Les expressions régionales en littérature du XXé siècle
L’EXPLOSION OCCITANE
Depuis dix siècles à peu près on n’a pas cessé d’écrire en Occitan en France. La magistrale Nouvelle histoire de la littérature occitane, en deux gros volumes, de Robert Lafont et Christian Anatole (IEO-PUF) en témoigne abondamment. Certes, quand les rois de France eurent annexé les terres du sud, après la croisade contre les Cathares, après le grand siècle des troubadours, la création déclina (XIV et XVe siècles). Il fallut attendre le XVIe siècle et la « première renaissance », avec Godolin, pour retrouver, tant en Gascogne qu’en Provence, des échos dignes des « Trobars ». Mais l’essor décisif viendra de la « seconde renaissance » avec l’Ecole d’Avignon et le Félibrige, avec Mistral, Aubanel, Roumanille et leurs successeurs. La première moitié du 20e siècle verra, une fois la langue unifiée, une création continue. Des poètes comme René Nelli, Max Rouquette, Charles Camproux, Delfin Dario et autres fonderont la littérature occitane moderne, ouvrant à celle-ci des horizons universels, intégrant Neruda et Tagore, Lorca et Maïakovski, Breton et Whitman... Certains d’entre ces pionniers vivent encore et ils ont été témoins de l’expansion créatrice qui a suivi la dernière guerre mondiale. René Nelli est toujours là. Ami de Joë Bousquet, grand érudit, on lui doit de nombreuses études sur le Catharisme {Spiritualité de l’hérésie, Ecritures cathares, etc.) et sur les troubadours. Mais il est aussi un remarquable poète et sa « somme » Arma de vertat (Ame de vérité) transmet une expérience quasi mystique, celle de la victoire de l’amour. Léon Cordes est lui aussi toujours présent. Paysan du Minervois, il a écrit et joué de nombreuses pièces populaires. Poète, on lui doit notamment Branca torta (branche tordue). Félix Castan, Max Allier, Bernard Lesfargues sont aussi des poètes et écrivains de ce temps. Un autre grand écrivain contemporain est Bernard Manciet, landais né en 1923. Ancien fonctionnaire du quai d’Orsay il a beaucoup voyagé, s’est frotté à nombre de cultures et pays, mais il demeure profondément enraciné. Les malheurs du siècle hantent la poésie de ce catholique auquel on doit un recueil remarquable Accidents. On lui doit aussi de nombreuses proses. Robert Lafont est lui l’homme-Protée de l’Occitanie. On le connaît comme théoricien (Décoloniser en France, la révolution régionaliste, etc.). Il est l’auteur d’un Mistral ou l’illusion, implacable mise en pièce des mystifications et des mythifications. On lui doit aussi des travaux de linguistique, des pièces de théâtre, des romans (Joan Larsiniac). Animateur de revues, il est d’abord poète. Sa poésie, dont une anthologie a paru chez P.J. Oswald sous le titre Air libre, est constituée de nombreux recueils {Dire, Pausa cer-dana, l’Ora, etc.) C’est une poésie qui assume les contradictions, espoir et néant, joie et mort, raison ardente et absurde. Lafont a tout lu, d’Antonio Machado à Camus et Sartre *, de Neru-da à André Breton. Il célèbre, par delà les échecs, les blessures, les puissances de l’espérance, les nécessités du combat, les beautés du monde et de l’amour, du sexe et du peuple en marche. C’est une œuvre lyrique, à la fois tourmentée et lumineuse, où la « leçon de choses » fusionne avec la « leçon de morale ». Robert Laffont soutint l’effort delà génération de 1956, et de celles qui allaient suivre jusqu’aujourd’hui. Un des plus importants de ces écrivains est Yves Rouquette. Poète et prosateur, il est passé du « mal de la terre » à la poésie révolutionnaire, de l’ombre au jour. On lui doit l’Oda à Sant Afrodisi (Ode à Sainte Aphrodise) Messa pels pàrcs (Messe pour les Porcs), où l’individu s’unifie au Pays et à l’Histoire, pour une victoire sur la mort, avec tous ceux qui souffrent et luttent (Biafra, Palestine, Amérique Latine). Yves Rouquette a aussi publié des récits, des nouvelles {Made in France). Jean Larzac est le frère d’Yves Rouquette. Prêtre, militant occitaniste, révolutionnaire ardent. Il a publié plusieurs recueils {Contre-histoire, refus d’enterrer, l’étranger de l’intérieur, etc) dans lesquels se fait entendre une voix rageuse, violente, qui parfois identifie le Salut à la Révolution, mais qui demeure lucide, charnelle et tendre. Les années 60, qui sont les années du retour de l’espérance en Occitanie, voient apparaître une pléiade de poètes : Gilbert Suberroques {Cançons mauvolentas : Chansons malveillantes), Jean-Marie Petit {Respondi de : Je réponds de...), Philippe Gardy {l’Ora de paciència : l’heure de patience), Michel Chadeuil (Lo Cor e las dents : le cœur et les dents). La totalité de ces poètes publient alors dans Viure, la revue animée par Robert Lafont, qui a aussi créé le « Comité Occitan d’Etudes et d’Action » (COEA). On y retrouve aussi un écrivain, aujourd’hui disparu, mais qui, par l’influence qu’il continue d’exercer, reste d’une certaine façon un « vivant » : Jean Boudou. Né en 1920, il a connu le STO en Allemagne. En 1956, il rejoint L’IEO (Institut d’Etudes occitanes), lequel face au néo-félibrige incarne la « modernité », et s’engage dans le combat. On lui doit trois grands livres {La sainte Estelle du Centenaire, le livre des grands jours, le livre de Catôia) qui constituent la « fable » de l’Occitanie traditionnelle condamnée, fable où l’humour fantastique, la science-fiction, l’angoisse, la folie entrent en jeu. Son écriture a fasciné et fascine : puissance d’évocation, rigueur du style. Il a publié un recueil de poèmes Rien ne vaut l'électro-choc, qui dit la condition populaire occitane avec des mots populaires. Viure fut vraiment un carrefour. On devait y retrouver encore Jean-Baptiste Ségüy {Aiga de Nil, Poëmas del non), poète religieux, douloureux, méditatif, Serge Bec, poète païen, tellurique dans les chants de l’être fou, Mémoire de la Chair, Pierre Pessemesse qui, avec Plaies et bosses, s’imposa comme prosateur. Ce roman directement branché sur l’époque (1957) est une quête du bonheur en un temps « à bout de souffle ». Avec Mai 68 une nouvelle génération apparaît. Pour lui donner la parole Jean Larzac crée la collection 4 Vertats (quatre vérités). Une fois de plus c’est la Poésie qui domine avec les « anciens » (Lesfargues, Georges Reboul, Rouquette, Larzac, Laffont) mais aussi avec les « nouveaux » ; André Combettes {Le temps peut être lu), Jean-Marie Auzias {Cahier grassois), Michel Décor {Le fricot recuit), Roland
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