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Marcel Pleynet

Né en 1933 à Lyon. Secrétaire de rédaction de la revue Tel Quel.

Comme, titre du troisième livre de poésie de Pleynet, dit parfaitement qu’il doit s’agir ici de quelque chose qui serait « comme » le chant mythique de la schizoïdie. Le mot « comme » instaure la comparaison, donc la dualité. Il y a de la poésie et la prose, l’ici et Tailleurs, le sujet et l’histoire, la dispersion et le système. Tout Marcelin Pleynet est là : la souffrance du double et le désir d’une unité difficile à conquérir. A l’origine, le fossé qui sépare mais aussi qui réunit signifié et signifiant. La poésie est donc le lieu de l’accident, du désaccord, de l’amour provisoire. On peut dire des mots ce qu’on dit du couple : « parlons de leur rencontre de ce croisement sur la page ». Comme le couple se regarde, la poésie se commente elle-même dans un mouvement essentiel non-figuratif. Paysage en deux : paysage qui n’existe pas, ou plutôt qui n’existe que dans ce qui le sépare de lui-même, dans ce qui fait que rien ne se ressemble ou ne se rassemble, et qui est le langage lui-même. Il n’est donc pas étonnant que Pleynet ait été le premier à mettre en évidence ce qui constitue le thème majeur de Lautréamont-Ducasse : la dualité, et sa fonction irréalisante. « L'adverbe « comme », écrit-il dans son Lautréamont (page 114), met en relief l’arbitraire de la fiction (...) Mise en évidence, l’articulation conventionnelle de la fiction et de la réalité fait apparaître et désamorce la convention de toute lecture située à ce carrefour ». Maldoror-Pleynet est celui qui « jette un long regard de satisfaction sur la dualité qui (le) compose », un autre lui-même, deux en un. C’est peut-être avec Stanze I.IV que Pleynet est allé le plus loin dans cette exploration de la coupure, dans la mesure où il lui donne un statut en quelque sorte épique. « La poésie pour moi aujourd’hui, note-t-il, c’est ce qui peut réinvestir dans et avec le langage la démesure des forces conflictuelles du sujet et de l’espace historique généralisé qui est le sien ». Par delà la dualité, la séparation quotidienne, imposée, du sujet et de l’histoire, il s’agit de raconter l’aventure odyssééenne d’un Je à travers la culture qui le fonde le plus souvent malgré lui. Stanze est une sorte de régression critique à travers l’inconscient de l’histoire et du moi, un retour au refoulé des civilisations. Au cœur de ce refoulé (Lautréamont encore et sa fascination de l’Océan toujours identique à lui-même, du « pédéraste incompréhensible ») : l’homosexualité (être à la fois le même et l’autre). La poésie, ici encore, sera en conséquence ce qui s’opposera au martèlement d’une syntaxe dominatrice passée dahs l’inconscient, ce qui lui opposera des anomalies : balbutiements, jeux de mots, lapsus, argots, vocabulaire sexuel, etc. De même, dans ce mime d’un inceste généralisé, dans cette traversée de la langue-mère, Pleynet utilisera la langue chinoise « dont les rythmes programment de tout autres rêves — une tout autre conscience ». Ce travail critique sur la langue et ses refoulements, Pleynet le poursuit depuis plusieurs années sur la peinture, mettant en relation « le retour lautréamontien sur le code rhétorique, le retour cézannien sur le mode perspectif, le travail de Seurat sur la rationalisation des productions colorées, etc. ». Dans l’Enseignement de la peinture (repris en majorité dans Système de la peinture) il constate que la fin de la deuxième moitié du XIXème siècle voit s’achever un cerain type de rapport entre les artistes et les institutions, et que c’est précisément la mise en cause de ce rapport qui, pour chaque artiste, chaque sujet, va désormais constituer la base fragile de son travail d’autointerprétation. Matisse, Mondrian, Kandinski, Klee, témoignent d’une percée que d’autres, le Bauhaus, le Cubisme, l’Avant-garde russe, ont refoulée en formalisme ou en dogmatisme. Pour la poésie comme pour la peinture il s’agit de ne pas prétendre à d’autre figuration que celle de l’œuvre elle-même (en cela un Giacometti est pour Pleynet un contemporain immédiat) à partir de la prise en considération de son matériel. Mais le mot important est ici le mot système : écrire et peindre, c’est toujours s’engager « dans un parcours faisant système ». ► Bibliographie

Provisoires amants des nègres, 1962 ; Paysage en deux suivi de Les lignes de la prose, 1963 ; Comme, 1965 ; Lautréamont par lui-même, 1967 ; L'enseignement de la peinture, 1971, repris en 1977 dans Système de la peinture (Points) ; Stanze, Incantation dite au bandeau d'or, 1973 ; Art et Littérature, 1977 ; Tous ces ouvrages aux éditions du Seuil.

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