Maine de Biran: Homo duplex
Homo duplex
• L’homme est « double dans l’humanité, simple dans la vitalité ».
•• Biran emprunte cette notion à l’ouvrage de Boerhaave, Praelectiones academicae de morbis nervorum (1761), où celui-ci a cette formule : « homo simplex in vitalitate et duplex in humanitate ». Il trouve dans cet ouvrage de quoi tracer une séparation entre les fonctions sensori-motrices en notre pouvoir et les fonctions vitales qui ne sont pas en notre pouvoir. Dès qu’on s’occupe d’analyser les facultés de l’homme, force est de reconnaître que « la science de la pensée n’est pas toute la science des facultés de l’homme » (D, 45). « L’homme commence à sentir assez longtemps avant d’apercevoir et de connaître ; il vit dans les premiers temps en ignorant sa vie » (D, 90). Il y a ainsi en l’homme des facultés passives liées à l’organisation vitale (à la sensibilité physique) et qui constituent la « vitalité simple ». Ces facultés sont l’objet de la physiologie qui peut éclairer le jeu de leurs fonctions. Au contraire, le fait que le sujet actif puisse naître à lui-même comme pensant et non plus simplement comme sentant, nécessite une « science de la pensée » qui prenne en compte les facultés actives de l’individu. L’homme est donc double dans l’humanité en ce que « le mode d’existence passive auquel sont probablement réduits une multitude d’êtres organisés s’allie dans l’homme avec l’aperception et l’exercice des facultés supérieures » (D, 45). A l’inverse, nous nous rapprochons de l’état affectif qui constitue l’existence « d’une multitude d’êtres vivants [...] toutes les fois que notre nature intellectuelle s’affaiblit ou se dégrade ; que la pensée sommeille ; que la volonté est nulle ; que le moi est comme absorbé dans les impressions sensibles ; que la personne morale n’existe plus ; toutes les fois enfin que notre nature, mixte, double dans l’humanité, redevient simple dans la vitalité » (E, 285-286). Si la physiologie a donc un rôle précis dans la science de l’homme, il est de circonscrire d’abord ses propres limites : « En nous faisant mieux connaître l’homme simple dans la vitalité, sous l’aveugle et unique impulsion de l’organisme, elle nous conduirait jusqu’à la source exclusive des déterminations libres et réfléchies qui constituent hors de sa sphère, l’homme double dans l’humanité » (A, 61). La formule de Boerhaave fait donc apparaître un « sujet double » objet de deux sciences ; elles doivent trouver leur frontière, et faire le partage de ce qui revient en l’homme à la force hyperorganique d’une part, à la force organique de l’autre ; elles doivent assigner la naissance du sujet pensant et les limites de « ce qui n'est pas lui ou de lui » (D, 44).
••• La nature « mixte si mystérieuse » de l’homme ne saurait être dénouée par aucun moyen rationnel. La métaphysique comme la physiologie peuvent la constater mais ne peuvent la contester en tentant, pour l’une, de spiritualiser la force organique, pour l’autre, de matérialiser la force hyperorganique. « Nous disons que la dualité se manifeste avec une évidence immédiate par le fait de sens intime et qu’elle ressort même jusqu’à un certain point de l’expérience d’une force hyperorganique, sur qui elle n’a aucune prise. Comment entendre la coexistence de deux forces contraires et opposées dans un sujet qui sent et meut et agit, qui est à la fois passif et actif? C'est là sûrement un mystère inexplicable, car c'est l'homme même qui ne peut lire du dehors dans le fond de son être, ni se voir lui-même comme étant lui et un autre» (DEA, 139).
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