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MOI

MOI. pronom et n.m. ♦ 1° Psychologie. Conscience de l'individu ; le moi, ensemble des vécus de la conscience. ♦ 2° Psychanalyse. Instance psychique consciente. ♦ 3° Métaphysique. L'âme, principe actif, permanent. Synonyme de «sujet personnel». ♦ 4° Kant. Le moi transcendantal est la fonction unifiante, dans le «Je pense» ; il accompagne toutes nos représentations. Kant pose aussi l'existence d'un moi nouménal, qui est l'être-en-soi de l'âme, inaccessible à notre conscience.


Le Moi est l’instance qui aménage les conditions de satisfaction des pulsions (tendances) en tenant compte des exigences du réel (matériel et social). Il possède les clés de la motricité et est fondamentalement lié au système perception-conscience. Le Moi est une différenciation périphérique (« corticale ») du Ça. C’est essentiellement un « Moi-corporel » qui correspond à une entité de surface (et à la « projection » de la surface corporelle, déterminée par les phénomènes de la double perception, de la douleur, de l’érogénéité). Par l’existence d’organes perceptifs, il permet la prise en compte du principe et de l’épreuve de Réalité ainsi que le développement de « processus secondaires » (pensée, mémoire, action d’essai), tandis que par la fonction de conscience (qui représente comme un organe des sens pour « l’intérieur ») il permet la régulation des décharges, sous le primat du principe du plaisir/déplaisir, en introduisant le délai (inhibition) nécessaire.

1. Le Moi est cependant indifférencié à la naissance. Il ne peut que subir les exigences du Ça, ou s’en défendre en mettant en œuvre automatiquement le « signal d’angoisse » (défenses et refoulement primaires). Un premier degré de différenciation du (et dans le) Moi se fait grâce à l’identification (primaire), contemporaine de la sexualité orale d’introjection. Le Moi détourne alors une charge en libido (narcissique) qui lui permet de prendre une influence sur le Ça. Ultérieurement, chaque abandon d’un investissement d’objet permettra au Moi (dans l’identification secondaire) de se substituer à l’objet dans l’amour du Ça, tandis qu’il détourne à son usage un contingent de l'énergie non refoulée (le Moi qui n’a pas d’énergie propre, utilise ainsi, sous forme d’énergie « neutralisée », ou « sublimée », grâce au reflux narcissique, les énergies sexuelles orale, anale, phallique, qu’il met au service de ses buts : par exemple, le Moi « goûte » les excitations dans l’activité perceptive, il « retient » la décharge, il « retient » dans la mémoire, il « délaye » la satisfaction, etc. sur les modèles de la libido orale et anale...).

2. En fait, le développement du Moi participe d’un processus extrêmement complexe, et le chemin est long qui va d’un « Moi de plaisir » (fonctionnement sur le mode fantasmatique de l'introjection des sources de satisfaction et de « projection » dans l’« extérieur » des excitations désagréables) vers le « Moi de Réalité », qui utilise le langage et reconnaît la nécessité de liaisons de l’ordre du temps, de l’espace, de la causalité (dans la mesure où il doit admettre la « perte » de l’objet narcissique, l’échec de la « réalisation hallucinatoire », et où il cherche à « retrouver » ce qu’il a « perdu » en remplaçant l’identité des décharges par celle de la pensée) : le Moi se structure en différenciation complémentaire/ oppositionnelle des investissements d’objet dont il reste tributaire, à travers les avatars de l’énergie et du désir.

3. Parmi les découvertes les plus déroutantes de la psychanalyse, on relèvera les suivantes, qui concernent le Moi :

- le narcissisme de l’identification primaire, aboutit à l’érection en objet d’amour primaire du Moi lui-même (particulièrement du moi corporel). Le choix du corps propre comme objet sexuel entraîne un degré de différenciation dans l’auto-érotisme et fait du Moi, désormais, la plaque tournante des investissements progrédients, externes, et régrédients : retournant vers le Sujet. Le Moi apparaît alors, fonctionnellement, comme le « réservoir » (la « réserve ») de la libido... Ces faits sont pertinents pour expliquer, dans une certaine mesure, le choix d’objet narcissique de l’homosexuel, le narcissisme secondaire de la mégalomanie psychotique, etc.

- la prise en compte du réel (de l’obstacle) amène le Moi à projeter son narcissisme sur des modèles Idéaux d’accomplissement. En ce sens, jamais le Moi ne s’aime plus que lorsqu’il aime son propre Idéal. Le « Moi idéal » de l’aspiration initiale, se retrouve ainsi dans l'Idéal du Moi, instance prospective qui relaie désormais la visée... régressive de la « toute puissance » fantasmée...

- la faiblesse initiale du Moi, la mise en œuvre corrélative du principe du plaisir/déplaisir et du signal d’angoisse devant les investissements ressentis dangereux, explique qu’une région du Moi fonctionne de manière inconsciente. Effectivement, dans la résistance, le Moi est inconscient (Le Moi, dit Lacan, en ce sens, est « le lieu de la méconnaissance »). - l’instauration post-œdipienne de la Censure du Surmoi (qui se fait grâce à la libération-intériorisation du contingent hostile de l’identification rivalisante) étend jusqu’à l’instance morale la dimension inconsciente de la structuration du Moi.

4. En somme, ce qui est le plus clair dans la conception psychanalytique du Moi, c’est la difficulté qu’il y a pour lui à servir plusieurs maîtres à la fois (le Ça, la Réalité, le Surmoi) en empruntant à chacun son pouvoir contre l’autre. Les frontières du Moi ne sont garanties ni de l’extérieur (ce dont témoignent les phénomènes de dépersonnalisation, de projection ou... l’état amoureux), ni de l'intérieur (résistances, sentiment inconscient de culpabilité...). C’est pourtant identiquement au Moi qu’appartiennent la tâche et la fonction de Synthèse, de Conservation. Du degré et du type de son développement (de sa « force ») dépendent les possibilités d’adaptation. Un degré de développement suffisant du Moi est nécessaire à supporter l’entreprise psychanalytique (dans l’« alliance thérapeutique »). Quelles que soient ses faiblesses et ses contradictions, le Moi reste en effet le seul médiateur du psychisme ; en ce sens, il n’y a d’analyse que l'analyse du Moi, de son organisation et de ses défenses.

5. Toutefois, poussant à l’extrême ces ambiguïtés pour y réfuter toute dimension synthétique, les psychanalystes de l’école de J. Lacan ne veulent retenir pour caractéristique du Moi que l’effet d’« aliénation narcissique » qu’ils rattachent au moment de « l’identification spéculaire » (du stade dit du miroir). Précipité du vœu d’unité dans la condition de dépendance et de détresse infantile, maître d’œuvre de la dénégation, le Moi serait - en tout et pour tout - ce qui fait écran à la parole (pleine ou vraie) par l’interposition de son individuation. Il serait donc « impossible à distinguer des captations imaginaires qui le constituent de pied en cap. »

Un tel radicalisme ne semble pas conforme à la pensée de Freud qui maintenait les contradictions multidimensionnelles, justement comme base du fonctionnement du Moi. Et, de fait, il reste fondamental de distinguer le Moi, comme différenciation topique du Ça, des avatars évolutifs qui structurent son organisation. En tant que différenciation, Freud y reconnaissait un « progrès en faveur de la conservation vitale »...