Maine de Biran: Idée de cause
Idée de cause
• Idée simple de réflexion. Le sentiment d’être cause est intimement lié au sentiment du moi ou fait primitif de conscience. En effet, « ce fait primitif originaire de toute connaissance, doit être tel qu’il emporte avec lui le sentiment indivisible de la cause et de son effet, du sujet et de son mode permanent » (RSP, 8) L’idée de cause est donc une idée simple de réflexion.
•• Biran rend hommage à deux auteurs d’avoir perçu que le principe de causalité est la clé de la métaphysique : Ancillon père (« Le principe de causalité, a dit un philosophe très judicieusement, est le père de la métaphysique » [E, 225]) ; Leibniz (« Leibniz a supérieurement vu que le principe de causalité, tel que nous pouvons le connaître sans sortir de nous-mêmes, est le grand pivot de toute la métaphysique » [RPS, 101]). En ce principe réside en effet le mystère de l’ordre de génération du réel, du commencement de ce qui existe, d’une première cause. Toute la question est de savoir si ce principe est réel, formel, catégorial ou bien encore imaginaire. La réponse de Biran est que ce principe reçoit toute sa réalité du fait primitif. Nous n’existons pas sans avoir le sentiment d’être cause. Ce sentiment d’être cause n’est ni une forme logique, ni un absolu abstrait (catégorie), ni l’ordre accoutumé de l’imagination. En partant de la forme logique, de la catégorie abstraite, de l’ordre imaginaire, nous n’aboutissons jamais en effet à ce sentiment intime d'être cause. Et en voulant confondre ce sentiment avec la succession physique des phénomènes, nous dénaturerons « la valeur que ce principe conserve toujours malgré nous-mêmes au fond du sens intime » (E, 226). L’idée de cause n’est ni a priori, ni phénoménale : elle a « son type primitif et unique dans le sentiment du moi » (E, 227). D’où trois erreurs majeures : faire de la causalité un transcendant, à savoir une loi a priori de l’esprit (catégorie) ou une chose en soi (noumène), (Kant) ; faire de la causalité un « fait connu par l’expérience » extérieure, c’est-à-dire un fait d’habitude illusoire, (Hume ; E, 229) ; faire de la causalité l’ordre de succession des choses, (sens commun). Trois manières de supprimer l’activité du moi et de dissimuler l’origine réelle de l’idée de cause. Or une telle idée ne saurait être figée dans l’absolu, bloquée dans l’extériorité, saisie par représentation sans perdre tout son sens relatif et intime : « L’effort ou le mouvement n’est représenté qu’autant que nous nous séparons entièrement de l’être auquel nous l’attribuons ; ainsi par cela même que le dernier est connu comme objet ou phénomène étranger, il ne peut être senti dans sa cause, ni par conséquent sa cause ne peut être senti comme en lui ou comme il est lui-même » (E, 232).
••• Ni le physicien, ni la métaphysicien n’ont compris l’origine de l’idée de cause. Ils ont senti qu’ils avaient besoin de cette idée, comme l’homme de bon sens. Mais ils ont cru qu’il fallait la représenter phénoménalement (succession dans l’ordre expérimental, RSP, 33) ou absolument (cause en soi) alors qu’on ne peut s’en faire aucune « idée représentative ou image » (RSP, 32), qu’ici « l’imagination n’intervient pas », « que la cause ou force productive quelle qu’elle soit, n’est pas de son ressort ou ne saurait jamais être représentée » (E, 35). La métaphysique se reconnaît à sa confusion perpétuelle du relatif et de l’absolu, « de la chose en soi, objet de croyance, avec le moi, sujet relatif de la connaissance » (RSP, 85). La nécessité pour l’esprit de dépasser la succession phénoménale et de remonter jusqu’à un terme supérieur à la série, premier commencement (prius natura), cause absolue, aurait dû lui faire soupçonner que le problème n’était pas de se faire une représentation de la cause, physique ou métaphysique, mais tenait à la nature même de notre esprit. Elle aurait dû comprendre « que nous avons d’autres facultés que l’imagination qui, si elle était seule, ne s’élèverait jamais jusqu’à la notion d’un premier nécessaire et inconditionné » (RSP, 36). C’est en effet une loi de notre esprit qui nous force à transporter dans la nature, hors du moi, l’idée de cause de même qu’elle nous porte à en faire un absolu métaphysique. Le tort était de prendre cette dérivation pour une origine réelle, de ne pas prendre en compte l'induction de l’esprit, sa tendance à croire à une origine métaphysique absolue de l’idée de cause ; cette tendance pouvait déboucher sur l’absolu, mais elle transportait seulement hors du moi l’idée de cause qui est l’expression de notre existence subjective. En réalité, du moi à la nature, de la nature à la métaphysique, tout ce qui est saisi comme force physique ou cause absolue ne l’est qu’au travers de notre propre sentiment d’être cause : « Le principe de causalité s’étend toujours du moi, à un être ou objet qui n'est pas moi » (RSP, 187).
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