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MARX (Karl)

MARX (Karl). Né à Trêves, Marx (1818-1883) étudie le droit, puis la philosophie de Hegel. Il est d'abord journaliste (1841). Il rejoint Engels à Bruxelles (1845) et commence alors sa critique de la philosophie de Hegel. Dans la Sainte Famille (1845), il affirme que la philosophie comme la société doivent se transformer radicalement. Dans l'idéologie allemande (1846, publiée en 1932) se trouvent ses célèbres «Thèses sur Feuerbach» qui affirment que les idées sont déterminées par l'activité matérielle des hommes (matérialisme historique) ; l'être humain y est réduit à «l'ensemble des rapports sociaux» ; la onzième et dernière thèse lance le slogan : «Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de diverses manières : il importe maintenant de le transformer». — En 1848, Marx et Engels rédigent le Manifeste du Parti communiste. A partir de 1849, Marx se fixe à Londres où il reçoit l'aide financière d'Engels (dirigeant d'une entreprise textile de Manchester, Engels menait une existence de patron et de révolutionnaire). Marx rédige le Capital, dont il publie le tome I en 1867 (les tomes II et III seront publiés par Engels, à partir des notes laissées par Marx, en 1885 et 1894). En 1864, Marx crée et dirige la première internationale ; il oriente ensuite la politique des mouvements ouvriers, s'opposant aux réformistes comme aux anarchistes. Il prône une révolution qui doit commencer par établir la «dictature du prolétariat». (Manifeste du Parti communiste).
MARXISME, n.m. Doctrine de Marx. Prend deux noms : a) Matérialisme historique, parce que l'histoire serait déterminée par un processus thèse-antithèse-synthèse, dont le moteur serait matériel (base ou infrastructure économique) ; b) Matérialisme dialectique, du fait de la méthode, empruntée à Hegel, mais que Marx a renversée.
Philosophe, économiste et révolutionnaire allemand (1818-1883).
• Le génie de Karl Marx fut d’unifier, en une synthèse originale baptisée « matérialisme dialectique », le matérialisme athée de Feuerbach et la pensée dialectique de Hegel. Pour Marx en effet, la matière se déploie dans le monde sur un mode dialectique, mue par la lutte permanente des contraires. Ainsi, c’est la matière (ou le mode de production de notre vie matérielle) qui détermine la conscience (nos idées politiques, philosophiques, religieuses, etc.), et non l’inverse. • De ce point de vue, l’histoire des hommes n’est que « l’histoire de luttes de classes » : à toutes les époques, les techniques de production engendrent des rapports de production antagonistes qui divisent la société en « oppresseurs et opprimés ». • La société industrielle du XIXe siècle ne déroge pas à la règle. Bourgeois et prolétaires s’y affrontent, les premiers « volant » aux seconds une partie de leur travail (d’où provient la plus-value). Ainsi le travail salarié dégénère, dans l’économie capitaliste, en instrument d’aliénation. L’ouvrier, privé de la propriété de ce qu’il produit, devient comme étranger à son travail et à lui-même. • Même la religion contribue à l’aliénation de la classe laborieuse : parce qu’elle lui fait miroiter un bonheur illusoire, elle est « l’opium du peuple ». • Pour en finir avec l’exploitation de l’homme par l’homme, Marx prône la révolution prolétarienne et la fondation d’une société communiste sans classe, où les moyens de production seront collectivisés. Il met ainsi l’accent sur la visée pratique de la philosophie. Jusqu’ici, dit-il, « les philosophes n’ont fait qu'interpréter diversement le monde ; ce qui importe, c’est de le transformer ». Principales œuvres : La Sainte famille (avec Engels, 1845), L'Idéologie allemande (avec Engels, 1845-1846), Misère de la philosophie (1847), Manifeste du parti communiste (avec Engels, 1848), Le Capital (1867, 1885 et 1894).
MARX Karl. Philosophe et économiste allemand. Né à Trêves, vieille cité rhénane, le 5 mai 1818, à deux heures du matin; mort à Londres le 14 mars 1883. On compte parmi ses ascendants paternels et maternels un grand nombre de rabbins, mais son père, rompant avec la tradition familiale, se fit avocat. Les débuts au barreau de maître Marx coïncident avec l’installation en Rhénanie du régime napoléonien. Il semblait s’y adapter fort bien et son cabinet prospérait. A peine marié, il devint, en 1815, sujet du roi de Prusse, et dut changer de religion pour pouvoir exercer sa profession. Sa femme demeura juive. Ce n’est qu’en 1825, après la mort de ses vieux parents, que Mme Marx se convertit au protestantisme avec ses sept enfants. Ainsi Karl Marx, né juif, devint chrétien à l’âge de sept ans. Ce fut un enfant turbulent et autoritaire. A l’âge de douze ans, il entra au Gymnasium de Trêves. A dix-sept ans il devint amoureux. L’objet de sa flamme était une amie de sa sœur aînée, Jenny de Westphalen, fille d’un gentilhomme libéral, qui, après avoir été sous-préfet de Napoléon, se retrouva avec une merveilleuse aisance au service du roi de Prusse. Mlle de Westphalen était blonde et belle. Elle avait quatre ans de plus que son soupirant, mais celui-ci, robuste et vigoureux garçon au teint basané, aux yeux pleins de feu, paraissait bien au-dessus de son âge. Un roman s’ébaucha. Karl dut bientôt quitter sa bien-aimée pour aller étudier le droit à Bonn (1835). Il y mena joyeuse vie, participant, avec délices, aux beuveries, aux bagarres et autres divertissements de ce genre, chers aux étudiants de son temps. On ignore les progrès qu’il put faire dans ses études au cours de cette première année, mais tout porte à croire qu’ils n’étaient pas considérables. Venu passer ses vacances à Trêves, il se fiança secrètement avec Mlle de Westphalen. Les vacances terminées, au lieu de retourner à la « gaie taverne » de Bonn, il dut se rendre à la « maison de correction » de Berlin. Ainsi en avait décidé maître Marx, qui estimait que l’ambiance austère de l’université de la capitale prussienne favoriserait mieux les études de son fils. Celui-ci, d’ailleurs, se montrait plein de bonne volonté. Il se fit inscrire chez neuf professeurs, pour neuf cours différents. Mais il ne les suivit pas régulièrement. Entre-temps, il se découvrit une vocation poétique, Il en résulta trois cahiers de vers qu’il offrit à sa fiancée comme cadeau de Noël. Il s’aperçut aussi que la philosophie l’attirait plus que la jurisprudence, et il se passionna pour Hegel. Ce qui ne l’empêchait pas de traduire (pour son plaisir) Tacite et Ovide, d’étudier (à l’aide d’une grammaire) l’anglais et l’italien, d’entreprendre un « drame fataliste » dans le goût de Schiller, un « roman humoristique » dans le goût d’Hoffmann, et un monumental traité de métaphysique et de philosophie du droit. Sans compter, bien entendu, les vers : épiques, lyriques, satiriques, etc. Tout fut commence, rien ne fut achevé. Faut-il s’en étonner ? Marx n’a que vingt ans. Son énergie vitale déborde. Mais il en est encore à chercher sa voie qui, pour le moment, se dérobe. Sur cela, il perdit son père (10 mai 1838). Le choix de la carrière devenait libre. Marx opta résolument pour l’enseignement. Un de ses maîtres de Berlin, Bruno Bauer, qui l’avait pris en amitié, nommé à Bonn, lui promit de lui procurer une place de « privat-dozent » à cette Université dès qu’il aurait passé sa thèse. Marx se mit énergiquement au travail et fut reçu docteur en philosophie (15 avril 1841). Sur ces entrefaites, Bauer, jugé suspect par le gouvernement, se vit enlever sa chaire et le projet caressé par Marx s’évanouit. A cette époque, quelques jeunes bourgeois libéraux de Rhénanie avaient décide de fonder à Cologne un journal de tendance oppositionnelle. La direction en fut offerte à Bauer. Marx accepta d’être son second et c’est ainsi qu’il se trouva entraîné vers le journalisme. La Gazette rhénane [Rheinische Zeitung] commença à paraître le 1er janvier 1842. Marx y débuta en tant que journaliste en mai suivant par une série d articles consacrés à l’examen des travaux du Landtag (diète) rhénan dont la session venait de prendre fin. En octobre il remplaça Bauer a la direction du journal. Le premier article rédigé par lui en qualité de rédacteur en chef parut dans le numéro du 16 octobre. C’était une réponse à la feuille rivale, La Gazette augsbourgeoise [Augsburger Zeitung], qui accusait la Rheinische de publier des articles qui propageaient la doctrine communiste. La réponse de Karl Marx traduisait son embarras devant une question qu’il connaissait encore mal. « Nous sommes convaincus, écrivait-il, que le vrai danger ne consiste pas dans les tentatives de mettre le communisme en pratique, mais dans l’élaboration même de la doctrine communiste. » Et il ajoutait qu’il se proposait d’étudier cette grave question. Peu de temps après, la Rheinische Zeitung fut interdite (mars 1843). Marx venait de se brouiller avec sa mère qui refusait de lui rendre sa part de l’héritage paternel. Il se préparait à épouser Mlle de Westphalen dont le père était mort l’année précédente. Et le voici sans argent et sans situation ! La proposition de l’éditeur Wigand de devenir codirecteur d’une revue franco-allemande devant paraître à Paris, arriva fort à propos et lui permit de sortir de la situation difficile dans laquelle il se trouvait. Le mariage eut lieu le 12 juin 1843. Le 11 novembre suivant, Marx s’installait à Paris dans un modeste appartement au 38 de la rue Vaneau. En partant, il avait fait savoir aux autorités de son pays qu’il renonçait à la nationalité prussienne. Dans les milieux socialistes et démocrates français, Marx se heurta à une indifférence méfiante et soupçonneuse. Personne ne voulut lui apporter sa collaboration. Avec son collègue Arnold Ruge (un hégélien de gauche qu’il avait connu au cercle de Bruno Bauer), il ne s’entendait guère. Tant bien que mal on put faire paraître le premier numéro (fin février 1844). Il n’eut pas de suite, le commanditaire ayant cessé de financer une entreprise estimée ruineuse (trois cent quatorze exemplaires de la revue destinés à être introduits en Allemagne, avaient été saisis par la police prussienne). Dans le premier numéro de ces Annales franco-allemandes (marqué 1-2 pour justifier auprès des souscripteurs le retard apporté à sa parution), Marx publia deux articles : Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel et Sur la question juive. On retiendra surtout le premier qui comporte les définitions marxistes, appelées à devenir classiques, de la religion («La religion est la plainte des opprimés, l’âme d’un monde sans âme, l’espoir d’une condition humaine sans espoir : elle est l’opium du peuple ») et du prolétariat (« Une catégorie sociale de portée universelle parce que chargée de souffrances universelles et qui n’aspire pas à une justice particulière, parce qu’elle est la victime d’une injustice générale... une classe de la société qui ne peut se libérer qu’en libérant les autres »). Elles permettent de mesurer le chemin parcouru par la pensée de Marx dans l’espace d’une année. Après la disparition de la revue, Marx se trouva privé de toutes ressources. Son collègue, qui était rentré dans ses frais, lui paya le solde de ses honoraires en exemplaires de la revue, lui laissant le soin de les écouler. Des amis de Cologne se cotisèrent et lui envoyèrent mille thalers (28 avril 1844). Placé ainsi, du moins provisoirement, à l’abri du besoin, Marx mena à Paris une vie retirée, passant son temps en lectures, copiant ou résumant des passages qui avaient retenu son attention. Dans les neuf cahiers qui nous sont parvenus (il ne semble pas en avoir eu d’autres pour cette époque de sa vie) on trouve des extraits de List, de Ricardo, de J.-B. Say, d’Adam Smith, de Boisguillebert.
C’est à travers les Mémoires de Levasseur de la Sarthe qu’il anatomise la Révolution française. Les Œuvres de Robespierre que Laponneraye venait de publier (1840) ne semblent pas avoir attiré son attention. Celles de Saint-Just (publiées en 1834) non plus. Mais il fut un lecteur attentif des Mystères de Paris. Heine, qui se trouvait alors à Paris, devint son grand ami. En juillet il fit la connaissance de Proudhon que ses patrons lyonnais avaient envoyé à Paris. Marx appréciait beaucoup son mémoire. Qu’est-ce que la propriété ?, lui trouvant « la même importance pour l’économie politique moderne que celui de Sieyes Qu’est-ce que le Tiers Etat ? pour la politique moderne ». Il eut avec Proudhon de longs entretiens. « Dans des discussions souvent prolongées toute la nuit, dira par la suite Karl Marx, je lui injectais de l’hegélianisme ». Il n’en sortit rien. A peu près en même temps vivait à Paris le tumultueux Bakounine. Naturellement il alla voir Marx, admira son savoir, sa puissance dialectique, mais, ne se sentant pas à l’aise face à un interlocuteur qui le dominait nettement, espaça ses visites. « Nos tempéraments ne s’accordaient pas », expliquera-t-il plus tard. En septembre, un grand jeune homme blond, l’air à la fois timide et distingué, vint frapper à la porte de Marx. Il se nomma : Friedrich Engels. Un petit article de lui avait paru dans les Deutsch-französische Jahrbücher. Déjà en septembre 1842, de passage à Cologne, il s’était présenté aux bureaux de la Rheinische Zeitung. Il arrivait à un mauvais moment. Marx, en pleine discussion, s’était débarrassé trop rapidement d’un visiteur jugé importun. Cette fois il en fut tout autrement. De cette rencontre naquit une amitié qui rendra leurs noms inséparables dans la mémoire des hommes. Au début de 1845, à la requête du gouvernement prussien, Marx fut expulsé de Paris. Il se rendit à Bruxelles. Engels lui fournit aussitôt une aide pécuniaire et vint le rejoindre en mai suivant. Ensemble ils firent en juillet-août un voyage en Angleterre qui permit à Marx de se faire une première impression de la vie économique anglaise et d’entrer en rapport avec l’Association des ouvriers allemands établie à Londres. La Ligue des Justes, créée par les émigrés allemands à Paris, s’était dispersée après le coup de force du 12 mai 1839. En février 1840, quelques-uns de ses membres, réfugiés à Londres, y fondèrent l’Association des ouvriers allemands qui, sous une forme légale, assurait l’activité clandestine de la Ligue. Rentrés à Bruxelles (20 août 1845), Marx et Engels commencèrent en collaboration un traité de philosophie : L'Idéologie allemande [Die deutsche Idéologie] qui leur prit un an mais ne trouva pas d’éditeur (il ne fut publié qu’en 1932). Au printemps 1846, résultat de ses entretiens avec les dirigeants de l’Association de Londres, Marx se consacra entièrement à une tâche encore nouvelle pour lui, celle de propagandiste-agitateur. Il se mit à organiser des comités de correspondance destinés à renforcer et à développer les liens de cette Association avec les organisations ouvrières disséminées dans les différents pays du continent. Proudhon, pressenti, répondit à Marx : « Après avoir démoli tous les dogmatismes a priori, ne cherchons point, à notre tour, à endoctriner le peuple » (lettre du 17 mai 1846), mais dès la parution de son livre Philosophie de la misère, il lui en envoya un exemplaire avec un mot qui disait : « J’attends le fouet de votre critique » (20 décembre 1846). Aussitôt Marx se mit à l’œuvre. Le 15 juin 1847, le « fouet » était prêt. Il s’appelait Misère de la philosophie. En juin 1847 la Ligue des Justes tint son congrès à Londres. Engels y alla, Marx resta à Bruxelles. Le congrès décida une réorganisation complète de la Ligue. De nouveaux statuts allaient être proposés. La devise de la Ligue était : « Tous les hommes sont frères. » Elle ne plaisait pas à Marx. « Il existe une multitude d’hommes, disait-il, dont je ne tiens guère à être le frère. » Sur sa demande Engels proposa la devise : « Prolétaires de tous les pays unissez-vous. » Elle fut adoptée. Au congrès suivant, qui eut lieu en novembre de la même année, également à Londres, on changea le nom de la Ligue. Elle allait s’appeler désormais « Ligue des communistes ». Cette fois Marx était présent. Il reçut, conjointement avec Engels, la mission d’élaborer un manifeste destiné à faire valoir la nouvelle plate-forme révolutionnaire de la Ligue. Engels proposa une espèce de catéchisme en vingt-cinq points. Cette présentation déplut à Marx. En six semaines, il rédigea le texte de l’évangile du prolétariat mondial, Le Manifeste communiste. Le 3 mars 1848, Marx fut expulsé de Belgique. La veille il avait reçu de Flocon une lettre l’invitant à venir vivre parmi les républicains français. Marx ne fit à Paris qu’un bref séjour. Il avait hâte de passer en Allemagne où venait de s’allumer à son tour l’incendie révolutionnaire. Installé à Cologne, il prit la direction de la Nouvelle Gazette rhénane [Neue Rheinische Zeitung] qui commença à paraître le 1er juin 1848. Après l’écrasement de l’insurrection autrichienne (1er novembre 1848), la contre-révolution triompha sans difficulté en Prusse. Marx s’obstinait à ne pas perdre courage. Il mettait tout son espoir dans un nouveau sursaut révolutionnaire du peuple français, suivi du déclenchement d’une guerre mondiale. « Tel est le programme pour 1849 », écrivait-il dans le numéro du 1er janvier de son journal. Celui-ci cessa de paraître le 18 mai suivant, Marx ayant reçu l’ordre de quitter la Prusse. Il revint à Paris, d’où la politique française l’expulsa au bout de deux mois. Ne pouvant retourner en Belgique, se sachant indésirable en Suisse, il opta pour l’Angleterre. Le 24 août 1849 il arriva à Londres. Engels alla s’établir à Manchester. La « nuit sans sommeil de l’exil » commençait. Marx fit du journalisme alimentaire très médiocrement et très irrégulièrement rétribué. Il aurait pu trouver aisément, par l’intermédiaire d’Engels, un emploi de bureau stable qui lui aurait permis d’équilibrer son budget familial. Il ne le voulut pas, estimant qu’il avait besoin de toute sa liberté pour réaliser l’œuvre qu’il se proposait d’entreprendre. En fait, la menue besogne quotidienne l’accaparait à tel point qu’il ne pouvait consacrer à cette œuvre que des heures nocturnes, prises sur son sommeil. Mal logé, mal nourri, criblé de dettes (il en était arrivé à emprunter quelques shillings à de simples ouvriers), vivant au jour le jour, à la merci d’un boucher ou d’un marchand de légumes, Marx connut alors le fond de la plus sombre misère. Ce n’est qu’en 1863, lorsqu’il put enfin, après la mort de sa mère, entrer en possession de sa part d’héritage, que sa situation matérielle devint tant soit peu normale. Mais il ne vit disparaître entièrement ses soucis d’argent qu en 1868, grâce à la pension annuelle de trois cent cinquante livres sterling qu’Engels fut en mesure de lui assurer désormais. C’est à partir de 1863 que Marx s’occupa activement du Capital qui sommeillait depuis plusieurs années. Le 29 mai, il écrivait à Engels : « S’il m’était à présent possible de me retirer dans la solitude, la chose marcherait vite. » Ce projet de retraite studieuse n’eut pas de suite. Le 31 juillet 1865 (soit plus de deux ans après), Marx annonce qu’il lui reste encore trois chapitres à écrire (il s’agit, bien entendu, du tome I), et le 7 juillet de l’année suivante il fait savoir à Engels qu’il espère « en finir vers la fin août ». Mais ce n’est que le 27 mars 1867 qu’il demanda à Engels de lui fournir l’argent du voyage nécessaire pour porter le manuscrit à son éditeur de Hambourg. Le livre parut en septembre suivant, tiré à mille exemplaires. Il eut peu de retentissement alors. La reprise par Karl Marx de son activité de militant révolutionnaire date également de cette époque. Le 22 juillet 1863, au cours d’une manifestation en faveur de l’insurrection polonaise, avait été adoptée une résolution sur la nécessité de créer une association ouvrière internationale. Un comité chargé des travaux préliminaires fut élu. Ces travaux se prolongèrent pendant un an. Marx n’y participa pas. Invité à la réunion inaugurale comme représentant des ouvriers allemands, il y assista, pour parler son propre langage, « en personnage muet sur l’estrade ». Mais il fut élu membre du comité chargé d’établir le programme et les statuts de la nouvelle association. Malade, il ne put pas être présent aux premières séances du comité, dominé alors par Mazzini. Venu pour la première fois le 18 octobre 1864, Marx obtint que le projet franco-italien des statuts patronné par Mazzini fût remanié et accepta de se charger de ce travail. Il en résulta un nouveau projet rédigé par Marx et présenté par lui sous le titre : Address and Provisional Rules of the International Working Men’s Association. Dix-sept ans auparavant il lançait son Manifeste communiste. Les espoirs qu’on avait fondés sur la révolution de 1848 furent déçus. Le capitalisme était sorti renforcé de l’épreuve. La classe ouvrière devait être mise à présent devant ses responsabilités et devant ses devoirs. Ce qui appelait un certain nombre de dispositions impératives : l’enrichissement progressif des riches a pour contrepartie la misère progressive des pauvres. Tout progrès du capitalisme ne peut qu’élargir le fossé entre les classes et accentuer les antagonismes sociaux. L’affranchissement de la classe ouvrière est le grand but auquel tout mouvement politique doit servir de moyen. Il ne saurait avoir lieu dans les limites d’un seul pays. Il ne peut être réalisé que par une collaboration concertée des classes ouvrières de tous les pays. Il s’agit donc d’éveiller et d’approfondir chez les ouvriers le sentiment de la solidarité et de l’alliance internationales. Le projet de Marx fut adopté à l’unanimité. Il devint dès lors le chef de l’internationale. Mais il eut à lutter contre de nombreux adversaires qui refusaient de se soumettre à son autorité. Mazzini, d’abord, qui ne pouvait pas lui pardonner le torpillage de son projet. Marx le traitait d’intrigant. « Je vais faire poser par Bakounine des contre-mines sous les pieds du sieur Mazzini », écrivait-il à Engels. Mais bientôt, il dut « poser des contre-mines » sous les pieds du « sieur Bakounine ». Ensuite ce fut le tour de « ces ânes de proudhonistes » à qui il donna « le coup de grâce » au congrès de Bruxelles en 1868. D’année en année les luttes intestines s’intensifiaient au sein de l’internationale. L’adresse Sur la guerre civile en France que Marx fit adopter par le Conseil général au lendemain de la Semaine sanglante, provoqua la démission de l’internationale des chefs trade-unionistes. Le 18 juin 1871, Marx écrivait à son ami Kugelmann (gynécologue à Hanovre) : « J’ai l’honneur d’être en ce moment l’homme de Londres le plus calomnié et le plus menacé. » Au congrès de l’année suivante qui eut lieu à La Haye, Marx capitula en demandant que le siège du Conseil général fût transporté à New York. C’était pratiquement la fin de l’internationale. La conférence de Philadelphie, en 1876, prononça sa liquidation définitive. Après la dissolution de l’internationale, Marx renonça à toute activité politique, mais il demeura en relations épistolaires avec les principaux dirigeants des mouvements ouvriers en Europe. Sa santé déclina de plus en plus à partir de 1873. Sa femme mourut le 2 décembre 1881. Il lui survécut jusqu’au 14 mars 1883. Le Capital est considéré, de l’avis général, comme un ouvrage lourd et indigeste. Il ne l’est ni plus ni moins qu’un traité de Newton ou de saint Thomas d’Aquin. Fait par un économiste pour des économistes, il est difficilement accessible à ceux qui sont peu familiarisés avec cette science. Ce qui, du reste, importe peu. N’eût-il servi qu’à alimenter un seul cerveau, celui de Lénine, il aurait rempli, et bien au-delà, le rôle que lui assignait son auteur. Marx n’a pas le mérite d’avoir découvert l’existence ni la lutte des classes. Mais c’est lui qui a montré que la lutte des classes mène à la dictature du prolétariat, autrement dit, à une période de transition politique pendant laquelle la classe des opprimés, devenue classe dominante, a pour mission d’opprimer les oppresseurs, et que la dictature du prolétariat, en fin de compte, doit aboutir à l’instauration d’une société sans classes, c’est-à-dire communiste. Le marxisme n’est pas un dogme. C’est un vade-mecum. Il a pour charge de guider le prolétariat dans sa marche vers l’accomplissement total de ses destinées. Il n’admet ni déviation, ni abandon en cours de route. Lénine l’a dit : « Limiter le marxisme à la lutte des classes, c’est le tronquer, le mutiler, le réduire à ce qui en est acceptable pour la bourgeoisie. N’est marxiste que celui qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu’à la dictature du prolétariat. » (L’Etat et la Révolution). De même que le Christ, aux martyrs de l’esclavagisme antique, Karl Marx a apporté aux martyrs de l’esclavagisme moderne un bouleversant espoir. Aucune bombe, atomique ou autre, ne parviendra à le détruire.


♦ « Marx avait, au plus haut degré, l'idée que la révolution sociale dont il parlait constituerait une transformation irréformable et qu’elle marquerait une séparation absolue entre deux ères de l’histoire... Il y a là quelque chose de vraiment effrayant; mais je crois qu’il est très essentiel de maintenir très apparent ce caractère du socialisme, si l’on veut que celui-ci possède toute sa valeur éducative. Il faut que les socialistes soient persuadés que l’œuvre à laquelle ils se consacrent est une œuvre grave, redoutable et sublime. » Georges Sorel. ♦ « Hegel avait cru interpréter l’univers d’une façon définitive; Marx à son tour croit l’organiser à jamais. L’un et l’autre méconnaissent leur dialectique; ils prétendent substituer une immobilité bienheureuse à cette suite indéfinie de transformations qui sont chacune une parcelle du bonheur. » Maurice Barrés. ♦ « La doctrine de Marx est toute-puissante, car elle est juste. Elle est complète et harmonieuse, elle donne aux hommes une vue entière du monde, qui ne peut se concilier avec aucune superstition, avec aucune réaction, avec aucune défense de l’oppression bourgeoise. Le marxisme est le successeur naturel de tout ce que l’humanité a créé de meilleur au XIXe siècle dans la philosophie allemande, dans l’économie politique anglaise et dans le socialisme français... Le génie de Marx consista à dégager et à appliquer rigoureusement avant quiconque la conclusion qui découle de l’histoire universelle. Cette conclusion, c’est la doctrine de la lutte des classes... Seul le matérialisme philosophique de Marx a montré au prolétariat le moyen de sortir de l’esclavage spirituel dans lequel ont végété jusqu’à ce jour toutes les classes opprimées. » Lénine. ♦ « Le marxisme nous a attirés vers lui, a transformé tour à tour toutes nos pensées, a chassé de nos esprits les catégories de raisonnements bourgeois, mais n ’a pu satisfaire entièrement notre soif de comprendre le monde, parce que dans le secteur spécifique dans lequel nous nous sommes situés, il n ’avait rien à dire et ne pouvait rien nous apprendre, parce qu’il s’était arrêté... Le prétendu dépassement du marxisme ne peut être aujourd’hui que le retour au pré-marxisme, au pire, ou bien être la pensée contenue déjà dans le marxisme, au mieux. » Jean-Paul Sartre.

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