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Marcel Moreau

Né en 1933 à Boussu (Belgique). Pas d’études, plus ou moins autodidacte, Marcel Moreau ne correspond pas à l'idée traditionnelle que l’on se fait de l’écrivain. Malgré certaines bouderies de la critique, son œuvre, marginale, peu orthodoxe finit peu à peu par s’imposer, avec aujourd’hui dix livres publiés. Sa vie, sur laquelle Moreau dit qu ’il n’y a pas grand chose à dire, se résume à son écriture. Sinon qu 'actuellement, il la gagne en occupant un poste de correcteur dans un grand quotidien parisien. La position marginale de Marcel Moreau dans le roman actuel tient à la fois à sa démarche propre et aux cadres habituels du genre qui lui sont étrangers. Son écriture ne peut être vraiment rangée dans aucun « tiroir ». On a beau vouloir lui attribuer la postérité surréaliste pour ses deux premiers romans, Quintes et Bannière de bave, pour son agressivité à l’égard du cartésianisme et de la logique, il y a chez lui trop de «barbarie», trop d’antiintellectualisme pour pouvoir le considérer comme un fils naturel de Breton. Il est vrai qu’il n’en possède pas la rigueur, l’exigence formelle et spirituelle. Moreau, dans ses moments de faiblesse, peut paraître un « gueulard » qui se saoule de mots, au point de tomber dans tous les excès, y compris celui d’une rhétorique verbeuse. Mais ce reproche, que l’on n’a pas manqué de lui faire, ignore le sens profond de sa pratique de l’écriture. Pour lui, l’excès loin d’être un défaut est la condition sine qua non d’une expression authentique. Ce qui l’exclut également des recherches formelles des avant-gardes auto-déclarées. D’ailleurs, Moreau n’a jamais appartenu à une chapelle, voire entièrement à une théorie, fût-elle la sienne qu’il a développée dans des essais d’un lyrisme exacerbé, Le Chant des paroxysmes, L’Ivre livre ou Les arts viscéraux. Plus qu’à Breton, Moreau fait penser à quelque Lautréamont moderne, tourné totalement vers une « egobiographie » tellurique. Même son roman le plus structuré, Julie ou la dissolution, où l’héroïne fait effectivement penser à quelque Nadja mystérieuse, relève de cette esthétique du sortilège, de l’orgie. Hasch, l’un des pratagonistes, est comme réveillé, éclairé, libéré par la présence de Julie, la « sauveuse » : «Il s’est éloigné du langage (de la masse verbale), adapté peu à peu à son silence. Il n'employait plus que les mots inintelligibles et purs, purs parce qu’inintelligibles : mort, sexe, vertige, ivresse, destin. » Ces cinq mots résument parfaitement l’ensemble de l’œuvre de Marcel Moreau. La mort est au centre de tous les livres, et notamment de ce Bord de Mort, au titre évocateur, où Salve, l’anti-héros d’un drame pseudo policier, parvient jusqu’aux limites de la folie et du désespoir. Moreau se veut un écrivain (presque un « écho », au sens le plus physique du terme) de tous les paroxysmes. Dans son dernier ouvrage, Les arts viscéraux, il dénonce précisément le côté « culturel » et « récupéré » du surréalisme, « insensible aux prodiges de la pulsion vitale ». Il lui a opposé la quête à outrance de l’Emotion, d’une « Émotion nouvelle ». On songe ici à la préface de Céline à Guignol’s Band : « Emouvez-vous ! » Moreau réaffirme la beauté de la femme et la puissance de l’écriture. Et la fonction souterraine de l’individu (le « viscéralisme ») est érigée en valeur d’éblouissement. Aujourd’hui, il n’est plus de livre possible que dionysiasque. Mais Moreau se méfie de ce ton terroriste, du style « manifeste » : pas question de chercher à faire école. Bien sûr, il se sert de mots en « isme », mais dit-il, « je ne fonderai pas d’Eglise ». Toute sa démarche procède d’un anarchisme viscéral, d’une volonté de dépasser les schémas trop confortables de la prose bien établie. On comprend dès lors que cet anti-conformisme qui passe — nous l’avons dit — par certaines limites (la fulgurance n’est pas toujours aussi fulgurante qu’elle le voudrait), empêche Moreau de trouver l’accueil qui lui est dû. Pourtant, son originalité sauvage et irréductible, son incongruité même, lui assurent le droit, peut-être plus qu’à d’autres, d’être cité ici.

► Bibliographie

Quintes, 1963, Buchet/Chastel. Bannière de bave, 1965, Gallimard. La Terre infestée d'hommes, 1965, Buchet/Chastel. Le chant des paroxysmes, 1967, Buchet/Chastel. Écrits du fond de l'amour, 1968, Buchet/Chastel.

Julie ou la dissolution, 1971, Christian Bourgois. La Pensée Mongole, 1972, Christian Bourgois. L'Ivre livre, 1973, Christian Bourgois. Le Bord de Mort, 1974, Christian Bourgois. Les arts viscéraux, 1975, Christian Bourgois. Sacre de la femme, 1977, Christian Bourgois.

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