tout en séduisant Vigny par son indépendance intellectuelle et Sainte-Beuve par la délicatesse d’une psychologie déjà perspicace. Ses vrais amis, cependant, ne sont pas ceux-là; c’est Alfred Tattet, riche, élégant, cultivé, menant joyeuse vie; c’est Ulric Guttinger, âme plus romantique, auréolée par une passion malheureuse qui avait traversé comme un éclair une vie riche en plaisirs; c’est le comte de Belgiojoso et le comte d’Alton-Shée. Avec eux, Musset va souper dans les plus élégants restaurants; on comprend qu’auprès d’eux et sous leur influence le jeune poète si purement parisien ne puisse célébrer qu’une muse plus légère que chaste. Les Contes d’Espagne et d’Italie parurent en décembre 1829. On fut ébloui et scandalisé. Si peu de respect chez un débutant ! Tant d’ironie chez un disciple de Hugo ! Quoi ? Rien pour les âmes tendres et rêveuses ? L’auteur se moquait-il ? Et de qui ? Des romantiques, dont il semblait plaisamment exagérer les outrances ? Des bourgeois nourris de nos auteurs classiques, dont il heurtait tous les goûts ? N’avait-il donc point d’aventure de cœur qui l’ait ému ? Pourtant un premier grand amour lui avait révélé la duplicité féminine; et cette trahison, il devait toujours en porter le souvenir dans l’âme. Il croira — et il écrira souvent — que cette première découverte avait définitivement ruiné sa faculté d’aimer; depuis, un scepticisme douloureux se serait emparé de son cœur, une défiance invincible aurait gâté ses plus belles amours; voilà ce que serait l’histoire de son cœur, telle que la racontent les premiers chapitres de la Confession d’un enfant du siècle. Ses vingt ans sont en tout cas singulièrement avertis; et n’allons pas trop croire que cette trahison l’empêche seule de trouver le bonheur dans la confiance et l’abandon. Accusons-en plutôt les expériences d’une vie trop libre et d’amours passagères sans noblesse. Quoi qu’il en soit, le jeune poète n’avait eu garde d'exprimer sa souffrance dans ses vers; s’il y parlait de lui, c’était sur un ton léger et détaché. Même scandale pour ses débuts au théâtre; sa première pièce, La Quittance du diable, tirée d’un roman de Walter Scott, acceptée par le théâtre des Nouveautés en 1830, n’avait pas été représentée, on ne sait pourquoi. Mais à la demande d’un directeur audacieux, il présenta au théâtre de l’Odéon une pièce en un acte qui fut jouée pour la première et unique fois le 1er décembre 1830, La Nuit vénitienne. Elle tomba sous les sifflets. L’auteur se jura de ne plus jamais affronter la représentation; il devait tenir sa parole longtemps, sans cependant cesser pour cela de faire œuvre dramatique. Un spectacle dans un fauteuil (1832) est un recueil formé, en effet, de deux pièces de théâtre en vers, délibérément injouables; l’une d’entre elles, La Coupe et les lèvres, est précédée d’une importante Dédicace, véritable manifeste littéraire, qui précise l’orientation classique de Musset déjà bien visible dans certains poèmes publiés isolément entre 1830 et 1832, comme Les Secrètes Pensées de Rafaël, gentilhomme français et Les Vœux stériles, Franck, le héros de La Coupe, représente, par contre, tout un côté romantique du Musset de 1830-1832 : dégoût de la débauche, scepticisme à l’égard de la femme et de l’amour, vague aspiration à un bonheur simple, mais conviction qu’il est trop tard et que l’amour pur et total ne peut plus refleurir en un cœur qui s’est abandonné au plaisir. C’est ce rêve de pureté que met en scène, paré du charme le plus exquis et de la poésie la plus gracieuse, l'autre pièce : A quoi rêvent les jeunes filles ; la pureté perdue sur le plan de la vie, et dont le regret hante ce jeune homme de vingt-deux ans, est retrouvée sur le plan de l’art. Si la vie interdit désormais à l’homme de connaître cette fraîcheur du cœur, du moins l’artiste s’enchante et se console par l’imagination. Namouna, poème qui complète le recueil, porte, sous l’apparence d’une désinvolture audacieuse, la marque des inquiétudes de l’auteur. Ses expériences amoureuses, Musset tente de les justifier en montrant en Don Juan le chercheur étemel de l’idéal féminin. On voit donc que l’œuvre de l’auteur est nourrie par sa vie intime, non par les circonstances de cette vie, mais par les aspirations ou les désespoirs les plus profonds de l’homme. Après une tentative pour se tourner vers le genre romanesque avec le Roman par lettres (1833), à peine ébauché, Musset revient au théâtre et publie dans La Revue des Deux Mondes, la même année, Andréa del Sarto et Les Caprices de Marianne. La première pièce met en lumière le drame qui se pose dans la vie de Musset : Andréa, te grand peintre, follement épris de sa femme, sacrifie son art et son ambition à cet amour; en sera-t-il récompensé au moins par la fidélité de celle qu’il aime ? Point du tout. Il perd et ses disciples qui désertent son atelier, et celle à laquelle il a tout sacrifié. Avec celui de la pureté perdue, le grand drame de Musset sera en effet celui des rapports de l’amour et de l’art. La seconde pièce illustre pour la première fois la conceptions pessimiste que l’auteur se fait de la femme, en tant qu’elle refuse l’amour par amour-propre et vain orgueil; en même temps Octave, le libertin desabusé, et Célio, l’amoureux idéaliste, symbolisent les deux aspects du Musset de 1830-1833. Le poème de Rolla, publié en août 1833, marque un tournant dans l’inspiration du poète lyrique. Sans doute quelques poésies avaient déjà exprimé discrètement la plainte d’un cœur malheureux; aucune, comme le fait ce poème, ne révélait le désespoir de la foi perdue avec cette éloquence brûlante; le lyrisme, de désinvolte, devenait grave et profond. Cependant le Musset gracieux, humoristique et frais survivait dans la pièce de Fantasio; il ne mourra jamais, mêlant ses entrechats, jusqu’en 1850, aux cris de l’angoisse ou aux gémissements de l’amour déçu. C’est dans les premiers mois de 1833 que Musset fit la connaissance de George Sand, déjà célèbre par ses premiers romans; elle avait six ans de plus que lui. Il s’attache à elle pour deux raisons : il trouvait en elle, outre un type féminin d’une beauté accentuée, outre une intelligence forte et active, deux réponses aux besoins de sa nature morale. Par sa gaieté, sa fantaisie, la liberté de ses manières, la poésie audacieuse de sa vie, elle attirait l’homme de plaisir, l’artiste fantaisiste, si jeune de manières et d’imagination. D’autre part, Musset crut trouver en elle la femme qui méritât un grand amour, qui le rendrait à nouveau capable d’aimer, qui l’arracherait, par l’amour, a la vie de plaisir dans laquelle, par désespoir, disait-il, il se plongeait. Ils furent amants fin juillet 1833; c’est dans la seconde moitié d’août qu’il faut placer le séjour à Fontainebleau, où Musset effraya George Sand par la crise nerveuse qui s’empara de lui, en pleine nuit et en pleine forêt. Us partirent ensemble pour l’Italie le 12 décembre et arrivèrent à Venise, par Gênes et Pise, le 30. Au début de février 1834, Musset tomba gravement malade — une fièvre typhoïde sans doute. Il quitte Venise le 29 mars, guéri, mais faible encore, et portant au cœur une cruelle blessure. En effet, si, en fait, et dès le début du voyage, les liens s’étaient distendus entre les deux amants, l’amitié remplaçant d’un commun accord l’amour sensuel qui les avait unis, Musset, malgré cet accord, ne pouvait se résoudre à rendre à sa compagne sa liberté. Certes, lui-même ne se faisait pourtant pas faute d’user de la sienne avec des femmes de rencontre; mais lorsqu’il surprit la liaison qui s’était établie entre George Sand et le jeune médecin italien Pagello, il souffrit profondément. Cependant rien de plus confiant et de plus chaleureux que la correspondance qu’ils échangèrent après le départ de Musset; meurtri, sans doute, autant par la maladie que par la rupture, celui-ci mène quelque temps à Paris une vie partagée entre les vains plaisirs retrouvés, et une mélancolique solitude. Il écrit à George Sand qu’il l’aime toujours — et cela est vrai — et que cet amour est assez désintéressé pour admettre Pagello. Elle lui écrit en mère et en sœur. Elle revient à son tour; ils se revoient pour un dernier adieu et Musset part pour Bade fin août 1834. En juillet avait paru On ne badine pas avec l'amour, pièce terminée après le drame de Venise, et très proche non pas des détails concrets de l’aventure, mais des états d’âme des amants. Fin août paraissait la deuxième livraison, en deux volumes, de Un spectacle dans un fauteuil, contenant les pièces publiées en revue, un inédit, Lorenzaccio, le chef-d’œuvre dramatique de Musset, nourri de son expérience psychologique, inspiré, autant que par la chronique italienne, par son scepticisme devant la vie, par le désespoir de sa pureté perdue, par la conviction que l’échec de son amour et ce qu’il considérait comme l’échec de son œuvre venait de sa vie débauchée et sans idéal moral, par l’espoir qu’un chef-d’œuvre littéraire ou un grand amour sauveur (transposé en assassinat libérateur) viendrait le régénérer. Les amants se reprirent en octobre-novembre 1834, mais, traversée d’orages, cette reprise ne dura guère; elle fut suivie d’autres aussi brèves. La séparation fut définitive en mars 1835. On a beaucoup exagéré le rôle tenu par sa liaison avec George Sand dans la vie et l’œuvre lyrique de Musset. Le roman autobiographique La Confession d'un enfant du siècle (1836) raconte cette aventure et en dégage la leçon morale et quasi historique, réunissant dans un faisceau logique les thèmes qu’orchestreront les poèmes de 1835-1838. Mais, outre que ce roman fait très large la part de la première aventure amoureuse, cause de la débauché à laquelle le héros s’abandonne, il met bien en lumière le caractère intellectuel et moral, beaucoup plus que sentimental, de la souffrance de cet « enfant du siècle ». D’ailleurs, après George Sand, d’autres femmes seront aimées par Musset; l’amitié pour sa « marraine » Mme Jaubert se transforma en 1836 en une liaison amoureuse de quelques semaines, pour redevenir la plus solide des amitiés; et nous trouvons l’écho de cet épisode dans Emmeline , dans la Nuit de décembre — les Nuits — dans la Lettre à Lamartine, dans le Chandelier. Après la dame du grand monde, la grisette Louise; cette brève liaison est le thème de Frédéric et Bernerette. En 1837 Aimée d’Alton, âgée de vingt ans, est sa maîtresse; c’est elle la « belle maîtresse » de la Nuit d'octobre — v. les Nuits —, la Béatrice du Fils du Titien. En 1838, Musset aima sans succès Pauline Garcia, sœur de la Malibran; en 1839, il est l’amant de la jeune et déjà célèbre actrice Rachel; en 1840, il aime la froide et ardente princesse Belgiojoso, qui l’attire mais se refuse. Enfin ses orageuses liaisons, en 1849, avec l’actrice Mme Allan, en 1852 avec la poétesse Louise Colet, sonnèrent le glas de ses aventures amoureuses, sinon sensuelles; il avait trente-neuf ans. Ainsi Musset reste après l’aventure avec George Sand tel qu’il avait été auparavant, chercheur d’amour pour s’arracher à la débauche, débauché pour se consoler de son impuissance d’aimer. Le cycle du lyrisme personnel qui s’ouvre en août 1833 n’est donc qu’en partie consacré à George Sand. Ce sont d’abord les six pièces, adressées expressément à celle-ci, et publiées posthumes, datées du 2 août 1833 au 10 janvier 1835, peu connues et si belles; c’est ensuite le cycle des Nuits, comprenant outre les Nuits, la Lettre à Lamartine, l'Espoir en Dieu, Souvenir, de 1835 à 1841. Ces pièces lyriques sont loin d’être essentiellement amoureuses; le vrai sujet en est l’incidence de l’amour et de la souffrance sur la création poétique; dans ce choix entre le cœur et l’esprit, entre l’amour et la création artistique, entre la vie et l’art, après avoir longtemps cru à la valeur fécondante de l’amour et de la souffrance, après avoir longtemps débattu les rapports de ces deux pôles de l’idéal humain, en vers et en prose — A mon ami Edouard B. (1832), le Fils du Titien (1838), Le Poète déchu (1839), Une soirée perdue (1840), Après une lecture et Sur la paresse (1842) — Musset choisira délibérément la vie. Ce choix tragique aura été en tout cas le problème capital, le centre véritable de la vie intellectuelle et sentimentale de Musset. Sa grande production lyrique se termine au plus tard en 1838; il a vingt-huit ans; il vivra encore vingt ans; la plupart des pièces postérieures à cette date seront des œuvres courtes et légères. Sur le plan dramatique, même ralentissement marqué. Sans doute Barberine (1835), Le Chandelier (1835), Il ne faut jurer de rien (1836), Un caprice (1837), sont de charmantes réussites; on conviendra que ces bluettes ont singulièrement moins d’ampleur et de richesse que les œuvres dramatiques antérieures. Après 1837, les pièces se font plus rares, et de bien moindre valeur, de moindres proportions encore : Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée (1845), Louison (1849), la seule pièce avec la Nuit vénitienne (1830) et Bettine (1851) écrite directement pour le théâtre, et si médiocre !, Carmosine (1850), On ne saurait penser à tout (1851). Poésies lyriques, roman autobiographique, pièces de théâtre ne constituent pas l’œuvre entière de Musset. Il faut y ajouter les Nouvelles et contes, au nombre de douze, publiés, les onze premiers de 1837 à 1845, le dernier, La Mouche, en 1853; narrateur aisé et sans prétention, Musset écrit ses œuvres hâtivement, pressé par le besoin d’argent; il y reste fort classique; malgré sa répugnance à l’égard des nécessités de l’affabulation, il a donné là des œuvres qui prouvent simplement qu’il joignait au génie le talent. On a réuni sous le nom de Mélanges de littérature et de critique divers écrits en prose, parfois fort intéressants; ce sont des articles consacrés à des questions d’art et de littérature. On y découvre en Musset une intelligence fine, une rare indépendance de jugement, un goût très sûr, dans ce domaine l’œuvre la plus connue demeure les Lettres de Dupuis et Cotonet sur le romantisme; mais De la tragédie et Un mot sur Part moderne sont les plus riches en pensée esthétique. A. de Musset fut élu à l’Académie Française le 12 février 1852; il mourut le 2 mai 1857. Peu de personnes accompagnèrent son corps au cimetière. Ce paresseux a laissé une œuvre considérable; l'étonnant dans son cas est que le meilleur et le plus profond de cette œuvre a été écrit entre dix-neuf et vingt-huit ans. On ne peut que s’étonner de la précocité non seulement de son talent de poète, mais surtout de sa connaissance de l’homme. Relativement négligé dans sa grande période de création, il pourra cependant voir naître sa gloire, surtout à partir de 1850. Il reste par son éloquence, sa chaleur, sa sensibilité, celui de nos poètes romantiques qui parle le plus directement au cœur, un des plus modernes, malgré l’imperfection de la forme, par le drame moral et intellectuel qu’il a vécu; son théâtre, longtemps méconnu, a trouvé au XXe siècle une audience considérable et presque unique. En particulier, au cours des années 1920-1935, aucun auteur français n’a eu autant de représentations d’œuvres différentes. Ce succès tient à ce fait que, débarrasse des contraintes matérielles de la représentation, Musset a pu devancer son temps et donner en toute liberté à son œuvre dramatique la fantaisie, la profondeur ou la justesse d’observation que demande le public moderne.




♦ « Dans notre temps ni dans aucun temps la poésie intime, personnelle, de quelque nom qu’on la désigne, n’a rien de préférable, je dirais presque de comparable aux Stances à la Malibran, à Lucie. à Pâle étoile du soir, à J’ai dit à mon cœur, et surtout aux immortelles Nuits. Là les imperfections matérielles, les négligences de détail, les rimes insuffisantes, disparaissent dans le sentiment poétique, dans l’idéale beauté... » A. de Pontmartin, 1866. ♦ Nous le savons tous par cœur... Y eut-il jamais accent plus vivant et plus vrai ? Celui-là au moins n’a jamais menti. Il n'a dit que ce qu’il sentait. Il a pensé tout haut. Il a fait la confession de tout le monde. On ne l’a point admiré, on l’a aimé; c’était plus qu’un poète, c’était un homme... » Taine, 1869. ▼ « Il a dû à ces heures d’orage et de douloureuse agonie de laisser échapper en quelques Nuits immortelles des accents qui ont fait vibrer tous les cœurs, et que rien n’abolira. Tant qu’il y aura une France et une poésie française, les flammes de Musset vivront... » Maxime Du Camp, 1883. ♦ « Excepté à l’âge de la première communion... je n’ai jamais pu souffrir ce maître des gandins, son impudence d’enfant gâté, qui invoque le ciel et l’enfer pour des aventures de tables d’hôte, son torrent bourbeux de fautes de grammaire et de prosodie.» Baudelaire. L’amour a trouvé le chemin de ce cœur de dandy ! C’est ce supplice qu’il a « crié » dans ses vers, et c’est la sincérité, c’est l’éloquence du cri qu’il a poussé, c’en est l’accent d ’entière vérité qui assurent à jamais la durée de la Lettre à Lamartine, des Nuits, du Souvenir. Brunetière. La vie d’Alfred de Musset fut élégante et vulgaire... Mais ce qui ne l’est point, ce fut son génie, son génie tout en âme, le plus puissamment humain et le plus puissamment moderne, le plus nous tous enfin, qui ait jamais existé. » Barbey d’Aurevilly, 1877.


MUSSET, Alfred de (Paris, 1810-îd., 1857). Écrivain français. Toute son oeuvre fut marquée par l'expression pathétique de ses souffrances. Issu d'un milieu cultivé, doué d'une rare précocité, il fut introduit dès 1828 dans le cénacle de Charles Nodier - bibliothécaire de l'Arsenal qui recevait les écrivains romantiques - et publia à 20 ans son premier volume de vers Contes d'Espagne et d'Italie qui le fit connaître. Il entreprit alors d'écrire pour le théâtre : Les Caprices de Marianne, 1833 ; Fantasio, 1834 ; Lorenzaccio, 1834 ; Le Chandelier, 1835 ; Il ne faut jurer de rien, 1836. Parti en 1833 pour l'Italie avec George Sand à laquelle il vouait un amour passionné, il en revint seul, le coeur brisé. Il évoqua cette douloureuse aventure dans une pièce (On ne badine pas avec l'amour, 1834) et un roman autobiographique (La Confession d'un enfant du siècle, 1836) et des poèmes (Les Nuits, 1835-1837). Désormais désenchanté, Musset écrira encore des Poésies, des Contes et nouvelles, puis des oeuvres amères et tourmentées (L'Espoir en Dieu, 1838).

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